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Edito #75 : le point sur le Captain America Gate

Edito #75 : le point sur le Captain America Gate

chronique

Tout le petit monde des comics, qui semble souvent devenu grand par effet d'annonce, en parle. Depuis quelques jours, les fans, les artistes et les cadres de l'industrie du comic book s'écharpent sur les révélations apportées par Nick Spencer à l'issue de Captain America : Steve Rogers #1, le twist du numéro étant devenu une polémique à part entière. Il est donc temps pour nous de résumer cette affaire, que beaucoup surnomment déjà le "Captain America Gate" !

Attention aux spoilers sur Captain America : Steve Rogers #1 !

Maintenant, l'objectif de cet édito' n'est pas de lister les différentes réactions qui se sont succedées depuis mercredi dernier sur les réseaux sociaux. Ni même d'élaborer des théories sur ce twist. Mais avant toute chose, rappelons quelques évidences : oui, placer les mots "Hail Hydra" dans la bouche de Captain America est choquant. Oui, il s'agit d'un cliffhanger typique de premier numéro, qui sera sans doute explicité dès sa suite, et en tous cas balayé dans trois mois lors d'un nouveau Marvel Now. Oui, l'idée est de vendre du papier. Et oui, dans ce cas de figure, Marvel semble avoir réussi son coup, puisque le cliffhanger de ce premier numéro a été discuté partout, jusque dans des journaux américains d'envergure nationale. Qu'il soit brainwashé, contrôlé par l'Hydra ou que cette organisation néo-nazie ait changé de forme, le résultat est le même : l'explication n'enlèvera rien au succès - qu'il soit mérité ou non - de l'éditeur, qui semble avoir réussi un coup médiatique comme les comics ne savent plus en donner, en 2016, et tout le problème est là.

Un manque de créativité criant

Car ce qui est peut-être le plus choquant dans toute cette histoire, c'est le manque de créativité total qui transparaît dans ce twist. Affilier Steve Rogers à l'Hydra peut assurément être aperçu par les lecteurs les moins menaçants comme une mauvaise idée. Et Marvel, qui avait déjà tenté l'expérience il y a quelques décennies et l'avait parfois reprise dans des formes plus pernicieuses depuis (je pense au run de Remender sur le personnage), ne semble pas apprendre de ses erreurs. Il faut dire que les comics évoluent, de nos jours, dans un paradoxe total : ils n'ont jamais eu autant de notoriété, grâce aux très nombreuses adaptations sur grand écran, même au-delà du spectre des Big-Two, mais aussi peu de lecteurs de papier. Voilà les ingrédients d'une recette putassière, celle d'un twist franchement pas inspiré au milieu d'un numéro anodin, qui fera forcément parler de lui, maintenant que Captain America est une figure connue voire adorée par des millions de personnes grâce au cinéma. Le calcul était sans doute vite fait dans la tête de l'éditeur Tom Brevoort et il aura beau prétendre le contraire, le twist était né pour faire exploser internet. Et même en laissant le bénéfice du doute ou la présomption d'innocence à Brevoort, impossible d'imaginer qu'il puisse être réellement surpris par le tôlé récolté par le cliffhanger de Nick Spencer.

Mais en même temps, qui s'intéresse aux tenants du problème, quand l'aboutissant revient à une discussion sur le nazisme et les causes que se doit de défendre ce bon Cap' ? La stratégie de l'éditeur, pour le coup, s'apparente à celle de l'Hydra : il a donné à bien des fans un objet de discorde illusoire, quant le vrai débat, si j'ose dire, devrait porter sur la créativité derrière un pareil cliffhanger. Et n'y allons pas par quatre chemins, elle est bien maigre, comme l'ont heureusement souligné certains fans qui se sont amusés à détourner la révélation en retournant toutes les caractéristiques fondamentales de certains héros Marvel et DC en une image.

 

Car on est en là. Nous en sommes à ce niveau de création. Celui où on pourrait imaginer que Peter Parker n'a que faire des responsabilités. Celui où Deadpool choisit de ne plus aimer les Chimichangas. Celui où Daredevil fait semblant d'être aveugle pour draguer - bon, celui-là existe déjà depuis bien longtemps, mais passons. Celui d'un what-if estival et rien de plus, en somme. L'avantage avec le détournement ci-dessus (que vous retrouverez complet en galerie) c'est qu'il explicite avec humour et une simplicité désarmante la nature totalement ridicule et artificielle de la révélation, que certains ont toutefois cherché à défendre depuis quelques jours.

Peut-on défendre le twist ?

Et il convient de rappeler que chacun est en droit de défendre cette pirouette scénaristique, aussi faible soit-elle - à mon sens. Pour la simple et bonne raison que rien n'est jamais définitif ni trop ancré dans la continuité dans le monde des comic books, pour commencer. On donne souvent la mort de leurs super-héros pour expliciter ce constat, mais l'affiliation de l'un d'eux n'est pas d'avantage gravée dans le marbre. Et même si l'association de Steve Rogers à l'Hydra est (volontairement) choquante, elle n'a évidemment rien d'immuable. De toute évidence, le second numéro s'occupera déjà de nuancer le cliffhanger - Nick Spencer ayant déjà réinventé des organisations secrètes dans son run sur Sam Wilson, on peut s'attendre à quelque surprises - et le relauch annuel de Marvel effacera de toute façon cette révélation en moins de temps qu'il ne faut pour le dire. Et aucun affect au personnage ne peut barrer la route à ce constat.

Comme le rappelait assez bien James Gunn sur sa page Facebook, et Max Landis sur Twitter, si votre enfance est gâchée par un twist pareil, peut-être ne vous souvenez-pas des révélations de votre jeunesse de lecteur, qui elle aussi contenait son lots de cliffhangers et réinventions peu inspirées. Dans le même ordre d'idée, entendre dire que les 75 ans d'histoire du personnage sont balayées par Nick Spencer est un peu fort de café. D'une part parce que Marvel avait déjà tenté ce genre de twist il y a quelques années, comme nous le disions. D'autre part parce que ce sont justement l'essence de ces 75 ans qui font la force du personnage, et qu'il ne sera sans doute jamais connu pour être un nazi, comme Batman ne sera jamais connu pour être Dick Grayson dans la tête des lecteurs, même s'il a souvent assuré l'intérim de son mentor. Et pour rester sur ce qualificatif de "nazi" - et encore une fois, il faudra prouver que l'Hydra à laquelle obéit désormais Captain America est bien la même que nous connaissons - il convient de rappeler que les gens qui défendent le concept derrière ce twist ne sont pas automatiquement des adeptes du nazisme et/ou des antisémites. Et si vous pensez le contraire, n'oubliez d'aller insulter Stan Lee, qui a défendu Nick Spencer ce week-end.

Le fin mot de l'histoire

Tirons - au sein de cet édito', puisque nous en débattons à l'oral dans le prochain Popcast - un trait sur cette histoire, en rappelant, à tout hasard, que les meilleures séries de Marvel, et l'idée se vérifie aussi chez la Distinguée Concurrence, sont encore celles qui se soucient le moins de la continuité, évoluant dans une bulle où la créativité a sa place, là où d'autres titres semblent forcés d'avancer sur un rail vieux de près d'un siècle, qui incite forcément les éditeurs et les auteurs à le tordre dans tous les sens. N'oublions pas, aussi, de traiter cette idée d'un "HydraCap" comme un  incident de parcours, Marvel ayant également réussi à réinventer ses héros en utilisant des procédés similaires, comprenant que ses personnages étaient plus que leurs attributs physiques. Ils représentent quelque chose de plus grand, et c'est justement ce qui explique que nous puissions êtres vaguement choqués par les révélations de ce numéro. L'éditeur a peut-être ici trop forcé le trait, et par conséquent, comprendra, d'ici quelques temps, les limites de cette technique, et corrigera naturellement le tir.

Enfin, quitte à céder à une théorie du complot, considérons celle-ci : selon certains fans et quelques spécialistes, le twist aurait été motivé par Ike Perlmunter, président de Marvel, qui mettrait ici un drôle de bâton dans les roues de Marvel Studios, qu'il ne contrôle plus depuis leur départ définitif pour les eaux plus claires de Walt Disney Studios. Une théorie qui pourrait expliquer la réaction d'un certain Chris Evans, mais qui ne devrait évidemment pas limiter l'ascension du studio dans les salles obscures du monde entier.


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