Deux éditos dans la même semaine, c’est n’est pas courant. Mais il nous semblait opportun de revenir aujourd'hui sur l’une des plus grosses annonces comics des derniers mois : l’arrivée de Rebirth chez DC Comics.
Si on nous colle depuis quelques années l’étiquette de « haters » de DC Comics, il semble aujourd’hui de bon ton de rappeler que nous avions accueilli les New 52 à bras ouverts il y a quatre ans, dans la volonté de DC de remettre les choses à plat pour les lecteurs. Avec plus de soixante-quinze années d’existence, DC doit faire face depuis longtemps à une continuité lourde et alambiquée, qui a aussi souvent fait sa force avec des méga-events comme Crisis on Infinite Earths, Infinite Crisis, et les événements du genre. Mais, plongé dans le marché ravagé des années 2000 et 2010, l’histoire de l’éditeur n’était pas suffisante pour survivre.
De nombreux lecteurs actuels de DC Comics ont sauté dans le train au début des New 52. C’était le but, c’était louable, et ça le demeure. Tous les lecteurs de comics ont dû commencer quelque part, et on en trouvera peu à avoir acheté Action Comics #1 en 1938, c’est évident, mais cela n’empêche pas de jeter un œil plus ou moins nostalgique sur le passé. Et c’est probablement là que notre regard se sépare de celui de certains lecteurs plus récents, centré sur la continuité actuelle. Nous savons ce que nous avons gagné avec les New 52, mais nous savons aussi ce que nous avons perdu, et nous avons pu constater que la promesse de l’éditeur n’a pas tenu plus d’un an et demi, quant à la qualité et la cohérence inhérentes de ses titres. Et avouons-le, DC Comics aussi le sait.
Dès le début, les plaintes ont fait rage chez les plus fervents défenseurs de l’ancien univers. Où étaient Donna Troy, Wally West, Stephanie Brown et beaucoup d’autres ? Comment la ligne temporelle de Batman et de ses Robins pouvait-elle tenir debout ? À l’époque, les New 52 étaient une rustine, une idée lancée pour ramener les choses sur le bon chemin. L’idée a tenu sur le mur, et s’est concrétisée, mais sans avoir l’organisation nécessaire en amont et en aval pour que ça tienne sur le long terme. Dès 2013-2014, on a senti le bateau recommencer à couler, et DC a tenu tant bien que mal à renfort de nouvelles rustines. Après quelques tentatives louables de lancements de séries par vagues, l’éditeur a commencé à abandonner sa politique des 52 séries constantes. Les équipes artistiques ont rapidement tourné, avec une certaine fuite chez Marvel mais aussi (surtout ?) Image Comics. Le déménagement en Californie a amené le prétexte à Convergence, event basé sur l’historique important de la firme mais terriblement mal mené (on ira jusqu’à dire que personne n’était à la barre). Puis vint DC You, et un premier abandon officiel de la marque New 52. Ça ne pouvait pas rester "neuf" à jamais après tout.
Un an plus tard, ce qui aurait été le premier anniversaire de DC You devient un nouveau relaunch au relans de semi-retour en arrière, qui annonce que DC va garder une partie ce qu’il fait depuis 5 ans tout en ramenant plus ou moins subtilement une autre partie de la continuité abandonnée il y a quelques années. Un désaveu pour l'éditeur ? Pas vraiment, on ne peut pas lui reprocher de tout faire pour survivre. Une dernière chance ? Peut-être, mais il faut voir que le marché s’est acharné à constamment lui coller le nez dans la boue ces dernières années. C’est en tout cas probablement la dernière chance pour Dan DiDio, qui aura vécu l’une des pires périodes pour l’éditeur.
Car si DC et Marvel était auparavant les « Big Two » (qu’on pourrait traduire par « Les Deux Grands », on commence sérieusement à sentir un « Big One », Marvel, suivi du petit frère inlassablement placé en retrait. Et la faute n’est pas à imputer (que) à la Distinguée Concurrence. Marvel a subi une transformation radicale ces quinze dernières années. Se sortant d’une terrible crise qui a failli l’amener à la banqueroute, Marvel s’est tourné vers le cinéma au tout début des années 2000, et a revigoré ses lignes éditoriales avec des opérations comme le lancement de Marvel Knights et de la ligne Ultimate. Puis, se sentant pousser des ailes de producteurs, l’éditeur a commencer au milieu des années 2000 à redorer le blason des personnages dont il avait encore les droits cinématographiques en ramenant les Vengeurs sur le devant de la scène, au détriment des X-Men, les anciens grands personnages de l’éditeur. Depuis dix ans, le paysage de Marvel s’est complétement transformé, et le marketing agressif a amené le grand public à connaître des personnages comme Iron Man (pas si connu il y a encore quinze ans), mais aussi Ant-Man ou Rocket Raccoon. Agents of SHIELD nous a prouvé que le temps de passage d’un personnage des comics à l’écran (ou vice versa) se compte désormais en mois, et plus en années ou en décennies. Les Inhumains sont le parfait exemple du revirement entamé par l’éditeur dans la dernière décennie. Auparavant, les plus grands héros de la Terre pour le public étaient Superman, Batman ou Spider-Man, aujourd’hui ces noms font encore parler grandement, mais l’attention du public s'est déportée ailleurs.
Ironiquement, Marvel a donc probablement bénéficié d’avoir été en mauvaise posture avant DC Comics, et s'en sort donc plus tôt. J’irai même jusqu’à dire qu’ils ont bénéficié de la mauvaise gestion cinématographique de leurs personnages, les amenant à devoir se transformer de l’intérieur pour mieux exploiter leurs droits, là où DC et Warner ont conservé tous leurs personnages. Aujourd’hui, que ce soit au cinéma ou dans ses transformations éditoriales, DC semble submergé par l’omniprésence de son concurrent, et tente d’appliquer certaines de ses formules pour survivre.
Et quand je dis « submergé », je ne parle pas à la légère. Marvel sort en continu des nouvelles séries, n’hésite pas àrelauncher après quelques numéros, et place ainsi des numéros 1 régulièrement sur les étals. Tous les ans ont le droit à leur relaunch, et les suppressions de séries passent inaperçues tant ça bouge, là où elles sont toujours plus visibles chez DC Comics. Le rythme de parution a également été complètement bouleversé, au point que sans qu’on s’en rende compte, une série peut sortir deux ou trois fois dans un mois, et une autre tous les deux ou trois mois, sans impact sur le public perdu sous trop de titres. Ne parlons pas des séries annoncées et qui ne voient pas le jour, noyées au milieu des sorties. La politique de Marvel peut se résumer ainsi : surproduire, pour créer l’illusion que tout va bien. En réalité, la qualité moyenne des titres tend à diminuer (nous en reparlerons via un retour sur All-New All-Different Marvel dans les prochains mois), mais tous les facteurs vont dans leur sens : le succès cinématographique, la puissance financière du groupe qui appartient à Disney, et l’arrivée récente de Star Wars dans leur ligne éditoriale, qui assure de bonnes ventes tous les mois.
TOP 30 des ventes de janvier 2016
Quant à Image Comics, l’éditeur a raflé la plupart des grands noms de l’industrie ces dernières années, et même les auteurs et artistes émergents, qui aiment cependant toujours passer par les deux grands éditeurs pour se faire connaître. Auparavant, DC Comics avait dans son giron Vertigo qui lui assurait une qualité « indé » impressionnante, mais les anciennes grosses séries se sont arrêtées, et la plupart des nouvelles grandes séries indé son chez les autres éditeurs. Quant aux personnages sombres de DC Comics comme Constantine ou Swamp Thing, ils ont été édulcorés et passés sous la houlette de DC Comics au plus grand désarroi de tout le monde.
Pour ne pas désavouer totalement Dan DiDio et les New 52, l’hybride Rebirth est donc probablement la meilleure solution, mais devra faire ses preuves. Et on y retrouve de bonnes idées, la plus importante étant le passage à 3$ de toutes les éditions normales (on retire ainsi les annuals, les numéros spéciaux, etc). Car la critique principale qu’on peut faire sur le marché des Big Two, c’est l’augmentation outrancière à 4$, voire de plus en plus souvent à 5$ chez Marvel. En baissant ne serait-ce que d’un dollar, et en espérant qu’on conserve une qualité identique d’édition, DC se place bien pour récupérer des parts de marchés à Marvel. Il existe deux modes de calculs des parts de marché chaque mois : le nombre d’exemplaires vendus, et le chiffre d’affaires, inhérent aux prix des titres vendus. Si Marvel continuera probablement à dominer côté chiffre d’affaires (ils ont Star Wars on vous dit), c’est bien le nombre d’exemplaires vendus qui constitue la donnée la plus importante, et DC a toutes ses chances pour remonter, égaler, et éventuellement dépasser Marvel. Il sera d’ailleurs intéressant de comparer les chiffres des lignes éditoriales principales (en retirant entre autres Star Wars de Marvel, et des titres comme Arrow, Injustice, etc de chez DC) après quelques mois de Rebirth.
Pour booster ses ventes, DC a choisi de suivre Marvel sur la voie des double-shipping, à savoir la sortie bimensuelle de certains titres les plus accrocheurs et vendeurs. L’idée, au détriment de la diversité, est de capitaliser sur les titres et les personnages forts. C’est une sorte de compromis acceptable fait par DC Comics, même s'il nous fait parfois grincer des dents. On pourra lui reprocher d’annoncer deux titres Justice League en bimensuel, ou de passer Harley Quinn et Suicide Squad sur ce mode, mais se sont des locomotives de l’éditeur. La ligne annoncée est pour le moment claire : capitaliser sur les gros personnages, et particulièrement ceux qui arrivent au cinéma (comment expliquer dans le cas contraire la survie de Cyborg, série catastrophique, avec un passage en bimensuel ?).
Rebirth ressemble fortement à une opération de la dernière chance, au point de se laisser des portes ouvertes pour réagir au plus vite. On notera entre autres qu’aucune équipe créative n’a été annoncée avec Rebirth, et on peut assez logiquement en déduire qu’elles ne sont simplement pas faites ou figées. L’annonce a été faite un mois avant les sollicitations pour le mois de juin, ce qui laisse à l’éditeur le temps de se poser pour placer ses pions sur les premiers titres. D’ailleurs, l’étalage des titres sur plusieurs mois est aussi un joker qui permet à l’éditeur de réagir au cas par cas selon les attentes du public. Ce n’est probablement pas pour rien qu’on nous annonce des séries pour juin, juillet… puis pour l’automne, ce qui reste très vague.
On sait déjà que tout n’a pas été annoncé, puisque des retours comme Prez se feront à l’automne, et qu’il est fort probable que des titres se développent autour d’univers, comme la JSA à l'ancienne, demandés par le public, ou d’autres séries féminines qui manquent cruellement dans ce relaunch. Un autre point à noter au passage : l’annonce de Rebirth ne s’est pas accompagnée d’annonces d’annulations en masse dans les sollicitations de mai. Sans doute pour préserver la surprise, même si on peut aussi supposer que certains des titres actuels continueront à vivre quelques mois pendant la transition.
Au final, ce relaunch laisse presque autant de questions qu’il n’apporte de réponses quant à l’avenir de l’éditeur. Comment gérer autant de séries bimensuelles au niveau des équipes créatives ? Y-a-t-il une vision à long terme (j’entends par là sur plus d’un an) ? Comment gérer la réintégration partielle de la continuité précédente ? Mais aussi et surtout : que se passera-t-il si ça ne marche pas ? Des têtes finiront-elles enfin par tomber ?
Dans tous les cas, vous pouvez compter sur nous pour suivre l’affaire de près, et vous offrir un retour sur ce nouveau relaunch le moment venu. Ça nous promet au moins un été bien rempli.