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Hérédité, sport et afro-futurisme : retour sur la filmographie de Ryan Coogler

Hérédité, sport et afro-futurisme : retour sur la filmographie de Ryan Coogler

chronique
Dans une Terre parallèle, le nom de Ryan Coogler n'est pas aussi connu qu'ici. Peut-être parce que Marvel Studios a choisi un autre réalisateur pour s'occuper de Black Panther, comme Ava DuVernay, un temps envisagée derrière la caméra. Mais sur cette Terre, il se peut aussi que Ryan Coogler soit connu pour tout autre chose, comme le football américain, au hasard.
 
Ceux qui voient à quoi ressemblent le bonhomme le savent peut-être, Ryan Coogler est bien bâti. Une carrure qui s'explique par quelques années de football américain, qui aurait pu être l'une des nombreuses carrières potentielles du jeune homme né à Oakland. Du haut de ses 31 ans, Coogler accumule en effet une expérience assez dingue dans de nombreux domaines

Du footballeur à l'auteur

Bon en maths et en sciences au lycée, le petit Ryan avait visé l'université Saint Mary de Californie à l'aide d'une bourse qui, comme souvent aux Etats-Unis, est liée à vos résultats sportifs et votre utilité dans l'équipe de football locale. Admis en tant qu'étudiant en chimie, le futur réalisateur fit ses premiers pas vers sa vocation sur les conseils de l'une de ses professeures, qui l'encouragea à écrire.
 

En 2004, son programme universitaire sportif est annulé, et il rejoint donc Sacramento pour quatre ans. Toujours joueur de football, il étudie cette fois la finance, mais met un point d'honneur à prendre un maximum de cours de cinéma sur son temps libre, amoindri par des matchs et des entraînement très nombreux. Ce qui ne l'empêcha pas de rejoindre l'USC School of Cinematic Arts, où il signera quatre courts-métrages - Locks, Fig, The Sculptor et Gap - salués en festival pour la qualité de leur scénario et leur engagement. C'est durant cette période que Coogler, comme tous les réalisateurs, trouva d'ailleurs ses premiers thèmes forts, comme la famille et évidemment, le sport.

Les fruits Fruitvale

Mais c'est son premier long-métrage qui le fera assurément décoller, grâce à deux rencontres majeures, notamment : celle avec Forest Whitaker, qui va produire ce film, et celle avec Michael B. Jordan, qui deviendra sa muse - pour la petite anecdote, il avait écrit le scénario en ayant l'acteur en tête. L'entente est immédiate et donne naissance à Fruitvale Station, qui retrace les 24 dernières heures d'Oscar Grant, assassiné par la police d'Oakland en 2009.
 
 
Engagé, touchant et poignant, le film fait forte impression au festival du film indépendant de Sundance, puis à Cannes où il fera partie de la sélection Un Certain Regard en 2013. Brouillant les limites entre documentaire et fiction, Fruitvale Station forge le nom de Coogler en l'associant à ce meurtre sordide, reproduit avec un sens du détail troublant, puisque la scène en question a été tournée dans la même station de métro, à l'endroit exact ou l'on peut encore apercevoir l'impact d'une balle tirée par l'officier Johannes Mehserle.

L'effet coup de poing

Traitant assez habillement de l'hérédité, un thème pour le moment commun à toute sa filmographie, le métrage l'amène naturellement vers Creed, que lui offre la MGM suite au succès de Fruitvale Station. Cette fois, le fils d'un criminel tentant de se reconnecter avec la vie civile devient le rejeton d'un boxeur, qui va être entraîné par le célèbre Rocky. Encore une affaire de famille, mais aussi de sport. On notera d'ailleurs que le père de Coogler avait l'habitude de lui faire regarder Rocky II avant ses matchs les plus importants lors de sa carrière de footballeur universitaire.
 

 
La passion est donc au rendez-vous, et les moyens de cette production décuplent l'inventivité et le savoir faire de Coogler, qui ne perd pas de vue ses thèmes fétiches pour autant. Évidemment, Creed est un moyen d'encapsuler l'amour du réalisateur pour le sport tout en prolongeant l'aspect familial, ici exploré via les figures de la mère inquiète, déjà présente dans Fruitvale Station et du père absent, lui aussi abordé dans le premier film de Coogler. Mais on relèvera surtout la figure du père adoptif en la personne d'un Rocky incarné par un Sylvester Stallone diminué mais bluffant.
 
L'ensemble se veut aussi touchant que divertissant, et aide Coogler a forger son style. L'aspect quasi-documentaire de Fruitvale Station évolue ainsi dans des plans-séquences diablement efficaces, qui rendent compte de toute la perséverence d'Adonis Creed. Les coups font mouche, mais les plus violents ne sont pas distribués sur le ring. La vraie violence de Creed est contenue dans le déterminisme du personnage, paralysé par ses origines et la gloire de son père, mort sur le ring. Tout comme Fruitvale Station, le film s'impose donc petit à petit comme une étude du quotidien de la population afro-américaine.

Afro-futurisme

Et c'est sans aucun doute cet engagement permanent, qui prend des formes et des fonctions très variées dans les deux premiers films de Coogler, qui poussa Marvel Studios à l'engager pour Black Panther. On sait qu'Ava DuVernay, la réalisatrice de Selma et du prochain Un Raccourci dans le Temps avait été courtisée, mais son style correspondait peut-être moins au cahier des charges du studio de Kevin Feige.
 

 
Si on le sait doué pour filmer les bagarres, on espère toutefois que Coogler ne se limitera pas à quelques jolis plans-séquences dans le prochain opus du Marvel Cinematic Universe. Puisque l'aspect engagé du film est déjà avéré, avec une équipe créative et un casting plus que majoritairement noir-américian pour un blockbuster se déroulant en Afrique (aussi fictive soit-elle), l'apport de Coogler pourrait être plus personnel ou original qu'on ne le croit. Fort de 200 millions de dollars de budget, le réalisateur va pouvoir perfectionner son style et donner vie à son propre afro-futurisme.

Courtant artistique et philosophique, ce dernier regarde les problèmes actuellement vécus par les populations noires du monde entier et examine les événements historiques de notre monde à travers le prisme de la science-fiction ou de la fantasy. Le personnage de Black Panther a toujours été l'un des exemples les plus fameux de l'afro-futurisme, mais confier son adaptation sur grand écran à Coogler va encore plus loin, puisque tous les films du bonhomme parlent déjà de la diaspora africaine, l'un des pilliers du courant.
 
 
Les mains libérés des chaînes de la vraissemblance et du réalisme, le réalisateur va pouvoir distiller ses thèmes favoris et l'engagement de l'afro-futurisme dans une aventure qui appelle à l'évasion tout en divertissant. Après tout, d'après les premiers retours critiques sur le film, Black Panther n'est rien de moins que le James Bond du Marvel Cinematic Universe, un verbatim qui nous fait saliver d'envie.
 
A n'en pas douter, Black Panther sera un film important. Pour la représentation qu'il défend. Pour les derniers pas de la troisième phase du Marvel Cinematic Universe. Mais aussi pour Ryan Coogler, étoile qui n'a pas eu à sacrifier son activisme pour monter les marches d'Hollywood. Son style percutant et l'intimité qu'il réussit à mettre en scène en montrant des familles qui souffrent mais restent unies, associés à son engagement classieux, pourraient le mener loin à l'heure où le cinéma se montre toujours plus soucieux de ses responsabilités sociales. C'est tout ce qu'on souhaite au bonhomme à la veille de la sortie du premier Marvel Studios de cette année, et non des moindres.
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