Au moment de son apparition dans les premiers titres de Young Animal, Mother Panic avait quelque chose d'intrigant. Son contexte, pour commencer, ancré dans les parutions de Gotham City malgré un esprit hors contexte qui refuse de se mêler aux autres - une sorte de seconde Batwoman, avec une esthétique riche, des thématiques sous-jacentes qui cherchaient dans les mêmes sphères.
C'est cette tradition des J.H. Williams, Grant Morrison sur Arkham Asylum ou la Black Orchid de Neil Gaiman, ou Night Cries, qui faisait la force des débuts du titre, une sorte de Gotham pour adultes plus sombre, plus intransigeante. Peut-être plus proche du haut des gratte-ciels que des rues avec une idée de la narration et du dessin segmentante pour de nombreux lecteurs. Et puis, Jody Houser avait calmé le trait. Sans le trait de Tommy Lee Edwards pour habiller un scénario qui se révélera vite assez conventionnel, la série aura ensuite perdu en intérêt, et ce malgré la venue d'artistes compétents mais qui rentraient dans un autre cadre. Une autre école de dessin que ce que la série vendait au début.
Aussi il était utile de faire table rase pour ne pas laisser perdre un concept qui reste, sur le papier, riche en potentiel. Une héroïne, à
Gotham, sans aucun lien avec les héros à l'emblème de chauve-souris. Une sorte de satire plus traumatisée de
Batman et de l'esprit de la cité qui cherchera dans d'autres styles d'ennemis et de menace de fond.
Gotham City A.D. #1 suit cette perspective dans une ville nouvelle, dans laquelle
Violet a été transportée après avoir sauvé le multivers au tournant de
Milk Wars,
le crossover des séries Young Animal dont on vous parlait récemment.
Là où la plupart des séries de l'éditeur se seront contenté de n'être que des suites directes, plutôt semblables à leurs prédécesseures, Mother Panic fait un effort d'inventivité. Puisque, si cette Gotham se situe dans un futur dans lequel Batman a disparu, l'héroïne n'a pas voyagé dans le temps : cette ville est bien une autre cité, telle qu'elle aurait été sans Violet Paige pour la protéger. Le consortium de vilains de l'ombre, The Collective, a fait main basse sur les commerces, les quartiers et le crime organisé, et arrivée trop tard, la justicière en combinaison blanche doit reprendre à zéro tout l'objet de sa quête de l'autre réalité.
Habitude prise par la série : les idées sont bonnes, l'exécution l'est moins. Qui dit Gotham sans Batman dit exploration du Joker, et si le héros est présent en couverture et dans l'intrigue, Houser ne semble pas vraiment s'intéresser au personnage. En un sens, tant mieux, mais la scénariste a déjà donné un point de vue assez nouveau sur plusieurs figures connues de la ville, et son analyse passe ici pour un caméo fanservice sans réelle saveur. On pourra en dire autant de la réinstallation des vilains, ou de l'atmosphère générale de cette Gotham, très vite présentée.
D'une manière générale, l'intrigue avance vite et avec assez peu de dialogues. La principale nouveauté est l'ajout d'une petite héroïne récupérée du crossover Milk Wars, et on peut tout de suite le dire : c'est très curieux. Dans le numéro en question, le lait qui transformait la réalité était sensée la rendre plus douce, plus propre, plus puritaine. Un Batman reconverti en pasteur bienveillant transformait de jeunes orphelins sans famille en sidekicks souriants et vaillants, satire de ce que le héros fait (à peu près concrètement) depuis les années '40.
Mais cette idée est ici détournée et la petite ressemble plutôt à une Hit-Girl sadique, qu'on n'explique pas. Cette envie de violence, verbale ou graphique, passe généralement pour gratuite dans la série qui s'en sert pour donner du corps à des héros sans relief - même Violet Paige intéresse peu. Après tout, cette quête est la seconde itération d'un combat déjà mené, sa relation à sa mère passe aussi pour une sorte de déjà vu. Incapable de se dépêtrer de sa promesse d'origine, le scénario produit une redite confortable, qui n'exploite pas à fond son spectre de possibilités.
Dans l'ensemble, l'introduction est même assez loupée. On ne comprend pas bien ce qui a changé dans cette nouvelle Gotham sinon que le Batman n'y est plus, quels autres éléments sont différents, et comment la Mother Panic aborde ce nouvel environnement. Là où le principe de débarasser la ville du héros qui lui faisait une certaine ombre était bonne, on se demande si en perdant son lien avec les Bat-titres, celui-ci n'est pas simplement en train de s'appauvrir. A voir sur le long terme, évidemment.
Après la bonne surprise Eternity Girl, Mother Panic - Gotham A.D. commence mollement. Basé sur de bonnes idées et de jolis dessins, qui assouplissent un avis plus négatif sur l'écriture, ce nouvel ajout à l'édifice Young Animal intéresse autant qu'il ne surprend plus. On aurait aimé retrouver l'attrait et l'ambiance si unique des trois premiers numéros, avant que Houser ne s'enferme dans une routine qui ne fait, ici, que se répéter.