La semaine dernière, mon cher Republ33k montait au créneau pour partir à la défense de ce bon vieux Steve Rogers, qui souffre bien souvent de son identité héroïque qui inspire patriotisme, amour du gouvernement et de son chef. Évidemment, en s'arrêtant à l'alias Captain America, il est simple de prendre le personnage pour le défenseur des couleurs de l'Oncle Sam alors que son incarnation est plus nuancée, ce que ce bon vieux Luc Besson n'a probablement pas compris, ainsi que ceux qui ne prendront pas le temps de s'arrêter sur son cas.
Mais ce papier sur Captain America m'a donné envie de m'exprimer sur un personnage, l'autre face de Marvel Studios, bien souvent mise sur un piédestal pour renvoyer une image de réussite selon les critères de notre société capitaliste en multipliant les voitures chères, les costumes impeccables et les maisons gigantesques (qui peuvent exploser). Il s'agit évidemment du bien nommé Tony Stark. S'il apparaît comme droit dans ses bottes et l'ami des institutions gouvernementales, le héros incarné dans les salles obscures par Robert Downey Jr. est pourtant celui qui marche le plus finement sur une ligne morale, en étant paradoxalement le parfait représentant de la face cachée, et bien souvent, obscure de notre société.
Il ne faut d'ailleurs pas chercher très loin pour comprendre l'ambivalence primaire du personnage puisque Tony Stark est dans un premier temps un vendeur d'armes grâce à la société qu'il dirige et qui est l'héritage direct de son père, Stark Industries. Si l'ami Tony cherchera à s'éloigner de ce chemin, ce qui est pas mal mis en avant dans le film Iron Man de 2008, le sang est finalement à l'origine de sa fortune. Un reproche qui lui sera souvent fait par ses ennemis. Tony se bâtira finalement lui-même sur son expertise des armes en créant le prototype de l'armure d'Iron Man avec ces même armes, vendues dans tous les camps (même s'il perd le contrôle de cette diffusion) pour alimenter les conflits armés qui fleurissent autant dans l'univers Marvel que chez nous. Finalement, il participe à la suprématie des super-puissances économiques.
C'est notamment ce lien étroit qu'entretiennent Tony Stark et le gouvernement (américain, en l'occurence) qui sera la raison de ses discordes principales avec Captain America et d'autres membres des Vengeurs. Contrairement à Steve Rogers, incarnation de l'idéal démocratique et de ses valeurs, le fils d'Howard n'en est que son protecteur institutionnel. Aux yeux de notre héros, la démocratie dépend de la République et il entretient des liens proches avec le gouvernement américain qui justifie, selon sa propre morale, ses positions très controversées, notamment sur la question du recensement des super-héros. En effet, Tony affirme qu'il est impératif d'être sous le contrôle des Nations Unies pour servir l'intérêt du plus grand nombre, où Steve Rogers comprend que cela signifie surtout travailler aux services des gouvernements et non des peuples.
Cette ambivalence morale est d'ailleurs la sève du personnage qui souffre intérieurement de son chemin sinueux entre les côtés obscurs et clairs de la Force. Clairement, Tony Stark est l'un des personnages de Marvel qui pâtit le plus d'une perpétuelle tauromachie intérieure qui lui vaut d'ailleurs plusieurs fois de sombrer dans l'alcool (par la perte de son armure, et donc de son pouvoir, dans le Diable en Bouteille notamment). Il faut d'ailleurs voir une certaine forme de naïveté dans ce personnage, pourtant brillant, qui n'a de cesse de bâtir les technologies les plus dangereuses, souvent justifiées par son rôle de Vengeur, sans comprendre les controverses qu'elles peuvent engendrer.
L'exemple le plus criant reste évidemment Avengers : Age of Ultron (pour le grand écran), dans lequel, Tony a construit une armée de robots pour protéger le peuple, l'Iron Legion, qu'il espère améliorer grâce à la technologie du Sceptre détenu par Loki qui puise dans l'énergie du Tesseract. Sans surprises, l'I.A va prendre le contrôle de toutes les installations du bonhomme pour finalement s'extraire et devenir Ultron, avec pour but d'en finir avec l'humanité. Si cette "Vision" est évidement mise en scène, on peut y voir ici une critique forte des technologies encore expérimentales développées chez Google sur les intelligences artificielles. Plus récemment et sur papier cette fois-ci, dans le premier arc de Superior Iron Man, Tony Stark décide d'utiliser une application téléphone pour améliorer l'aspect physique de tous les habitants de San Francisco. Si ici, les lignes morales du personnages sont clairement franchies dans la mauvaise direction, Tom Taylor attaque (avec plus ou moins de réussite) l'addiction forte de notre société aux smartphones, au net et aux réseaux sociaux en conséquence directe. Au passage, l'auteur présente l'idée d'un Tony Stark impliqué dans le Big Data pour s'élever à un statut équivalent d'un demi-dieu auprès de la population de la ville ("Superior" Iron Man), maintenant dépendante de son produit.
Ce dernier point, mis en emphase dans la série de comic-books, et finalement présent dans l'ADN du personnage, permet d'attaquer son narcissisme. Porté à des degrés plus ou moins forts chez les uns ou les autres, l'avènement d'internet a engendré une société fortement égo-centrée, pour le meilleur et le pire (le selfie), que Tony Stark incarne sans doute dans une version presque caricaturale. Tout le monde a un avis sur le net et tout le monde veut que ce dernier compte plus que celui des autres, pour finalement s'élever au niveau des 7 442 milliards de comptemporains. L'une des différences majeures entre Iron Man et d'autres héros est probablement son envie irrepréssible d'alimenter sa popularité. Il n'hésite d'ailleurs pas à donner son identité secrète pour que les exploits d'Iron Man soient automatiquement liés à son nom. Sa dépendance à la célébrité se retournera d'ailleurs contre lui dans Iron Man 3 alors qu'il provoque ouvertement le Mandarin, qui n'est pas vraiment taquin.
Au final, Tony Stark reste probablement l'un des héros de Marvel les plus complexes puisqu'il incarne clairement les dangers de notre société moderne et l'avènement de la technologie, dont les bénéfices (éducation, effacement des frontières, communication,...) sont probablement aussi nombreux que ses inconvénients (réchauffement climatique, surveillance de masses, répartition des richesses, etc...). Peter Parker refuse d'ailleurs catégoriquement l'héritage de Tony Stark dans Spider-Man : Homecoming. Faut-il y voir ici un signe de rejet de la nouvelle génération pour notre société capitaliste ? Il n'y a qu'un pas. Quoi qu'il en soit, Iron Man a choisi d'être un héros et c'est probablement ce qui marque la différence entre lui et n'importe lequel de ses ennemis.