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Dans les coulisses d'Oblivion Song avec l'artiste Lorenzo De Felici

Dans les coulisses d'Oblivion Song avec l'artiste Lorenzo De Felici

InterviewDelcourt

Le nouveau titre Oblivion Song de Robert Kirkman a créé un petit évènement ce printemps, avec une publication simultanée du premier numéro aux US et de l'album par chez nous chez Delcourt. Nous avons profité de la venue de son artiste Lorenzo De Felici, présent le week-end dernier à la Lyon Comic Gone /Lyon Game Show pour revenir sur cette création originale, et retracer la conception de ce monde post-apocalyptique, tout en évoquant les façons de travailler en fonction du marché, puisque Lorenzo De Felici a évolué aussi bien en Europe que pour les Etats-Unis. 


En préambule, j'ai une question à te poser : tu te considérerais plus comme un artiste de bande dessinée européenne ou de comicbook ?

Il y a beaucoup à dire. Je peux dire que j'ai grandi avec des comics américains plus que d'autres formes de bande dessinée. La façon américaine de dessiner, ou son storytelling, fait partie intégrante et instinctive de moi. J'ai reçu mes influences européennes en étudiant. On peut dire que je suis un mélange, si tu veux. Quand je travaillais pour l'Italie ou la France et qu'une review sortait, à chaque fois je lisais "on peut voir les influences américaines dans le style de Lorenzo". Et maintenant que je travaille pour les américains, je lis "on peut voir les influences européennes". En fonction de tes habitudes de lecture, tu peux voir ce qu'il y a de plus dans mon style. Mais je ne me pose jamais cette question !

Quelles sont tes influences des côtés américain et européen ? 

Quand j'étais jeune et que j'ai commencé à lire des comics, j'ai beaucoup lu de Spider-Man, et peu importe qui le dessinait, c'est resté imprimé en moi. Le premier amour que j'ai eu est John Romita Jr.. Et une fois que tu aimes un artiste et son style, tu cherches à savoir quelles sont ses racines, voir d'où ce style vient, et tu découvres de nouvelles choses. Par exemple, les deux artistes que je cite toujours sont Alex Toth et Jordi Bernet. Il y a plein d'autres artistes sur le marché européen et italien - qui n'est pas trop connu puisqu'il a eu du mal à s'ouvrir à proposer des comics qui intéressent des lecteurs en dehors de l'Italie. Il y a par exemple Nicola Mari, l'un des artistes de Dylan Dog, qui a un style élégant et un encrage épais - et dont j'ai eu la chance d'être le coloriste.


Comment s'est déroulé la conception d'Oblivion Song ? 

Robert Kirkman s'est occupé de tout. Je venais de commencer Infinity 8 avec Olivier Vatine et Lewis Trondheim. J'ai reçu un mail de Kirkman qui me demandait si je voulais travailler avec lui sur un projet de science-fiction. J'étais très honoré. Je ne m'y attendais pas car je n'ai jamais rien envoyé à un éditeur américain, je n'ai pris aucun contact. J'ai appris que Robert m'avait découvert sur internet, via un de ses collaborateurs travaillant dans le même studio. C'était il y a quelques années, et il m'a suivi, en attendant le bon moment pour me contacter. Et tout a démarré quand il l'a fait.

Quelles recherches as-tu fait pour créer le monde d'Oblivion, qui brasse des éléments post-apocalyptiques et de grosses créature façon kaijus ? 

Quand quelque chose me plaît vraiment, j'essaie de faire en sorte de ne pas copier. Je mémorise les éléments que je ne reproduirais pas, pour éviter la copie. Je n'aime pas le sentiment de mélange d'influences. Je préfère l'idée d'être complètement original. C'est une pensée utopique, et en même temps quand je dois imaginer le monde d'Oblivion et ses créatures, j'ai une approche plus scientifique qu'artistique sur le projet. La première chose que j'avais en tête, c'est que ce monde est recouvert de cette substance, comme une mousse, et c'est la première chose que j'ai dessinée, à la fois d'une façon qui me plaisait visuellement, et aussi pour que ça paraisse irréel, sans trop penser ce à quoi d'autre ça pourrait ressembler. 

Les créatures sont des conséquences de ça. J'ai voulu penser avec une approche évolutionniste : voilà le monde ; quelles créatures pourraient y vivre ? Il faut prendre en compte les vignes suspendues, l'absence de visibilité au loin, ce genre d'aspects. Par exemple, il y a plus de quatre membres, certains ont beaucoup d'yeux, d'autres non et utilisent d'autres moyens pour se repérer. Le design vient des fonctions. C'est comme  ça que ça fonctionne : les animaux ont évolué en fonction de leur environnement, et c'est ce que j'essaie de faire. Je n'aime pas quand les créatures ne s'intègrent pas dans le monde environnant.


Lorenzo De Felici en compagnie d'Eric Powell à la Lyon Comic'Gone 2018.
Crédits photo : Thierry Mornet

Concernant les personnages, Robert t'avait donné des indications pour leur apparence ? 

Robert m'a donné quelques descriptions, mais elle n'étaient pas très détaillées. C'était plus une description de leurs personnalités. En partant de là, j'ai construit les personnages autour des caractéristiques de leur vie. Par exemple, Nathan le personnage principal est un scientifique, il ne ressemble pas à un héros, il n'est pas très beau : gros yeux, grosses oreilles, pas de mâchoire carrée... Il se retrouve à faire des choses héroïques, mais ce n'est rien de "super". Son assistant, Duncan, qui était dans l'Oblivion et en a été secouru, a les traits tirés, et tous les survivants ont quelque chose sur leur visage, car l'expérience les a affecté. La vie à Oblivion n'est pas une balade, c'est difficile d'y survivre. Ils ont vieilli plus rapidement qu'ici. 

Une idée principale d'Oblivion Song est que la science a provoqué le cataclysme. Penses-tu que la science peut être encore vue comme un danger comme elle l'a été dans les comics des années 60 ? 

Il y a un équilibre. Il ne faut pas croire que la science a fait tout son travail, et qu'on doit composer seulement avec ce qu'on a. Mais on ne peut pas non plus faire tout et n'importe quoi. Il y a encore beaucoup de choses à découvrir, et je pense que dans les histoires de science-fiction, l'aspect science est intéressant, car ça permet d'explorer l'humain. Ce n'est pas juste imaginer des choses "cool" comme un pistolet laser. 

Ce qui est beau dans la science-fiction c'est de regarder comment les humains réagissent à certains progrès scientifiques, et comment on évolue ou régresse par rapport à ces choses. Robert est très attaché aux personnages dans tout ce qu'il fait. C'est ce qui est intéressant. Dans Oblivion Song, les gens essaient d'aller de l'avant après le désastre, ils ont bâti un monument en hommage, et c'est une façon pour l'Humanité pour reconnaître l'événement et passer à autre chose. Mais Nathan ne peut pas le faire - car il a une certaine responsabilité là dedans.

Certaines personnes pensent aussi que ceux coincés dans l'Oblivion sont encore en vie. Si quelque chose comme ça devait arriver, comment réagirais-tu ? 

Je ne veux pas imaginer ce genre de choses ! (rires) Si des personnes disparaissaient dans une autre dimension, je laisserai les personnes qualifiées y aller pour les sauver !


Une autre chose  intéressante avec Oblivion Song, c'est sa publication, simultanée avec la France, l'Italie l'Espagne et l'Allemagne. Les numéros étaient donc préparés très en amont, n'est-ce pas ? 

Oui, on l'a fait bien avant la publication. Quand le premier numéro est sorti aux US, j'étais en train de travailler sur le numéro #10. Ca a été la première fois où on était en avance par rapport aux Américains, mais le retard a été rattrapé. Le numéro #7 est sorti, et on aura le second tome au printemps prochain, quand le numéro #12 sera sorti et le TPB par après. C'était une expérience qu'ils voulaient faire, puisqu'ils avaient un paquet de numéros de prêts, et ils savent qu'en Europe il n'y a pas trop ce marché pour les single issues. Ils voulaient tenter d'aller directement à l'album, mais je ne sais pas si ça a marché, quelles sont leurs perspectives sur le terme de "succès".

J'ai commencé en avance, ce qui m'a permis d'être plus à l'aise parce que je n'avais pas besoin de faire, techniquement, 20 pages et une couverture en un mois, mais c'est toujours ce que j'essaie de faire. Une fois que j'ai le script, je me mets tout de suite au travail pour tenir ce rythme, et j'y arrive maintenant.

Ca te dirait de faire un travail en mainstream ou tu préfères le creator owned ?

D'habitude je préfère avoir mes créations. Quand je vois un gros titre chez Marvel ou DC, je suis très attaché aux personnages, donc je ne peux pas dire que je ne les aime pas, mais parfois je sens que la motivation derrière ces comics et leur production n'est pas celle que je préfère. Ils essaient de raconter des histoires, pas parce qu'ils ont des idées, mais parce qu'ils doivent vendre des histoires sur ces personnages. Et tu le ressens, car il n'y a pas assez de substance dans le produit. Avec les histoires originales, comme avec Image Comics et Skybound, on développe une idée, et quand le comicbook est fait, c'est fini. Si on a pas plus d'idée, on arrête, on ne tire pas sur la corde. C'est ce qui permet aux auteurs, je crois, de produire de meilleurs comics. Parce qu'ils veulent raconter cette histoire, ce n'est pas une obligation.


Que penses-tu de la condition actuelle des artistes dans l'industrie ?

C'est difficile pour moi de répondre car je n'ai jamais travaillé longtemps dans un même environnement. Entre l'Italie, la France et les US, tout est différent. Je n'ai pas encore une bonne connaissance de tout, et pas tous les éléments de comparaison. Et je n'ai pas encore travaillé pour de grosses majors de l'industrie. En dessinant Oblivion Song, j'ai touché des royalties et je n'avais pas eu ça avant, mais c'était juste parce que ça ne se vendait pas assez. Je sais que j'ai beaucoup de chance, mais il faut vraiment travailler dur pour pouvoir payer son loyer. Et tu ne peux jamais te reposer sur tes acquis.

Honnêtement, quel est ton marché préféré ? 

Les dynamiques économiques sont très différentes, mais ce que j'ai compris des différentes expériences, c'est que l'important c'est avec qui tu travailles, pas où. Tu peux être sur un superbe marché, mais si c'est avec la mauvaise personne, l'expérience sera nulle. J'ai toujours travaillé avec de bons scénaristes, là où j'ai été. Ca peut sembler naïf, mais c'est vraiment ce qui compte. 

Après Oblivion Song, as-tu déjà quelque chose en tête ? 

Je ne sais même pas combien de numéros d'Oblivion Song il y aura ! Robert m'a dit qu'il a la fin en tête, mais il ne sait pas combien de temps ça prendra. J'ai un projet en tête, que j'ai dû stopper momentanément, bien avant que Robert m'appelle ou que je démarre Infinity 8. J'avais quelque chose de démarré, donc à un moment, je pense que je pourrai m'y remettre, mais je ne sais pas quand !

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Arno Kikoo
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