Qui garde les gardiens ? Qui veille sur les veilleurs ? Une citation d'un poème roman, éparpillé par Alan Moore au milieu d'une constellation de références et de niveaux de lectures dans son Watchmen. La phrase peut s'appliquer à un niveau plus prosaïque, aux auteurs de BD. Qui décide de ce qui peut ou doit être fait ? Dans les kiosques cette semaine, un passage forcé pour l'édition, qui fera date à n'en pas douter sur le statut de l'auteur ou la compréhension globale de l'univers DC. Ça s'appelle Doomsday Clock (subtiles initiales) et ça sort aujourd'hui, parce que rien ne finit jamais.
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Présentation si vous aviez raté les épisodes précédents. On annonçait, on confirmait que Geoff Johns avait dans ses plans, avant de quitter le lead publishing pour le cinéma dont il est depuis revenu, l'envie de mêler le Watchmen d'Alan Moore et Dave Gibbons au tronc commun de séries DC Comics. Plusieurs premières pistes ont été distillées, dont la très bonne introduction de The Button par Tom King à l'époque, où encore plus haut, dans le personnage de Mr Oz dans la série Superman, également signée Johns.
C'est ici que se terre le premier constat : l'auteur renoue avec une tradition qui s'était perdue en chemin après Final Crisis, découper un événement avec des années d'avance (façon Countdown) sans en faire trop. Les héros de Doomsday Clock se sont éparpillés dans les séries DC en filigrane d'autres arcs - ceux de Superman, de Flash, de Darkseid War, et on a peu à peu tissé une toile de fond autour du cosmique et des fameuses dix années manquantes pensées pour Flashpoint. Après qu'un certain personnage bleu ait (vraisemblablement) mis la très utile (c'est de l'ironie) Pandora hors jeu, on retrouve en effet cette façon de penser l'éditorial sur le long terme.
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De préparer les Crises comme un aggloméré de continuité, et quelque part, comme le Monitor, une envie de ne pas montrer un personnage crucial tout de suite et de le distiller peu à peu. Mais tout ça profite plus à une stratégie d'ensemble, pour un DC qui va bien en ce moment, et moins à l'écriture même du numéro. Ce-dernier est hélas en deça des attentes, sans être catastrophique non plus. Parlons en.
Le besoin de Doomsday Clock était clair dès la preview : expliquer, reconnecter au monde de Watchmen et imaginer la suite. On retombe dans l'uchronique monde où le Dr Manhattan aura influencé le destin de l'Amérique, une destruction de cité plus loin. Le monde s'est aperçu de la supercherie, Ozymandias est en cavale, les Etats-Unis se préparent à s'entre-tuer. L'urgence rappelle les débuts de Watchmen même, où, quand le comics démarrait, on était déjà au bord d'une apocalypse qu'Adrian Veidt n'aura fait que remettre à plus tard.
Johns cherche à coller à l'écriture de Moore, sans y parvenir. Pas mauvais dans sa narration interne, quelques idées (comme un présentateur dont la réplique se répète dans la dualité d'écrans de télévisions) ou les pages d'introductions, le scénariste se retrouve piégé à sa propre habitude de dialogues dès le premier échange. On retrouve son goût pour le page-turning, un scénario efficace qui va de A à Z sans fioritures ou subtilités, et là où on ne peut pas dire que Johns écrit mal, on peine à retrouver la grandeur, l'urgence et la profondeur de Watchmen passée l'introduction.
Une blague sur les pancakes trop tard, le scénariste instaure deux nouvelles figures en complément de celles que vous pourriez connaître (et explique plus ou moins le "secret" Rorschach, ce qui aura aussi à charge d'agacer les puristes de l'original), là-encore dans un style qui fait plus DC moderne qu'autre chose. Quelque part, on en vient à se demander si le projet n'est pas justement de tourner le monde de Watchmen sous cet angle mainstream, pour canoniser un peu plus l'ambiance générale dans un ton "à la DC", ou bien si les choses se font d'elles-même, l'écriture du bonhomme étant si évidemment liée à son éditeur.
Le numéro est trop introductif. On en apprend pas beaucoup plus, sinon le pitch que l'on pouvait imaginer. Comme d'habitude avec Johns, les personnages et les dialogues priment, et à la conclusion on se demande s'il n'aurait pas été salutaire de proposer un second numéro de quatre-vingt pages plutôt que de délayer une attente déjà bien longue. De son côté, Frank peine un peu à s'approprier les héros de Gibbons - lui aussi n'est pas mauvais, loin de là, mais son style (qui s'épanouissait mieux sur les pages N/B) colle mal aux héros Watchmen ou à la dramaturgie d'ensemble. On a vraiment l'impression de lire un premier numéro de crossover, et vu l'ampleur générale des faits, c'est un peu dommage.
Voilà le constat général - oui, non, ce n'est ni mauvais ni bon. C'est une introduction à la Johns, qui ne répond à aucune question et ne soulève aucun des points que le fandom aurait aimé aborder, pour le moment. Mais surtout, le numéro ne répond absolument pas à la question "à qui appartient Watchmen", le scénario offrant un effort minimum pour canoniser la rencontre à venir, et on évolue en fait dans le pur domaine de la fan-fiction. Malheureusement il est difficile d'en dire plus vu l'aridité de cette entrée en matière, excepté que l'attente n'est pas comblée et que le fanclub Alan Moore n'a pas encore de quoi se guérir du deuil.