Nous sommes en octobre mais nous en avons fini avec les film super-héroïques depuis le catastrophique Fantastic Four de Josh Trank. Le moins qu'on puisse dire, c'est que 2015 n'a pas été une belle année pour cette catégorie aussi populaire que récente de films, les métrages adaptés des aventures de super-héros. Aussi, là où les questions se posaient jadis dans les cercles de fans, de mécontents et d'avant-gardistes, elle sont désormais partout. Les producteurs, les acteurs, les spectateurs et bien sûr les réalisateurs commencent à s'exprimer, toujours plus directement, sur la question du genre super-héroïque, si tant est qu'on puisse réellement le considérer comme un genre. Seulement, puisqu'il est le plus important du moment, il est normal de le voir exacerber les problèmes de l'industrie cinématographique. Et notamment l'importance, décisive, du réalisateur dans le succès ou l'échec d'un film.
Accélérant, de part son immense succès, toutes les questions que peuvent se poser les journalistes, les professionnels et les cinéphiles, le film de super-héros nous offre de superbes exemples pour penser l'industrie du cinéma, et s'interroger sur ses mécaniques. L'un des plus intéressant en date reste, d'ailleurs, le départ de Rupert Wyatt du projet Gambit de la 20th Century Fox. Une annonce qui est passée relativement inaperçue - parce qu'elle est le lot quotidien du business hollywoodien - mais qui nous en dit tout de même beaucoup. Pour la simple et bonne raison que Wyatt, comme le signale The Hollywood Reporter, n'a pas quitté le projet à cause d'un conflit d'agenda. Il n'aurait même aucun projet activement en cours pour le moment. En revanche, il se serait senti incapable de convaincre le studio, et aurait donc décidé de quitter le projet plutôt que de le faire sous la contrainte.
Une décision aussi rare que louable. Et qui serait tout à fait typique du réalisateur de Rise of the Planet of The Apes, décrit par des sources de THR comme l'un des plus gros bosseurs d'Hollywood. Mais il ne se contente pas d'arriver tôt et de partir tard. Il travaille ses scénarios, s'impose auprès des studios, et tente de réinventer les franchises ou de transcender les projets qui lui sont confiés. A priori, nous sommes en droit d'attendre la même chose de tout réalisateur. Mais le genre super-héroïque étant le reflet intense des pratiques hollywoodiennes, ce n'est que rarement le cas. Rupert Wyatt aurait donc fini par quitter Gambit devant l'impossibilité de mener le projet à bien. A la rigueur, un film est une entreprise comme une autre, et il faut lui éviter, en principe, la faillite. D'un point de vue business, la Fox doit donc protéger les œufs mis dans son panier. Et si Wyatt se permet de quitter le projet sans claquer la porte et sans frapper ses collaborateurs, aucun problème en vue.
Seulement, il est tout de même assez ironique de constater que pour un même travail, Wyatt reçoive deux réponses différentes. Lorsqu'il s'agissait de réinventer La Planète des Singes, on lui aurait donné carte blanche. Lorsqu'il doit, d'une manière quasiment similaire, lancer un nouveau mutant en solo pour assurer aux X-Men des jours radieux en salles, il finit par quitter le projet, par manque de libertés. Bien sûr, chaque film est unique. Et ses intervenants aussi. Le producteur de Rise of the Planet of the Apes n'est pas celui de Gambit (Simon Kinberg, par le plus immense des hasards) et les films restent ancrés dans des univers bien différents. Seulement, cet exemple semble représenter la situation dans laquelle sont maintenant coincés les réalisateurs invités sur des projet impliquant des super-héros.
Il y a quelques années encore, on se battait pour la vision d'un artiste. Je pense notamment au film Superman Lives, que les producteurs et les studios impliqués voulaient absolument voir réalisé par Tim Burton, suite à sa populaire traduction de l'univers Batman. Aujourd'hui, l'institution des films de super-héros en genre, et leur capacité à engendrer des milliards de dollars semble verrouiller la créativité nécessaire au bon déroulement des opérations. Quelque part, c'est un retour en arrière pour Hollywood, qui ne souhaite pas prendre autant de risques que par le passé - un Superman par Burton, c'est audacieux, après tout - mais moins. Pas étonnant puisque tout le monde à Hollywood s'accorde à dire que les financiers et cadres des studios ont pris la place de producteurs chargés de convier des réalisateurs et leur vision sur un projet. Mais le constat n'en est pas moins amer.
Pour forcer le trait, on pourrait dire que la logique de licence, en tant que considération marketing, a pris le pas sur la vision de artistes, que les studios veulent voir disparaître. De là à dire que le marketing contrôle et dirige un film, il n'y a qu'un pas : on ne tombera pas dans le "c'était mieux avant" mais à mon sens, il y a quelques années encore, l'aspect industriel et l'aspect artistique d'un blockbuster collaboraient bien mieux. La prise de risque est nécessaire à l'innovation : c'est une règle commune à tous les marchés et celui d'Hollywood et de ses films doit apprendre à s'en rappeler en autorisant ses réalisateurs à proposer de la nouveauté, une vision bien particulière. Et celle ci n'est pas forcément antinomique avec des plans marketing quinquennaux, comme le prouvent, dans une certaine mesure, les exemples de James Gunn sur Guardians of the Galaxy et Joe et Anthony Russo sur Captain America : The Winter Soldier. Deux films qui, quand je les revisionne, dépassent leur condition de chapitre supplémentaire inscrits dans un univers plus vaste.
Au lieu de favoriser ce type de relations, Hollywood cherche aujourd'hui à retourner les armes des réalisateurs contre-eux. En témoignent les embauches répétées de réalisateurs débutants, ayant percé avec un petit film, le plus souvent indépendant. Wyatt est l'un d'eux, mais c'est également le cas de Colin Trevorrow dans un autre style, ou encore de Josh Trank, pour rester chez les super-héros. Ce serait la créativité et l'originalité des bonhommes (et de leurs projets) qui leur ouvriraient des portes d'Hollywood. Qui se referment sur eux quand les cadres des studios jouent sur l'inexpérience des réalisateurs, en les contrôlant ou en limitant ce qui, en premier lieu, les amené ici. Encore une fois, on force un peu l'image, mais vous comprenez l'idée. Et le calcul n'est pas toujours bon pour autant. Si on reprend les exemples de Trevorrow et Trank, une même formule accouche, pour l'un, d'un carton planétaire (et historique) et d'un lackbuster pour l'autre. A croire que les règles que s'imposent les studios ne mènent pas toujours au succès, donc pourquoi être si procédurier ?
Bonne question. En tous cas, cette année 2015 n'aura pas manqué d'exemples et de contre-exemples. Les différentes versions d'Ant-Man, par Edgar Wright et Peyton Reed, l'une annulant, dans les grandes lignes, l'autre. Les nombreuses critiques et séries de pleurs de Joss Whedon quant à la difficulté de revenir pour un second opus vengeur. Le Trank-gate, qui même chez nos confrères américains (qui refusent de se mêler à ce genre d'histoires, d'ordinaire) semble avoir secoué les esprits. Ou encore le départ de Michelle MacLaren du projet Wonder Woman ou à l'inverse, les déclarations de Zack Snyder, qui explique que les réalisateurs invités sur le DCEU ont les pleins pouvoirs sur le projet. Dans un reflet, d'ailleurs, de la politique Marvel Studios. Dans un cas comme dans l'autre, on retrouve cette approche que Zack Snyder qualifiait de "flavour of the week" (le parfum de la semaine) puisque les réalisateurs invités sont sensés amener une fraîcheur au genre à chaque nouveau métrage. Malheureusement, en octobre 2015, aucun studio ne semble nous avoir totalement convaincu cette année. Reste du mouvement du côté de chez Marvel Studios (dorénavant sous les ordres directs de Disney) et l'explosion programmée du DCEU au cinéma avec Batman v Superman pour nous tenir en haleine.