Catwoman, Batman, le chat et la chauve-souris. Des décennies à se tourner autour jusqu'à une apogée, écrite par Tom King et vendue par DC Comics dans un numéro événement. L'éditeur se sera aligné sur un agenda logique de publications avec Joëlle Jones, qui avait collaboré avec King sur le titre Batman et avait apparemment envie de continuer à dessiner Catwoman encore quelques temps. L'artiste fait aussi ses débuts au scénario sur ce premier titre consacré à l'héroïne depuis la fin de run de Genevieve Valentine il y a quelques années, qui venait achever un volume généralement décevant sur la période New 52.
Mais avant d'aller plus loin, lisez Batman #50. Puis, relaxez vous, prenez un bon thé, pourquoi pas un tilleul citron, avec quelques gâteaux, préférez ceux aux fruits secs qui accompagnent mieux les infusions, contrairement aux cookies qui se marient surtout avec le lait ou le chocolat chaud.
Puisque ce numéro, à l'image de la couverture plutôt maladroite imposée par DC, est explicite quant au destin du couple Bruce/Selina. Là où beaucoup pensent que qui se passe en ce moment était tout à fait calculé, comme ce passage obligé de toute comédie romantique où le héros ou l'héroïne disparaît par trouille de ses sentiments, et qu'on se fade un montage enchaîné de chacun qui refait sa vie sur fond de musique triste (il y a même une scène de ce genre dans Shrek sur Hallellujah), l'éditeur n'a pas attendu pour montrer ce qui arrivait à Catwoman de son côté. Pas de mariage donc, mais une nouvelle série plutôt convaincante pour le moment.
La dernière fois que nous avions vu Catwoman en solitaire, elle s'appelait Selina Calabrese, entraînait une héritière et menait une guerre intestine au sein des différents corps mafieux de Gotham City, contre Black Mask et avec le Pingouin. Cette identité d'héroïne de feuilleton policier, popularisée par Ed Brubaker, se retrouve encore une fois chez ce personnage qui démarre donc sur quelque chose d'assez conventionnel : retranchée dans une de ses nombreuses planques, Selina tente d'oublier Bruce en reprenant le cours de sa vie dans les casinos.
De son côté, une tueuse en tenue de Catwoman cause quelques ennuis à la police, qui se met donc sur la trace de Selina, porteuse officielle du costume aux dernières nouvelles. Comprenant l'imposture, celle-ci reprend du service pour traquer celui ou celle qui s'amuse à salir son nom. Voilà en résumé le propos de ce premier arc, baptisé Copycats, et un travail plutôt séduisant de Joëlle Jones à l'écriture et aux dessins.
L'artiste comprend pleinement l'intérêt de pouvoir lier dessin et scénario. Les premières pages imbriquent de case en case tous les éléments dont elle compte se servir pour cette entrée en matière, au travers d'une narration dynamique, didactique. Le dessin fourmille de détails enrichis par les jolies couleurs de Laura Allred, sur les fonds urbains notamment. Catwoman se paye une variation de son costume classique pour marquer une nouvelle progression après les années passées dans la combi' à lunettes réimaginée à l'époque par Darwyn Cooke.
Côté scénario, l'aspect polar reste à développer. De retrouver le côté gris et ombrageux de Gotham est une perspective séduisante, avec l'envie de visiter toutes ces figures de second plan que l'on a moins vu récemment. Dans un monde où Batman est devenu un titre beaucoup plus introspectif et où les séries secondaires traitent finalement assez peu de cette Gotham classique, on aime retrouver une ville peuplée de fous et de truands capables de poser un réel enjeu.
Attention cependant, nous ne sommes pas ici en face d'un titre à la Gotham Central - le travail de Jones évoquerait plutôt celui de John Layman sur Detective Comics, avec un vilain mégalo' et monstrueux, et un complot d'envergure présenté d'emblée. Si l'ambiance et le travail artistique évoquent ce qu'on aime lire sur le personnage, les faits et la narration sont plus proches d'une série classique de super-héros. Mention spéciale à la vilaine, qui promet un sous-texte plutôt intéressant sur le long-terme. Mention aussi aux chats, qui sont trop meugnons.
Cela étant, un reproche extérieur vient se mêler à la fête. Un qui n'a rien à voir avec la qualité du numéro, simplement : tout cela va un peu vite. La même semaine, Catwoman aura renoncé à épouser Bruce Wayne dans un numéro, et dans le numéro d'à côté sur le même étal du même comic shop, on la retrouve déjà avec le sentiment que des semaines entières se sont passées. Comme si le lecteur avait eu le temps de digérer la surprise, la déception pour certains ou l'escroquerie pour d'autres, de ce Batman #50 qui n'aura pas été au bout de sa promesse.
Le problème étant que DC comptait sur ce numéro de mariage pour booster les ventes de Catwoman #1, d'où un alignement entre les deux publications et une couverture plutôt explicite sur le sujet. Le numéro de Jones ouvre une nouvelle série, en ne traitant que d'assez loin le contexte actuel de l'univers Batman. Ce qui est déjà problématique en termes de cohérence d'ensemble, mais ne fait surtout que renforcer l'aspect hypocrite de DC qui a basé tout un événement éditorial sur de l'affect et une promesse tronquée, et qui passe très vite à autre chose au lieu de laisser aux (nombreux) lecteurs déçus le temps de digérer la fraude.
Cela étant dit, Catwoman #1 reste un bon numéro dans l'ensemble qui devrait s'apprécier sur la longueur et replacer l'héroïne en solitaire. On aurait apprécié que DC se montre plus patient, évite cette couverture (du moins, son texte rajouté), évite le spoil en début de semaine où les numéros "wedding" en complément - en somme, on aurait aimé que DC ne fasse pas payer à ses scénaristes la maladresse des éditeurs, mais il serait injuste de le reprocher à Jones, qui se contente surtout de faire son boulot, d'une jolie façon. A lire, en attendant la suite.