Mercredi dernier, les imprimeries AfterShock Comics mettaient en vente le premier numéro d'une nouvelle série, signée Eliot Rahal et Jorge Fornés. Quelques semaines après que The Beef ait achevé sa publication, l'improbable rencontre d'une philosophie végan et d'un scénario de Trauma ouvre la voie à une nouvelle parution indé' connectée de près ou de loin au fabuleux monde du sandwich.
Quoi que le motif soit plus distant, Hot Lunch Special est à l'arrivée une très bonne surprise, dans la lignée d'un genre entier de fiction sur les sagas de familles mafieuses, façon Scalped ou Les Sopranos.
Ce premier numéro présente les éléments qui accompagneront le premier arc de la série, vendue comme une ongoing pour le moment. Voici donc les Khourys, une famille d'origine libanaise plus ou moins liée à la mafia (mais plutôt plus que moins) et qui aura monté en parallèle d'activités peu définies une entreprise de restauration rapide.
Coup de théâtre, alors que la branche mafieuse ne parvient pas à terrasser la concurrence des Italiens, la partie sandwich, elle, est florissante. Au point de devenir l'un des principaux distributeurs dans le petit état du Minesotta.
Alors que les Khourys s'apprêtent à étendre leur activité aux secteurs voisins, la jalousie ou l'appétit de leurs anciens partenaires vient s'intercaler dans les plans du patriarche de la famille, avec l'amertume d'un goût de sauce samouraï alors que vous aviez bien précisé "algérienne". C'est ainsi que commence Hot Lunch Special #1, un bon début pas déconnant du tout.
Puisque, si Eliot Rahal se sera fait connaître sur des séries plus décalées (comme Quantum & Woody, Door Man et Ninjak vs The Valiant Universe), il opère ici avec une froideur et un sérieux plutôt surprenants - en particulier avec une couverture qui annoncerait plutôt une série de genre, délirante. Le récit installe son ambiance dans une petite ville isolée, qui abrite des secrets, un quotidien pesant de traditions et de manigances, qui évoquerait le ton de la première saison de Fargo par Noah Hawley.
L'impression de décaler un contexte plutôt normal de série mafieuse dans un environnement plus tranquille, où les règlements de compte sont plus discrets et plus proches du quotidien des locaux. Rahal installe un rythme sans fausse note, avec une accélération et un jeu sur les silences assez magistral dans les dernières cases - on reconnaît une narration qui s'inspire des séries télévisées, et économise les dialogues pour doser entre ce que l'histoire doit dire et ce qu'elle réserve pour plus tard.
Les (splendides) dessins de Fornés aident aussi grandement l'ambiance. Quoi qu'on pourra lui reprocher un encrage un peu épais, on trouve des accents de David Aja dans certaines planches, comme celle où le vieux Jiddo rentre dans son usine en plan séquentiel horizontal. Les expressions sont superbement rendues, la narration cherche ces petits effets de style où le plan va rester fixe de case en case, ou accélérer dans des gaufriers à douze cases sur un moment de dialogue avec une montée en tension.
De bonnes idées, associées à des couleurs descendues qui participent à l'ambiance froide et à l'atmosphère brutale d'un environnement où on sent l'imminence du danger.
Plus haut, était évoquée une comparaison avec Scalped ou Les Sopranos - peut-être est-il encore un peu tôt pour s'avancer en comparant ce premier numéro, certes très bon, à de tels chefs d'oeuvres. Néanmoins, on sent que Rahal a été à bonne école. D'une part, l'originalité de proposer un récit sur la mafia libanaise aide à se différencier, et on est toujours curieux de voir le crime organisé évoluer en fiction vers des sphères plus rares que le classicisme de la mafia italienne.
Mais surtout, le fait de prendre "les méchants" ou tout du moins, les ambitieux, et de les mettre dans le champ d'entrée de jeu, rappelle cette association aux salauds chers à Jason Aaron avec son Red Crow ou son Coach Boss. Mais là où le scénariste de Southern Basterds va faire du lieu de l'action le véritable héros de toute l'histoire, d'autres types de récits aiment l'idée de la saga familiale. Quand la famille devient le facteur décisionnel, l'envie de protéger ses proches une excuse pour les pires horreurs. Le Jiddo va ici être celui qui part en quête, de trancher des têtes et les passer au broyeur à viande - faites pas la fine bouche, si ça se trouve l'humain a bon goût. Avec du ketchup ?
En cela, ce premier numéro est donc l'ouverture d'une potentielle réussite de long-terme, qui évoque beaucoup trop de chefs d'oeuvre pour ne pas être au moins intrigante. Le seul risque réel est que, justement, ce classicisme ou ces références voulues ou non ne découragent ceux qui aimeraient davantage d'originalité. Une réaction tout à fait compréhensible, mais il est encore un peu tôt pour juger de là où compte nous emmener l'écriture pour le moment. Enfin, parce que trop de gens se contentent de la note et du paragraphe en gras, la section qui va suivre, pour vous inciter à lire l'ensemble de la critique, sera consacrée à une recette de burgers végétariens.
Munissez vous de pains blancs à hamburgers, de copeaux de parmesan, une boîte de tomates confites, un concombre, du tabasco, un peu de vinaigre balsamique et une sauce poivron/aubergine (pesto rouge, ça marche aussi). Commencez par toaster le pain. Pas trop ! Sur le talon (partie inférieure), mettez la sauce, et ajoutez ensuite les copeaux de parmesan. Découpez le concombre en tranches fines, et disposez les sur le parmesan afin qu’il le recouvre. Déposez ensuite les tomates confites (pas trop non plus, faites pas les marioles), arrosées de tabasco. Poivrez / assaisonnez selon votre envie (trois mots pour vous : herbes de provence, et une pincée, faut pas abuser des bonnes choses). Sur l’intérieur de la couronne – partie supérieure du pain – déposez un filet de vinaigre balsamique. Puis, assemblez, et mangez. Vous pouvez varier la sauce ou remplacer le concombre par de la roquette, et le parmesan par de la mozza selon vos préférences, mais vu que c’est la recette, n’essayez pas des trucs trop compliqués. Ca va bien avec de la bière blonde et en apéritif, et rappelez vous que c’est toujours moins gras que n’importe quel fast-food. Le prochain coup, risotto espagnol.