Ne vous fiez pas au titre volontairement moqueur, l'histoire qu'on vous raconte aujourd'hui est on ne peut plus sérieuse. Cette semaine est sorti le premier numéro de la mini-série Batman : Damned de Brian Azzarello et Lee Bermejo, inaugurant par la même occasion l'imprint Black Label. Ce-dernier, au delà de la liberté du format de publication et une orientation hors-continuité, doit se définir par une totale liberté créative, avec des récits classifiés M (mature), c'est à dire, comme chez Vertigo, non conditionné aux règles d'usage en termes de nature du contenu. Qu'il s'agisse de violence verbale, graphique, ou de nudité, bref, tous les trucs chouettes. Tout du moins en théorie.
En pratique, DC Comics a eu quelques retours tendus sur la sortie de Batman : Damned #1 qui, au détour d'une scène, voit Bruce Wayne enlever son costume et errer entièrement nu dans la Batcave. Malgré le travail d'ombrage de Bermejo, le dessin montre explicitement la forme du sexe de Bruce - et ce qui n'est pourtant qu'un détail a frappé de plein fouet l'habituel puritanisme américain. Après que certains revendeurs aient manifesté leur mécontentement (par lettre écrite à Dan Didio, entre autres), il aura été constaté que la version numérique comporte un ombrage supplémentaire, enlevant ainsi toute trace du bat-pénis.
Dans une manœuvre hélas à peine surprenante, DC Comics a donc décidé, suite aux remous de ce qui aurait du rester une simple anecdote cocasse, de flouter également la version papier de Batman : Damned #1 pour toutes les réimpressions futures. En d'autres termes, un label estampillé "pour adultes" ne s'autorise pas à faire figurer du contenu "pour adultes", puisque, en théorie, nombreux sont les gens après dix-huit ans à avoir déjà vu un zizi.
La situation n'est pas sans rappeler la frilosité de l'éditeur vis à vis de la version "non censurée" de Batman : White Knight (dont l'unique différence se situe au niveau d'un téton visible de Harley Quinn), encore que le travail de Sean Murphy était à l'époque sorti en dehors du Black Label.
De quoi questionner la pertinence d'invoquer un imprint mature en définitive tout aussi pudique et tous publics. Si la violence est le seul critère invoqué, l'éditeur explique que la nudité "n'est pas essentielle à l'histoire" - un argument logique, mais peu légitime, car elle n'y est pas néfaste non plus. Pudeur, peur d'un bad buzz ou un réel malaise avec la nudité de ses personnages ?
Il faut savoir qu'il y a une vingtaine d'années, un revendeur de comic shop a été arrêté pour avoir vendu des comics jugés outranciers (du Métal Hurlant, du Omaha : Danseuse Féline - soit de la bande dessinée de contre culture ou volontairement érotique), et qu'avec l'aisance des réseaux sociaux à devenir des tribunaux populaires, certains peuvent craindre d'être également mis en difficultés par certaines voix conservatrices véhémentes - après tout, les comics tels les jeux vidéo font toujours office de bon souffre-douleur.
DC Comics a donc encore de quoi progresser - à moins que tout ça ne soit fait pour vendre dans un second temps une édition non-censurée. Après tout, ça fonctionne aussi pour Murphy.