Pour éloigner la licence des mains de Marvel Studios, la 20th Century Fox est prête à tout. Même à livrer un film à peine convenablement emballé pour sa sortie en salles, apparemment : malgré tout l'amour du monde, et un profond respect de l'approche développée par le réalisateur Joshua Trank, le reboot des Fantastic Four est au-delà de toute rédemption.
Injustement assassiné pour son casting et ses choix artistiques, bien avant toute image officielle, le métrage de Josh Trank, après ces annonces, s'était caché, loin des foudres des haineux, ne laissant fuiter qu'une unique image. Un premier trailer plus tard, le public semble reprendre confiance, avant que la toile ne fasse état d'une fin de production catastrophique, et de différends de taille entre le réalisateur et son producteur, l'original gangster du moment, Simon Kinberg. N'en déplaise à certains, Fantastic Four, comme Ant-Man avant lui, est donc tout à fait indissociable de l'aventure humaine qu'il représente.
Et quelle aventure. On ne saurait désigner un responsable dans ce petit désastre artistique (potentiellement économique), mais force est de constater que Fantastic Four est à peine présentable au public après des mois de tournage et de post-production. Caractérisé par une surprenante durée de 100 minutes, le film de Josh Trank passe le plus clair de son temps à amorcer des sous-intrigues et à poser les fondations d'une histoire qui ne démarreront jamais. Une construction particulièrement déconnante, puisqu'elle donnera au métrage un aspect daté, en plus de rendre son visionnage pénible. Pourtant, tout n'est pas à jeter dans cette troisième itération cinématographique de la plus ancienne des familles Marvel.
Le premier tiers du film est ainsi solide, si on lui pardonne sa tendance à l'exposition, toutefois naturelle pour un blockbuster de cet acabit. Aux frontières d'un Super 8, Josh Trank ouvre son métrage avec une mise en scène plutôt nostalgique, qui a tôt fait de rendre sympathique deux de nos futurs héros, Reed Richards et Ben Grimm. Un saut de sept ans plus tard, et on voit le film rentrer dans le vif du sujet. On avance plutôt vite, d'ailleurs, comme pour préparer une menace ou un enjeu massif, qui seront finalement absents du film. Les personnages défilent, assez naturellement même, puisque le scénario de Josh Trank, Simon Kinberg et Jeremy Slater prend soin de lier toutes les situations entre elles : qu'on se le dise, toutes les justifications sont à l'extrême limite du ridicule, mais elles ont mérite d'exister et de nous mener vers le Graal : le voyage inter-dimensionnel.
Avant d'attaquer ce gros morceau, on a la chance d'observer les débuts de la romance entre Reed (Miles Teller) et Sue Storm (Kate Mara) tandis que Johnny Storm (Michael B. Jordan) détend assez habilement l'atmosphère. La mise en scène, sans être inspirée, livre alors quelques séquences sympathiques, s'amusant notamment des inadaptés sociaux que sont Reed et Sue, ou développant le personnage amer de Toby Kebbell, Victor Von Doom. Les débuts timides, mais pas si bêtes, d'une palpitante aventure, qui propose quelques pistes de réflexion inédites, comme la place de l'inventeur dans les grandes découvertes scientifiques.
Inédite, la direction artistique de Josh Trank l'est aussi. Si les débuts du film lorgnent plus du côté de Spielberg, la suite s'inspire plus volontiers du fantastique, de l'horreur, voire de la filmographie d'un certain David Cronenberg, La Mouche en tête. Et puisque les films adaptés de comic books se réclament volontiers d'un genre précis, on pourrait (presque) dire que Fantastic Four est la première production héroïque à reprendre, en partie, l'ADN d'un film d'horreur, la mise en scène et certains plans évoquant directement le genre. Au contact de cette salvatrice influence, qui donne finalement au métrage sa maigre personnalité, Josh Trank se sent pousser des ailes, et nous plonge dans une ambiance radicalement différente. On touche alors au but : les enjeux démarrent, la menace apparaît, et les personnages, embrassant leur étrangeté, font enfin face à leurs dilemmes.
Là où le bât blesse le plus, c'est que ce potentiel soudain révélé se retrouve pris dans le mixeur d'une bataille finale expédiée. Mais encore fallait-il comprendre que ce combat atrocement mal chorégraphié et mis en scène avec les pieds était bel bien le final du film de Josh Trank, tant il tombe comme sur un cheveu sur la soupe. L'effet de surprise n'étant pas le seul défaut de cette conclusion, portée par des répliques miteuses, des interprétations catastrophiques et des effets spéciaux déjà datés. Le tout couronné par une ultime blague maladroitement inspirée de l'humour typique de Marvel Studios.
Avec une queue complètement déconnectée du corps et de la tête (la faute à des ellipses temporelles et un manque certain d'explications) Fantastic Four est un métrage tout aussi étrange que les personnages qu'il met en scène. Qui avaient pourtant de quoi se défendre. Hélas, et sans surprise si on se réfère à des vidéos promotionnelles vides de complicité, le quatuor choisi ne fonctionne pas à l'écran. Si pris à part, Miles Teller, Kate Mara, Michael B.Jordan et Jamie Bell sont des atouts pour le film, ensemble, ils ne font que refléter ses erreurs. L'union ne fait ici pas la force, un comble pour un film Fantastic Four.
Milles Teller est à la traîne, Jaime Bell est absent, Kate Mara fait avec son habituelle neutralité, en bref, seuls Michael B.Jordan, sautillant, et Toby Kebbell, aussi cynique dans son jeu que son personnage, parviennent à tirer leur épingle du jeu. Du moins, avant que le second ne se voit transformé en une parodie de Dr.Doom à en faire mourir de rire Julian McMahon.
Si l'interprétation moderne des Quatre Fantastiques par Joshua Trank nous sauve d'un nouveau navet colossal, le réalisateur est loin de se montrer à la hauteur de sa réputation, fusillée par la production de ce métrage et son jet d'éponge du côté de Lucasfilm. Les deux ont en commun un certain Simon Kinberg. Et s'il serait trop simple d'imputer au producteur ou au studio toutes les erreurs du film, force est de constater que ni l'un, ni l'autre, ne semblent vouloir aider le métrage, déjà branlant, à percer. En témoignent un marketing qui a enterré vivant le film, et le fameux "ce n'est pas un désastre" fièrement crié par Kinberg il y a deux jours. Fantastic Four manque autant d'envie que de pellicule, et risque donc de ramener ses personnages au placard pour quelques temps encore. Jusqu'au prochain reboot ?