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Image, 20 ans à l'image des comics

Image, 20 ans à l'image des comics

DossierImage

Parlons un peu d’un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître. Parlons un peu d’Image Comics. L’éditeur emblématique des années 90. Le trublion de l’industrie qui a donné des sueurs froides aux big two Marvel et DC. Le refuge des créateurs qui a changé les règles. Et surement le label à l’histoire la plus rock’n’roll de ces 20 dernières années (voire de tous les temps, je vous laisserai juges).

Fondé en 1992 par sept superstars des comics en quête d’indépendance, Image a tout connu, des sommets les plus inimaginables à la descente aux enfers. Et la résurrection. En chemin il y a eu des trahisons, des réconciliations, des départs, des retours. Bref de quoi écrire tout un film, ou même plusieurs. Et malgré tout cela l’éditeur au I est resté solidement enraciné à la troisième place derrière les éternels Marvel et DC en dépit de la concurrence acharnée de Dark Horse et IDW. Mais surtout, durant ces 20 années, Image a toujours été à l’image de nos chers comics, pour le meilleur et pour le pire.

« This is not a negotiation » Todd McFarlane

L’histoire d’Image Comics débute en février 1992, quand Todd McFarlane, Rob Liefeld et Jim Lee entrent dans le bureau de Terry Stewart, à l’époque président de Marvel Comics. Les trois hommes sont alors des superstars de l’industrie des comics. McFarlane, après un run devenu légendaire sur Amazing Spider-Man s’est vu confier sa propre série pour narrer les aventures du tisseur. Lee vient de pulvériser un record de vente avec X-Men #1, en collaboration avec Chris Claremont. Et Liefeld a fait d’X-Force (ex-New Mutants) et de son leader Cable un hit incontournable.

Les fondateurs 

Et pourtant, si ces trois jeunes dieux chus de l’Olympe viennent voir Terry Stewart, c’est pour démissionner. Emmenés par Rob Liefeld, ils ont décidé qu’ils en avaient assez de ne toucher que des miettes par rapport à ce que leur travail rapporte à la Maison des Idées. Ils ont donc décidé de partir créer leur propre maison d’édition où ils travailleront sur leurs propres personnages. Et le trio emmène avec eux quatre autres valeurs sûres : Erik Larsen (qui avait succédé à McFarlane sur Amazing Spider-Man), Whilce Portacio (alors dessinateur sur Uncanny X-Men), Jim Valentino (en charge de Guardians Of The Galaxy, oui, ça fait moins rêver de suite) et Marc Silvestri. Ce dernier, à l’époque dessinateur de Wolverine, ne doit d’ailleurs qu’à un coup du sort de faire partie de l’aventure. La légende veut en effet qu’il n’ait rejoint la bande de frondeurs que la veille de leur décision, quand ceux-ci sont venus frapper à la porte de sa chambre à l’hôtel où eux aussi passaient la nuit. Silvestri aurait été séduit par leurs arguments et aurait dans l’instant décidé de tenter sa chance avec eux.

C’est ainsi que sept titans de l’industrie ont claqué la porte de l’éditeur numéro 1, malgré la tentative désespérée de Terry Stewart de leur offrir la ligne Epic pour obtenir cette liberté qu’ils réclamaient.

« We were comics’ first boy band » Rob Liefeld

Les magnificent seven version comics fondent donc leur propre label, Image, en partenariat avec Malibu Comics. Image c’est en fait la réunion de six studios, chacun dirigé par un des fondateurs : Wildstorm (Jim Lee), Top Cow (Marc Silvestri), Todd McFarlane Production (Todd McFarlane), Extreme Studios (Rob Liefeld), Highbrow Entertainment (Erik Larsen) et Shadowline (Jim Valentino). Vous remarquerez l’absence de Whilce Portacio. Celui-ci restera comme le « cinquième Beatle » de l’aventure Image car un drame personnel (la mort de sa sœur) l’éloigna de l’industrie des comics au moment du lancement de sa propre série WetWorks (chez Wildstorm, avec 21 mois de retard). Si le succès fut au rendez vous, il ne changea pas la décision de l’artiste de prendre du recul, ses priorités ayant changé.

Youngblood #1Mais la tragédie qui frappa Whilce Portacio ne nuisit en rien au succès du nouveau phénomène Image. Selon les dires de Jim Lee, lorsqu’ils s’étaient lancés dans l’aventure, les sept partenaires ne savaient pas trop à quoi s’attendre en termes de vente. L’artiste affirma qu’à l’époque ils considéraient que s’approcher des 300000 exemplaires d’Aliens/Predators (Dark Horse) aurait été considéré comme un succès. Il faut dire que le lancement d’Image ne se fait pas sans difficulté. Les sept artistes ne sont pas des businessmen et ont chacun leurs propres plans. Ainsi Beau Smith, leur premier directeur marketing, déclara qu’il ressortit de la première réunion avec la petite bande en pensant que tout cela avait l’air d’un « grade A clusterf*** » (un bord** de première classe). Le seul point sur lequel tout le monde est d’accord c’est que Youngblood #1sera la premier titre à être publié.

Et là l’impensable se produit. En avril 1992 Youngblood #1 sort et s’écoule à plus d’un million d’exemplaires. Un record absolu pour un titre hors Marvel et DC. Un mois plus tard Spawn #1 le détrône avec 1,7 millions d’exemplaires, un nouveau record pour un titre indépendant qui tient encore aujourd’hui. Les autres titres des fondateurs (WildC.A.T.S., Savage Dragon, Cyberforce et même Shadowhawk) sont eux aussi des succès inimaginables. Image devient même le deuxième éditeur, derrière Marvel mais devant DC, pendant un court laps de temps. De nombreuses autres séries seront lancées dans l’année, mais parmi celles-ci seules Pitt (de Dale Keown) et The Maxx (Sam Kieth) marqueront les esprits.

« We sold gold-foil editions of Youngblood #1 for 100$ a piece » Matt Hawkins

Witchblade #1Cette phrase résume à elle seule tout  ce que furent les premières années d’Image. L’engouement autour du nouvel éditeur est sans précédent. La bande de rebelles est devenue un groupe de rock stars pleines aux as. Et les fans en redemandent. Chaque convention est un évènement, notamment celle de Chicago, où une tente doit être montée à côté du lieu où se tient l’évènement pour accueillir tous les fans venus faire signer leurs comics. Et quelques accidents de parcours, comme l’échec cuisant de la « next generation » de titres Image et de tous les titres créés par d’autres que les fondateurs (abandonnés dès aout 1993), ne viennent pas entacher ce succès. Pas plus que les retards souvent pharaoniques des titres (huit mois entre Pitt #1 et #2 par exemple), dus à l’éthique de travail parfois douteuse de la petite bande (il n’est pas rare qu’un auteur décide de prendre des vacances à l’improviste).Spawn est un mastodonte commercial (meilleur vente pour l’année 1993) et en lançant Witchblade en octobre 1995 Top Cow trouve le créneau (le fantastique/horreur) qui fera du studio le poids lourd des comics qu’il est encore aujourd’hui.

Ainsi Image surfe à plein sur le boom de l’industrie des comics. Mais plus que ça les sept ont réussi le pari fou de changer les règles de cette industrie, en accordant des droits bien plus étendus aux créateurs, en en faisant les maîtres absolus de leur œuvre. Et en prouvant que ce modèle peut fonctionner commercialement. Le creator owned peut réellement prendre son envol. Et la réputation d’Image d’être l’éditeur qui traite le mieux les créateurs perdure encore aujourd’hui. Elle peut sans doute expliquer que certains grands noms associés aux big two viennent encore travailler en parallèle pour Image (Ed Brubaker et Sean Phillips pour Fatale,Jonathan Hickman pour The Red Wing). Cela malgré quelques accrocs juridiques en termes de propriété intellectuelle entre les fondateurs et leurs collaborateurs (Neil Gaiman et Todd McFarlane sont toujours en procès autour du personnage deCogliostro, et Michael Turner eut du mal à conserver les droits de Fathom Gen 13 #1quand il partit fonder Aspen).

Cependant les titres Image sont aussi, avec le recul, l’incarnation de tout ce qu’on reproche aujourd’hui aux comics des années 90. Ils sont certes très beaux graphiquement (surtout pour l’époque, aujourd’hui on dirait que ça a un peu vieilli) et imprimés sur du papier de meilleure qualité. Mais ils ont aussi trop souvent des scénarios qui tiennent sur un demi ticket de métro et des dialogues qui se limitent à des one liners bad ass, malgré la présence occasionnelle de noms prestigieux (Alan Moore sur WildC.A.T.S., Neil Gaiman chez McFarlane…). Et que dire des personnages, qui sont la plupart du temps des montagnes de testostérones surarmées et des bad girls unidimensionnelles. Au mieux il y a un bon concept, mais rarement plus. Il y a aussi la folie des variant covers, en édition foil,chromium et autres. Sur ce point le sommet sera atteint par Gen 13 #1 qui sera lancé avec treize variants.

Bref Image à ses débuts c’est tout à la fois le succès et l’excès. La démesure absolue. Mais avec de superbes dessins. Cependant les premières véritables difficultés sont encore à venir.

« Rob is as good as dead to me » Todd McFarlane

Heroes RebornLes premières fissures dans la façade d’Image apparaissent en  février 1996, quand Jim Lee et Rob Liefeld (ainsi que Whilce Portacio) acceptent de retravailler pour Marvel dans le cadre de l’event Heroes Reborn, qui consista à réécrire les origines des Avengers et des Fantastic Four après le mégacrossover Onslaught. Ainsi si les relations sont rétablies avec l’ancien employeur, ce retour aux sources passe assez mal auprès des autres fondateurs d’Image,Todd McFarlane en tête. Et si la petite bande n’a jamais eu de leader formel, McFarlane a tout de même toujours été plus ou moins « primus inter pares ».

Mais le véritable clash a lieu quelques mois plus tard, entre juillet et septembre, quand Marc Silvestri annonce que Top Cow quitte Image. La raison ? Il ne supporte plus de cohabiter avec Rob Liefeld qu’il accuse d’avoir essayé de lui « piquer » un de ses talents, le génial Michael Turner. Deux réunions ont lieu par la suite, l’une sans Liefeld ni Silvestri, l’autre en présence du second. L’ordre du jour est l’éviction de Rob Liefeld. Celui-ci aura vent de ce qui se trame contre lui et quittera Image avant d’en être viré, à la Richard Nixon. Et Top Cow rejoindra le giron de l’éditeur au I dans la foulée.

Les années suivantes voient le bon et le moins bon alterner. Les créateurs prestigieux Jeff Smith (Bone) et Terry Moore (Strangers In Paradise) quittent le navire. Le Divine Right de Jim Lee (son grand retour sur un titre mensuel) n’a pas l’impact escompté. Mais à côté de cela les lignes ABC (America’s Best Comics) d’Alan Moore et Cliffhanger (avec Battle Chasers par Joe Madureira et Danger Girl par Jeff Scott Campbell) sont lancées chez Wildstorm. Top Cow fait aussi sensation avec Fathom et Tomb Raider/Witchblade. Un projet de série TV Witchblade est Battle Chasersmême lancé (et finira par aboutir).

Le dernier coup dur se produira en janvier 1999, quand Jim Lee quittera à son tour Image, emportant avec lui Wildstorm (l’un des poids lourds de l’éditeur, et qui inclut les lignes ABC et Cliffhanger) pour signer un contrat exclusif avec DC. Lee affirmera que sa décision était motivée par son envie de se décharger d’une partie du travail administratif lié au fonctionnement du studio pour pouvoir à nouveau se consacrer à la création. Et si la rupture se passe de bien meilleure manière qu’avec Rob Liefeld, elle laisse tout de même un goût amer aux fondateurs restant, à commencer par McFarlane.

Ainsi, comme pour l’industrie de l’industrie des comics dans son ensemble, la fin des années 90 est une période délicate pour Image, pris dans la tourmente. Mais ce ne fut pas la fin, loin de là.

« What we started was a really good thing. I think the fact it’s still going speaks for itself » Rob Liefeld

La décennie 2000 sera celle du renouveau créatif pour Image, comme elle le fut pour l’ensemble de l’industrie. Et encore une fois L’éditeur au I fut aux premières loges. En effet certains des auteurs majeurs actuels ont connu leur premier succès chez Image, qui a su recentrer sa politique éditoriale non pas autour des studios des fondateurs restant mais plutôt d’Image Central. Cette structure indépendante des divers studios vint formaliser ce qui était devenu une pratique courante de l’éditeurPowerssous la houlette de Jim Valentino (celui-ci ayant peu à peu abandonné ses activités créatives pour se consacrer à l’administration et la recherche de talents). L’idée était d’offrir la même totale liberté aux créateurs que celle qu’avaient eu les fondateurs, ainsi que de leur laisser l’intégralité des droits sur leurs créations. Ils devaient seulement s’acquitter d’une somme fixe pour qu’Image se charge de la publication de leur œuvre. Ce mode de fonctionnement se développa encore plus quand Valentino devint « publisher » (la traduction la plus exact serait « directeur de publication ») en 1999. Lorsqu’Erik Larsen lui succéda entre 2004 et 2008 il poursuivit cette politique, comme Eric Stephenson aujourd’hui. C’est de cette façon que le Powers de Brian Michael Bendis et Michael Avon Oeming vit le jour chez Image. Ainsi bon nombre de titres non issus des studios des fondateurs vinrent enrichir le catalogue Image. On peut citer par exemple Dawn (Joseph Michael Linsner) ou The Mice Templar (Brian J L Glass et Michael Avon Oeming).

Et la caractéristique de la plupart de ces titres fut de mettre l’emphase moins sur le dessin et plus sur les scénarios, qui devenaient souvent plus fouillés, ou au moins originaux. Ainsi bien des hits cultes virent le jour, comme The Atheist, Sea Of Red ou encore Viking. Et ça continue aujourd’hui avec des titres tels que Saga ouThief Of Thieves. Mais le salut d’image vint avant tout d’un homme : Robert Kirkman. Ce créateur prolifique fut à l’origine de deux des plus gros succès récents d’Image : Invincible (avec Ryan Otley) et The Walking Dead (avec Tony Moore). Il fit aussi montre d’une énergie créative assez incomparable, multipliant les projets à la vitesse grand V, comme en témoigna l’une des Pilot Season dont il s’occupa en intégralité avec Marc Silvestri pour Top Cow (plusieurs numéros 1 comme autant de pilotes de série TV, et aux lecteurs de choisir la série qu’ils veulent voir continuer). Kirkman collabora aussi avec Todd McFarlane sur Haunt. Mais surtout il accepta de s’impliquer dans le fonctionnement d’Image, renonçant à travailler en freelance pour The Walking DeadMarvel et devenant en 2008 le premier nouveau partenaire au sein de l’éditeur depuis sa fondation. Il a aujourd’hui le titre de Chief Operating Officer. En gros d’éditeur en chef.

De leur côté Top Cow et Todd McFarlane Production continuèrent de fonctionner de manière quasi-indépendante mais connurent des évolutions similaires, au-delà des interventions de Robert Kirkman. Ainsi on assista à l’arrivée de scénaristes solides sur les titres majeurs du studio à la vache (Ron Marz sur Witchblade, Paul Jenkins puis Phil Hester sur The Darkness). Et ils eurent aussi leur bonne pioche à la Bendis avec Joseph Straczsynski qui leur offrit Rising Star et Midnight Nation (avant, comme Bendis, de partir œuvrer chez Marvel). Todd McFarlane Production s’est surtout développé en géant multimédia (notamment à travers les jouets, évolution commencée dès les années 90). Mais Spawn a aussi eu droit à un soft rebootrécemment, avec un scénario plus orienté horreur que super héros dark. Sans parler de Haunt, mentionné précédemment, qui connait un beau succès.

Le temps guérissant bien des plaies, il convient de signaler que Rob Liefeld, crucifié par ses anciens partenaires lors de son départ et qui connut par la suite des fortunes (et surtout infortunes) diverses, finit par réintégrer Image en 2007. Cette même année les sept fondateurs se réunirent sur scène à la Comic Con de San Diegopour le quinzième anniversaire de la naissance d’Image. Ils participèrent aussi à une séance de dédicace exceptionnelle à Phoenix  le 3 mai 2008. Et enfin, comme pour sceller leur réconciliation ils réalisèrent tous ensemble (moins Jim Lee, à cause de son contrat avec DC) la mini série Image United, sur un scénario de Robert Kirkman, devenu décidément indispensable. Chacun devait dessiner son personnage chaque fois qu’il apparaissait. Et si le projet avait de quoi faire rêver les nostalgiques, ceux-ci déchantèrent vite en retrouvant d’autres mauvais souvenirs tels qu’un scénario simplet et surtout les légendaires retards d’Image (7 mois pour le numéro 3 et on attend encore les trois suivants). Comme quoi, plus les choses changent, plus elles restent les mêmes…

Les fondateurs aujourd'hui 

Jeffzewanderer
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