Six semaines et autant de numéros, il n'en fallait pas plus aux lecteurs du monde entier pour découvrir la première incursion du scénariste Brian M. Bendis chez DC Comics. A la manière de la série du même nom signée par John Byrne il y a trente ans, la mini de Bendis doit composer avec un Superman en quête de nouveautés, amalgamer les avancées récentes, et préparer le futur proche du héros en bleu. L'exercice se sera-t-il montré convaincant ?
Lorsque The Man of Steel démarre, la question se pose de savoir si Bendis a réellement quelque chose à dire sur le personnage. A défaut de trouver une réponse, le scénariste semble s'être contenté d'une démonstration de ses connaissances, en partant du personnage lui-même et de tout ce qu'il pouvait amener de l'univers DC. Pour autant et comme promis, on retrouve un nouvel ennemi (meilleur dans le texte que dans le dessin - il est moche) et quelques bouleversements dans le quotidien de l'Homme d'Acier.
Comme une envie de faire bouger les choses, d'aller de l'avant en redistribuant les cartes sur des éléments supposés acquis. En cela, Bendis remplit son rôle, être le sang neuf, l'instigateur d'une autre méthode éditoriale pour ce scénariste (culte) qui n'avait jamais écopé d'un tel travail chez DC.
Pour fêter l'anniversaire de Superman, Bendis choisit de revenir (encore) vers sa patrie d'origine. Krypton sera montrée au centre de bien des interrogations, avec un regard neuf sur cette civilisation supposément avancée et qu'on ne cesse de remettre en question dernièrement. La désacralisation du peuple kryptonien nous apparaissait déjà en amont avec le traitement de Jor-El dans The Oz Effect - derrière celui qu'on appelait Mr. Oz, le papa de Superman se dévoilait, désabusé par le comportement humain, contre l'héroïsme de son fils, et c'est dans le but de faire sortir son petit-fils de cette perspective déterminée qu'on le retrouve par ici. Ce retour se fait cependant de façon curieuse, avec un Bendis qui contredit la fin de Oz Effect par simple envie de manier du Jor-El à son tour - allez, d'acc'.
C'est surtout le regard porté sur le peuple kryptonien qui intéresse le scénariste, avec un ton autoritaire et une position nuisible pour le reste de l'univers qu'on ne leur connaissait pas. Où les missions de conquête de l'espace ne semblent pas menées dans un simple but de scientifique, mais avec une vision colonisatrice, et tout l'appareillage sombre qui accompagne cette idée. Il s'agit bien sûr d'un point de vue sensé légitimer la mission de Rogol Zaar, missionné de guerre envoyé par les plus grandes instances de l'univers DC - mais qui amène Superman et le lecteur, à revoir ses positions sur ce qu'est ou ce qu'est devenue Krypton. Énième questionnement sur les origines, et un premier fil rouge à suivre pour les titres Superman et Action Comics dans le futur proche.
Une ligne parmi d'autres d'ailleurs, car ce Man of Steel ne se présente pas comme un récit complet. C'est une première pierre, posée sur un plus grand chemin, et bien que le style de l'auteur permette en premier lieu de s'amuser avec les personnages, montrer quelques nouveaux venus (Melody Moore), replacer les liens du héros avec ses collègues de la League ou avec sa cousine, la critique principale sera de dire que les six numéros n'installent pas autant de choses que ce que le support permet. Avec en outre une accélération sur le numéro final, où Bendis se rappelle peut-être qu'il y a des pions à installer pour les histoires à venir dans ses deux autres séries régulières.
On comprend pourquoi Superman doit reprendre son ancien costume. On comprend où sont Lois Lane et Jon Kent - avec la crainte de les voir s'éloigner sans que soit développé leur voyage personnel. On voit pourquoi Supergirl reprend également sa publication mensuelle, et l'univers de Superman qui sera amené à se développer.
Mais comme toute première pierre, il est impossible de juger de la qualité de l'édifice fini. Les éléments sont là et ont le mérite d'amener des chamboulements d'importance - ce qui est arrivé à Kandor, ce n'est pas rien. Une première poussée encourageante, bien que le plus grand piège soit celui de cette narration décompressée, marque de fabrique aussi prégnante au scénariste, utile pour les dialogues mais dangereux sur le rythme. Avec une publication mensuelle, il faudra que l'auteur réussisse à convaincre très rapidement qu'il est capable de mener son récit sans (trop de) temps morts.
On ne pourra pas dire que Brian Bendis n'a rien à raconter sur Superman. En apportant quelques chamboulements d'envergure, ce Man of Steel permet d'installer les pièces d'un plus grand échiquier, sur lequel le scénariste devra mettre sa stratégie en ordre avec Superman et Action Comics en première ligne de front. Un début, donc, qui raccorde le style de l'auteur à l'univers qu'il s'approprie et qui, par ici, nous encourage à poursuivre le chemin. Quant à la réponse à la question dans le titre, le bilan sera à faire dans quelques mois.