La rumeur du moment voudrait que J.J.Abrams soit sur la liste de Warner Bros quant à la réalisation d'un potentiel Man of Steel 2. Une information qui émane en fait d'un obscur redditor qui s'est amusé à lister tout un tas de réalisateurs qui seraient attachés aux futurs projets du DC Extended Universe et qui cache néanmoins une vérité : J.J.Abrams, l'homme de tous les reboots, a effectivement travaillé sur un film Superman au début des années 2000. Retour sur Flyby, un Man of Steel avant l'heure.
Nous sommes au début des années 2000 et Warner Bros entend dépoussiérer le mythe de Superman, après l'échec de Superman IV : The Quest for Peace mais aussi le devlopment hell rencontré par l'adaptation de Death of Superman, un temps conduit par Kevin Smith puis par Tim Burton, dont on vous parlait ici. L'heure est au hard reboot, influencé par le succès d'une autre (future) franchise majeure de Warner Bros, The Matrix. Et c'est à J.J.Abrams qu'on confie le développement scénaristique de cet ambitieux projet qu'est ce départ "moderne" de Superman pour les salles obscures. Un film qui répond au working title de Superman : Flyby, et qui s'offrira deux scénario bien distincts, développés en parallèle d'un autre film potentiel : Batman v. Superman : Asylum, écrit par Andrew Kevin Walker (Se7en) et auquel Wolfgang Petersen (Troie) était à l'époque attaché.
Si Man of Steel fait souvent parler de lui comme d'un film permissif à l'égard de la mythologie de Superman, il fait office de bon élève face au Flyby d'Abrams. Et si le film de Snyder est souvent critiqué pour ses dantesques scènes d'action, dites-vous qu'il n'est jamais qu'un film indépendant à côté de ce qu'Abrams imaginait dans son premier scénario - qui à Hollywood, sont souvent les plus fous, toutefois. On retrouve aussi dans cet essai tout ce qui fera plus tard la marque de plusieurs films d'Abrams, dont son reboot de Star Trek : une narration très voire trop explicative. Dans le premier scénario, il faut dire que tout est expliqué, comme si le bonhomme tenait à rendre crédible le moindre élément de la mythologie du Kryptonien. Le général Zod est ainsi remplacé par un rival de Superman nommé Ty-Zor, les lunettes de Clark Kent deviennent une protection lui permettant de mieux maîtriser les pouvoirs de ses yeux etc. Autres anecdotes amusantes : Clark choisit le journalisme en rencontrant Lois Lane à une soirée étudiante et son père adoptif, Jonathan, décède d'une crise cardiaque en apprenant l'existence de Superman dans les journaux : vous voyez l'idée, tout doit être expliqué et connecté.
Par ailleurs, le film, tout comme Man of Steel, propose une vision assez dense de la civilisation kryptonniene. Dans son scénario, J.J.Abrams décrit jusqu'aux jeux de société des kryptonniens, et imagine une société très avancée où vivent des machines, des armures de combats (bio-mécaniques) et des centaines d'espèces non-intelligentes. Il imagine même que toutes les séquences sur Krypton - qui ne sont pas limitées à l'ouverture, au contraire de Man of Steel, puisque la planète n'est ici jamais détruite - seront tournées dans la langue de la planète - une assez belle idée, il faut bien le reconnaître. Mais comme si ses séquences n'allaient pas coûter assez cher au studio, Abrams imagine l'arrivée de Ty-Zor (une sorte de Zod, pour ceux du fond qui ne suivent pas) sur Terre comme une invasion alien globale, où Metropolis, Gotham, Paris ou encore l'Egypte sont attaquées. Par ailleurs, le bonhomme envisage son film comme le premier volume d'une trilogie (sans doute poussé par Warner Bros et le succès de Matrix ou encore le développement du Seigneur des Anneaux) : apparaissent ainsi des dizaines de rôles secondaires kryptoniens, mais aussi une prophétie (qui sera d'avantage développée dans la seconde version), et des backgrounds totalement hasardeux, comme celui de Lex Luthor présenté comme un employé de la CIA (tiens tiens) spécialisé dans la recherche d'OVNI, mais qui est en fait un agent dormant kyrptonien, envoyé sur Terre pour traquer Kal-El. Quand on vous dit qu'Abrams entend expliquer le moindre détail de la mythologie Superman, comme la haine de Luthor envers Superman, on ne vous ment pas.
J'oublie également un élément très important : la présence, au sein des deux scénarios, de la mort de Superman. Dans les deux versions de Flyby, Clark trouve en effet la mort face aux kryptoniens, avant de revenir à la vie pour les défaire, au sein du même film. La structure du métrage repose ainsi sur l'apparition de Superman, la confiance qu'il génère dans le cœurs des humains, qu'il perd ensuite à l'arrivée de Ty-Zor, avant de la retrouver en se sacrifiant face à lui, pour mieux revenir, une fois régénéré, cogner son rival et ses potes. Dense vous dites ? Oui, mais rappelons que le forcing de Warner Bros sur l'adaptation de La mort de Superman ne date pas d'hier : elle avait commencé dans les nineties avec le scénario de Kevin Smith et s'est (enfin) terminée cette année avec la sortie de Batman v Superman.
Par ailleurs, et tout comme Man of Steel, le film se veut riche en action. Il contient des Méchas kryptoniens ravageant les villes du monde entier, et même une sorte de garde personnelle (qui sera reprise par Zack Snyder) pour Ty-Zor, qu'Abrams décrit comme des sortes de ninjas capables de mouvements impossibles. Sans compter une scène où Superman sauve Air Force One, qui deviendra quelques années plus tard la scène de sauvetage épique du Superman Returns de Bryan Singer.
Autant vous dire que Warner Bros finit par demander à J.J.Abrams de garder les pieds sur terre pour son second brouillon. Il rend ainsi, en octobre 2003, un scénario éclairci de 125 pages (le premier en faisait 139), ce qui est plus proche des standards hollywoodiens, mais qui n'empêche toujours pas Flyby de tuer et de ramener à la vie Superman. Cela dit, le scénario est peut-être plus en phase avec l'esprit du personnage. On retrouve en tous cas une dynamique plus typique des aventures du Boy Scout, avec notamment, une jolie trinité autour de Clark, Lois et Lex. Celui-ci n'est plus un employé de la CIA ou un agent dormant d'ailleurs, mais un junkie passionné par les OVNI qui devient un génie le jour où il touche une sonde kryptonienne envoyée fliquer Clark Kent, qui le rend chauve et encore plus obsédé qu'il ne l'était par les aliens, jusqu'à concourir pour la Maison Blanche. Ce seront d'ailleurs Lois et Clark qui enquêteront sur sa campagne, tandis que notre Lex attire les Kryptoniens (toujours vivants même si leur monde est cette fois partiellement détruit) vers notre monde pour foutre la pagaille et défaire Superman à sa place.
Le film est aussi plus léger en action et en exposition : l'enfance de Clark est résumée dans un clip show, tandis que les séquences kryptoniennes sont limitées. L'intrigue gravite plutôt du côté de Luthor (tout comme dans Batman v Superman), qui parvient à découvrir l'identité de notre héros lors du fameux crash d'Air Force One. En effet, au beau milieu de celui-ci, Supes sauve Lois en premier lieu, avant même de penser au président des Etats-Unis. La légèreté passe également par les dialogues, et les scènes entre Superman et Luthor évoquent d'avantage les aventures animées du héros, tandis que les blagues douteuses sur la sexualité d'un Jimmy Olsen sont retirées. Bref, ce second Flyby est un mélange de Man of Steel, de BvS et de Superman Returns, et en tous cas, un film plus abordable pour le studio et les spectateurs, qui auraient sans doute été moins perdus devant cette version "allégée" du film.
Si bien que Warner Bros commencera une post-production sur ce film, ne craignant sans doute pas, à l'époque, un nouveau devlopment hell. C'est pourtant un petit bourbier qui attend Superman : Flyby, malgré deux réalisateurs très excités par le projet. Abrams n'est pas encore metteur en scène (aux yeux de Hollywood du moins) et ce sont ainsi Brett Ratner (dans la force de la hype avec Rush Hour, et bien avant X-Men : The Last Sand) et McG (avant le sous-estimé Terminator Salvation - j'en place une pour les miens) qui gravitent autour du squelette de Flyby. On engage même Phil Saunders (qui travaillera plus tard sur Avengers, John Carter ou Tron : Legacy) pour quelques designs, tandis que The Stan Winston Studios (Terminator 2, Predator, Alien) se charge des costumes.
Les déclarations de l'époque rapportent même une ébauche de casting. Anthony Hopkins (futur Odin) aurait pu être Jor-El, tandis que Robert Downey Jr aurait joué Luthor, bien avant son retour ultra-gagnant dans la peau de Tony Stark. Des coïncidences tout simplement dingues. Un Shia LaBœuf avait également été casté, pour le rôle de Jimmy Olsen, et McG souhaitait voir Scarlet Johansson se glisser dans la peau de Lois Lane. Du côté de Superman, ironiquement, Henry Cavill est testé mais pas approuvé (il avait 20 ans), Aston Kutcher et Josh Hartnett sont les chouchoux de Warner Bros et des rumeurs folles évoquaient Justin Timberlake, quand Brett Ratner envisageait plutôt Matt Bomer (White Collar, The Nice Guys) pour le rôle.
Après quelques mois de pré-production, le projet Flyby fut tué dans l'œuf pour une simple et bonne raison : l'argent, même si on imagine que le processus de casting, complexe, a également joué dans la décision du studio, inquiet de répéter les erreurs du passé. Même dans sa seconde mouture, Flyby était un film cher, très cher, que seul l'accélérationnisme des tentpoles des années 2010 aurait pu nous offrir, ce qu'il fit en donnant naissance à Man of Steel en 2013. Par ailleurs, le film était un pur produit de son temps : il voyait déjà une trilogie là où il n'y avait pas un seul bon film, les bastons étaient délibérement inspirées de Matrix, et le scénario tentait de tout expliquer - un aspect qu'on pourrait toutefois reprocher à Abrams, plus directement. Mais si Flyby sent bon le début des années 2000, il avait aussi, et peut-être surtout, tous les maux d'un blockbuster de 2016. L'intrigue et les événements se densifient artificiellement, le quatrième acte (lubie persistane des blockbusters) est gargantuesque et bien peu de place est laissée à la dramaturgie dans sa forme la plus pure.
Cependant, il y avait, dans ce film, une approche tout à fait curieuse de Krypton. Dans les mots d'Abrams, on sent déjà la passion du bonhomme pour les univers de SF où le moindre détail à son importance, de la langue à l'écosystème en passant par les jeux de société. Par ailleurs, le fait que Krypton survive à son sort "classique" promettait une dynamique assez intéressante, qui évoque déjà, entre les lignes, le Superman Earth One de Joseph Michael Stracynski, par exemple. Reste à savoir si cela aurait suffit à faire de Flyby un bon film. Mais ce n'est peut-être pas la question la plus intéressante. A la lecture des résumés et d'extraits du scénario d'Abrams, je me demande surtout comment un film qui aurait pu sortir en 2005 préfigure, quasiment en tous points, les écueils des blockbusters de 2016. A méditer.
En galerie : des designs de Phil Saunders et Steve Johnson pour le film.