Nombreuses sont les voies amenant au monde des comics. Ainsi, il y a ceux qui ont toujours voulu faire de la bande-dessinée, d'autres qui sont arrivés là un peu par hasard et ceux qui ont emprunté des chemins plus que détournés. Nous avions déjà évoqué Joe Keatinge dont le travail d'éditeur l'avait tellement marqué qu'il s'était mis à vouloir lui-même écrire. L'artiste qui nous intéresse aujourd'hui a une trajectoire semblable, mais il est venu à l'écriture à partir d'une profession encore moins mise en avant que celle d'éditeur.
Ed Brisson est un artiste canadien qui comme beaucoup a fait une école d'art avant de galérer à trouver des contrats à la fin de ses études. S'il a de son aveu toujours aimé les comics, et voulu travailler dedans, l'artiste s'est spécialisé dans la calligraphie et le design. Si bien qu'il va s'installer en freelance, proposant ses services de lettreur. S'il travaille avec un grand nombre d'éditeurs indés, l'événement majeur en ce début des années 90 est l'émergence d'Image Comics. Il va alors se rapprocher d'eux et vite se retrouver engagé sur nombre de leurs titres. Bien qu'il soit toujours freelance, il va vite démontrer l'une de ses qualités premières : cet homme porte le stakhanovisme à son paroxysme ! Son nom se retrouve dans de nombreux comics dès lors, Brisson travaillant aussi avec Oni Press, BOOM! ou IDW.
Cette période lui permet de nouer contact avec de nombreux auteurs, scénaristes ou dessinateurs, et il va alors en profiter pour lancer, en 2005, alors qu'il est devenu l'un des rares lettreurs à s'être fait un nom, sa propre maison d'édition : New Reliable Press. L'aventure ne durera que cinq ans, avec une demi-douzaine de titres à son actif, mais va conforter Ed Brisson à son désir d'écrire par lui-même, lui qui participe au scénario de plusieurs comics qu'il édite. Rebondissant sur la fermeture de sa maison d'édition, il va en profiter pour lancer Murder Book, une anthologie qu'il auto-publie en 2010 et dans laquelle il s'associe à plusieurs de ses amis, dont certains, comme Simon Roy ou Michael Walsh, vont devenir des dessinateurs prometteurs du monde des comics.
Cette anthologie montre aussi le goût d'Ed Brisson pour le polar noir. Mais comme il l'a statué lui-même, ce n'est pas le polar classique des années 30 qui l'intéresse. Plutôt le néo-noir des années 70 et sa ribambelle de chefs-d'œuvre cinématographiques comme Taxi Driver qui vont l'inspirer. En effet, ce qui intéresse le canadien, c'est mettre des gens ordinaires, l'homme et la femme de la rue, face à la violence humaine. Ce qui lui plaît, et qui va continuer à l'obséder dans les années qui suivent, c'est de confronter le monde du crime à ceux qui y sont habituellement étrangers. Ce comic book auto-publié va se faire remarquer, si bien qu'Image, qui le connait bien finalement, va lui proposer en 2012 de lancer sa propre série, Come Back, avec Walsh. Cette série, un polar évidemment, ne va pas forcément rencontrer le succès (la révolution apportée par Saga n'a pas encore eu lieu), mais va conforter Brisson dans son envie de raconter ses propres histoires.
Alors qu'il continue toujours son travail de lettreur pour Image, mais aussi pour Marvel et DC Comics, Ed Brisson remet ça en 2013 avec Sheltered, où il s'éloigne du polar pur et dur tout en continuant à explorer le penchant pour la violence de l'être humain. Il y raconte un drame se déroulant dans une communauté de survivalistes et contrairement à sa précédente série, il va vite rencontrer le succès avec elle. Ce sera ce titre qui va définitivement lancer la carrière de scénariste du Canadien, après près de vingt ans dans l'industrie. A partir de là, il va accumuler les séries, en commençant par The Field pour lequel il retrouve Simon Roy (il a déjà prouvé qu'il était très fidèle envers ses collaborateurs). Il va aussi se voir proposer des séries par d'autres éditeurs, et en bourreau de travail accompli, il va accumuler les séries pour Marvel (Secret Avengers), DC Comics (Batman & Robin Eternal) ou encore BOOM! Studios chez qui il adapte Sons of Anarchy.
Ses séries creator-owned restent cependant les plus intéressantes, et il va même sortir de sa zone de confort en abordant des genres qui ne lui sont a priori pas familiers. Ainsi, pour Image, il va écrire The Mantle, où il s'adonne au classique genre super-héroïque, ou chez BOOM!, où il va signer Cluster, un space opera se déroulant dans un futur lointain. Pourtant, le polar n'est jamais loin chez Ed Brisson, comme le témoigne cette dernière série qui se focalise sur des criminels à qui l'on offre une grâce s'ils s'enrôlent dans l'armée terrienne qui s'étale à travers la galaxie.
Joe Keatinge va se souvenir de son passé d'éditeur quand il va le conseiller sur l'écriture, alors qu'ils travaillent tous deux sur Glory (Brisson en tant que lettreur) puis Shutter. D'ailleurs, on mesure l'importance du canadien quand il va devoir quitter cette dernière série, puisque Keatinge lui laissera une pleine page de son comics pour faire ses adieux aux lecteurs.
S'il a dû quitter Shutter, c'est que même un homme aussi travailleur que lui a désormais une charge de boulot plus que conséquente. En effet, 2016 est l'année de sa confirmation puisqu'il a lancé deux nouvelles séries. The Last Contract chez BOOM! Studios, l'histoire d'un ancien tueur à gages obligé de reprendre du service alors qu'il aspirait à finir sa vie en paix, et The Violent chez Image, série qui prend aux tripes où l'on voit un homme se débattre pour s'en sortir et être entraîné malgré lui dans un engrenage qui le ramène sur la voie de la violence. Ces deux nouveaux titres se déroulent à Vancouver, ville où vit l'artiste. Une ville qu'il avoue adorer même s'il sait qu'elle est la plus criminelle du Canada, et que de très nombreux problèmes de gangs la gangrène. Car pour Brisson, la violence est une composante essentielle de l'humanité et du quotidien. On devrait d'ailleurs réentendre parler du Canuck dans nos contrées sous peu, et vous pouvez être sûrs que l'on vous en tiendra informés.