Disclaimer : ce dossier a été intégralement rédigé par Roméo Carroz (Comics Pour Tous), que nous remercions chaleureusement.
Le dossier contient également quelques spoilers sur le déroulé de l'intrigue, bien qu'il se consacre plus à une analyse des différentes approches qui ont été faites sur une même thématique.
A travers les âges et les différents médias, la licence Teenage Mutant Ninja Turtles s’est forgée une mythologie, avec des éléments qui reviennent, réinventés par les différents créateurs œuvrant sur la série. Peter Laird et Kevin Eastman ont toujours souhaité que les artistes s’approprient leurs créations, sans en faire des copies.
Au-delà des personnages principaux et secondaires qui sont le plus touchés par ces réinterprétations, au-delà de New-York, véritablement indissociable des chevaliers d’écailles, il y a Northampton. Pour la sortie du quatrième tome des Tortues Ninja chez HiComics, revenons sur l’histoire et l’importance de ce lieu pour les TMNT, et leurs deux créateurs.
Sans revenir sur la chronologie complète de la création des TMNT puisque cela a été abordé lors du lancement des Tortues Ninja chez Hi Comics dans un dossier complet, la ville de Northampton dans le Massachussets a été d’une importance capitale dans l’histoire de la licence et ses origines.
Au début des années 80, Kevin Eastman sort de lycée et effectue un bref passage de six mois à l’Ecole d’Art de Portland dans le Maine, où il a vécu et grandi. Malheureusement, ses dessins et son art ont une forte influence indie et hormis sa professeure d’art de lycée, personne ne croit en lui, pas même sa famille. Son père accepte de lui payer ses études sauf s’il s’agit d’une école d’art car cela ne mène pas selon lui « à un vrai métier ». Sa mère est désespérée puisqu’en dehors de ses dessins, selon ses dires, il n’est bon à rien. Pour des raisons financières, il n’a pu donc faire qu’un semestre à l’Université.
Il travaille comme beaucoup de jeunes dans la région dans des restaurants à homards sur la côte pendant la saison touristique, et continue de prendre quelques cours du soir de dessin en essayant de les vendre à des petits éditeurs underground comme Last Gap, Rip-Off Press, ou Kitchen Sink. Seul Denis Kitchen lui répond. Si selon lui, Kevin a encore du travail à faire, il l’oriente vers un éditeur qui sera alors le premier à le publier, Clay Geerdes, pour une couverture de Comix Wave. C’est son premier travail publié payé, pour 7$. Mais la saison touristique étant terminée, Eastman n’a plus grand chose à faire dans sa campagne du Maine. Ne pouvant se payer l’école et n’ayant plus de travail, il accompagne sa copine de l’époque à son université à Amherst, dans le Massachussets.
Kevin Eastman découvre alors un magazine local gratuit, Scat, qui lui rappelle Comix Wave. Il publie des strip d’artistes underground locaux. Leur bureau se trouvant à seulement 15 kilomètres d’Amherst, il prend le bus avec son portfolio sous le bras et se rend... à Northampton. Malheureusement pour lui, le journal compte arrêter la publication de comics, cette activité n’étant pas assez lucrative. En regardant le book d’Eastman, les dessinateurs voient cependant une ressemblance de style avec un autre artiste, Peter Laird, et lui donnent ses coordonnées pour qu’il le contacte.
Nous sommes donc en 1981, Kevin Eastman se rend au studio de Peter et au milieu de 50 000 comics, une planche de Jack Kirby sur The Losers orne les murs. Si c’est l’amour d’une fille qui a amené le jeune homme du Maine dans le Massachussets, c’est l’amour de Kirby qui l’inspire dans ses créations artistiques qui lui fait rencontrer l’homme avec qui il va créer un ovni des comics, dans une petite ville du fin fond des Etats-Unis. La suite s’écrira à Dover, dans le New Hampshire, pour l’histoire de la création de Mirage Comics.
Si la création de Mirage et des TMNT ne s’est pas faite à Northampton, ce fût donc le cas de la rencontre entre les deux co-créateurs. En quelques mois, le studio est devenu réel, et surtout rentable. Au cinquième numéro des TMNT, Kevin et Peter gagnent chacun une dizaine de milliers de dollars, et peuvent quitter le Connecticut (où la femme de Peter avait été mutée entre temps) pour s’installer où ils le désirent. Peter Laird avait grandi pas loin de Northampton, et possédait encore de nombreux amis dans le Massachussets. Quant à Kevin Eastman, depuis le début des années 80, il ne possédait aucune attache nulle part et ses courts séjours à Amhest avec sa copine de l’époque l'emmenait bien plus souvent dans la ville qui les a vu se rencontrer, bien plus vivante.
Le choix se porte donc sur Northampton début 1986 pour un retour aux sources, et le développement de la licence. A cette époque Mirage ne cesse de grandir et plusieurs artistes rejoignent le studio pour aider la réalisation des comics : Steve Lavigne tout d’abord au lettrage, puis Michael Dooney, Ryan Brown, Jim Lawson, et Steve Bissette sur les background, l’utilisation du Graphix Duo Shade, l’encrage, etc… Une nouvelle ère pour ceux qui avaient créé un one shot sans penser pouvoir en vivre, et qui en sont à gérer une licence et les droits qui vont avec.
Lors du déménagement à Northampton, Kevin Eastman et Peter Laird ont réalisé leur rêve de bien vivre de leur art, mais tenir un rythme de parution régulier devient difficile. Outre les sollicitations et discussions avec Freedman (l’homme qui a obtenu les contrats avec Playmates et donc le lancement du dessin animé), les conventions, leur process créatif était assez lourd. Si Kevin est plus à l’aise pour raconter des histoires, réaliser des layouts, Peter est un illustrateur allant plus dans le détail, et écrit mieux (et avec moins de fautes, du propre avis de Eastman). Pour ce qui est des crayonnés et de l’encrage, il s’agissait vraiment d’un travail à quatre mains, puisque les planches passaient de l’un à l’autre avec pour objectif que chacune soit autant l’œuvre de l’un que de l’autre. Sans un œil très averti, le rôle de chacun est alors indiscernable.
Les aventures des Tortues Ninja sont basées initialement à New-York, mais Kevin Eastman a toujours eu l’impression de tricher, ne connaissant que peu la ville. Pourtant, New-York s’impose rapidement comme un personnage à part entière du turtleverse. Durant la décennie précédente, la ville est proche de la faillite et la criminalité est importante, d’où le théâtre idéal pour des justiciers dans un comic book. Batman est lié à Gotham, Superman à Métropolis, Spider-Man à New-York, mais Eastman et Laird veulent retrouver une connexion entre leurs héros et leur lectorat, et cela passe par ce qu’ils ont sous leurs yeux : Northampton. Pour eux il s’agit aussi d’une décision ambitieuse, et il leur faut maintenant trouver une raison scénaristique. Qu’est ce qui pourrait pousser les Tortues hors de New-York ? Un ennemi puissant, qui manquait peut être dans la mythologie depuis son lancement.
Chapitre suivant >La micro-série Leonardo et les bases du mythe NorthamptonDans le premier numéro des TMNT de 1984 pensé comme un one shot, Shredder est défait par les Tortues Ninja et meurt. Eastman et Laird n’ont jamais pensé à le faire revenir, considérant qu’un mort devait le rester. A aucun moment ils ne l’ont vu comme une némésis récurrente, comme on a pu le connaître par la suite dans toutes les itérations connues du grand public : les films (autant ceux des années 90 que les récents de la Paramount) mais surtout les séries animée. Si la création de Shredder résulte d’une blague et qu’ils n’ont pas pensé à le faire revenir jusque là, il est pour les deux co-créateurs bien plus cohérent et crédible auprès des fans de le faire revenir que de créer une nouvelle menace à ce stade du turtleverse de Mirage. Leur motif de déplacer l’intrigue à Northampton étant trouvé, il ne leur reste plus qu’à le construire. Ce sera à travers une tryptique, souvent considérée comme l’apogée de la collaboration entre Kevin Eastman et Peter Laird, la micro-série Leonardo, et TMNT #10-11.
En marge de ce qui est devenu une ongoing, Eastman et Laird ont développé des one shot sur les tortues : Raphael en avril 85, Michelangelo en décembre de la même année, et Donatello en mai 86. Cela leur permet de développer un peu plus en profondeur les quatre protagonistes principaux, en les sortant de la dynamique de l’équipe tout en se faisant plaisir (Mikey est un mini conte de Noel, Raph un défouloir avec Casey Jones, et Donatello l'hommage à Jack Kirby dont ils ont toujours rêvé). Il ne leur reste donc plus que le leader Leonardo. Après s’être essayé à l’exercice en réalisant les layout d’une histoire de Ryan Brown, Eastman souhaite écrire un single sans parole. Avec Laird, ils conviendront finalement de séparer l’histoire en deux storylines qui s'opposent tant dans le fond que la forme. Sur les 3/4 supérieurs de chaque page, on verra Leonardo se battre inlassablement contre le Foot Clan.
Pas un mot hormis le titre, aucune onomatopée, comme si la neige étouffait le moindre bruit afin de laisser l’action parler avant tout. L’attaque du Foot Clan est brutale, violente, et Leonardo ne cherche qu’à survivre face aux hordes d’ennemis qui se succèdent. Graphiquement, l’apport d’autres mains comme celle de Steve Bissette au Graphic Duo Shade en plus de celles d’Eastman et Laird donne une approche différente après deux ans de publication. Les TMNT arrivent réellement à maturité avec ce numéro d’un point de vue visuel. Dans le quart bas de chaque page, on découvre une histoire plus légère sur les autres Tortues qui préparent les festivités de Noel. Un encrage moins prononcé, des sourires, des armes qui ne servent qu’à découper des légumes et le sapin, le contraste est total pour une balance parfaite entre l’action et la situation critique que subit Leonardo et la dédramatisation opérée par Laird. Au delà du rendu final, cette Micro Series est la quintessence de la collaboration et de la complémentarité du duo. Pour un final magistral : le retour de Shredder et la défaite de Leonardo.
Il aura fallu quatre mois aux lecteurs pour découvrir la résolution de ce cliffhanger. Une attente interminable pour la sortie de TMNT #10, autant pour les fans que les deux créateurs. Il leur fallait entériner le retour de Shredder et la fuite vers Northampton. Le Foot Clan attaque le repaire des tortues, et s’ensuit alors les prémices d’une guerre au sein du Second Time Around Shop. Le groupe a acquis de l’expérience et c’est une vraie équipe de ninja qui se bat contre les Foot, revenus encore plus puissants en arrivant à leur tenir tête. La maturité du titre est parfaitement illustré dans celle du groupe. April est au cœur de leurs préoccupations afin d’acter définitivement son intégration dans la famille. Les TMNT sont plus forts, leur tactique est plus au point. Faire grandir les héros pour que la chute soit encore plus violente et impressionnante est certes un procédé d’écriture classique, mais qui fonctionne s’il est réussi. La mise en place de la présentation de Shredder, puis de Casey, tout est fait pour mettre en place un affrontement épique, qui se terminera par une fuite et la destruction du Second Time Around Shop. La famille est complète, mais meurtrie.
TMNT #11 ne ressemble à aucun autre numéro. Jusque là, l’action était au cœur des histoires. Loin de New-York, on assistera à un numéro très introspectif à Northampton. Par le biais d’une écriture à travers le journal de April O’Neil, inspiré par Moonshadow de Jon Muth, on plonge ainsi dans les blessures de chacun des membres de la fratrie à travers celles d’April sans avoir à subir de trop longues scènes d’exposition pour chacun. D’un point de vue éditorial, l’histoire a pu être étalée sur plusieurs mois afin de rattraper le retard de publication (la sortie se fera en juin 1987) pour essayer de coller aux saisons, faire vieillir les héros en même temps que les lecteurs et surtout accentuer la gravité des blessures subies. On pourrait presque considérer ce single comme la Micro Series April avec un tel focus.
Il était décidé que ce numéro intitulé « True Stories » soit leur dernière collaboration, la fin du « Eastman and Laird Golden Age » comme le premier aimait l’appeler. Peter espérait même qu’à la sortie de ce single tout redevienne comme avant, qu’ils connaissent un « happy ending » et reformerait une famille de la même manière que Tortues et April. Il n’en sera rien. Pour autant, il n’y a pas de rupture totale entre les deux artistes puisqu’ils continuent de travailler ensemble sur le développement de leur bébé pendant une dizaine d’années, avant un grand retour à la création pour Return to New York et City at War. Certains phylactères semblent tout autant décrire leur relation que les tortues avec April. Cette conclusion à leur arc résonne comme une auto analyse, la fin d’une période, mais aussi leur travail le plus abouti jusque là. Si jusque là on notait principalement les hommages aux comics qu’ils aimaient, Peter Laird et Kevin Eastman ont su amener dans ces trois numéros la profondeur et une partie d’eux, qui pouvait manquer à leurs héros et à leur univers. True Stories et leur récit le plus personnel en 3 ans.
< Chapitre précédentNorthampton, un lieu important pour Mirage StudiosChapitre suivant >Northampton : un classique revisité au fil des décenniesNorthampton revient dans de nombreuses itérations des TMNT. A l’exception des jeux vidéo, des films modernes, et de la série animée des années 90, le mythe de Northampton revient dans tous les autres médias. Si certains éléments diffèrent (la ferme appartenant parfois à la famille O’Neil, parfois à la famille Jones…), la trame est toujours la même : affrontement d’une tortue face au Foot Clan, une bataille amenant une défaite avec de (plus ou moins) lourdes pertes et une fuite de New York, puis la reconstruction (plus ou moins longue) à Northampton. Même pendant la guest era chez Mirage (Kevin Eastman et Peter Laird ont ouvert le titre à d’autres artistes jusqu’au #44 puisqu’ils ont pris du recul dans l’écriture pour se consacrer au développement de la franchise) et dans les Tales of TMNT, sur les récits hors continuité, de nombreux artistes ont basé leurs histoires à Northampton.
Le film de 1990 est surement la version la plus connue de cette réinterprétation. Le scénario se veut une adaptation libre du TMNT #1 en incluant les #10 et #11 (et bien évidemment certaines libertés propre au film). La principale différence vient du changement de rôle des personnages. Ici, c’est Raphael qui est blessé après un affrontement anecdotique contre une masse de Foot Clan, avec une alternance de scènes tout autant anecdotiques des autres tortues mal orchestrée. L’écho dramatique/léger voulu dans la Micro Serie n’a pas la même balance et le même impact, le combat restant léger. L’absence de Splinter, enlevé par le Foot Clan, est ce qui marque le plus le groupe comparé aux traumas de Raph', de par le positionnement compliqué du film : trop violent comparé au dessin animé, un large public visé par le long métrage, mais pas assez afin qu’il reste tout public.
La dédramatisation constante par l’humour fait perdre de l'intensité et de la gravité à la rupture qu’est censée être Northampton, malgré quelques plans et séquences reprenant assez fidèlement le comic book originel. Parfois trop d’ailleurs : la narration à travers April O’Neil ne permet pas de plus s'imprégner des personnages ou de souligner les blessures psychologiques. Raphael se remet rapidement sans séquelle, le magasin d’April a certes été détruit, on ne ressent pas la perte importante que cela aurait/dû être. Des éléments du run amenant à Northampton ont été repris sans que l’essence de celui ci imprègne le film. Cependant, la partie mystique autour du feu apporte un petit plus bien appréciable et surtout rend légitime la retraite loin de New-York pour se ressourcer. Il faut aussi souligner que l’aspect épisodique d’une série de comics ou d’une série animée, laissant le lecteur/spectateur en attente sur des cliffhangers, permet une accroche plus facile et un déroulé narratif parfois plus simple. Le format et le public cible n’ont permis de faire transparaître la vraie nature de Northampton.
La version de la série animée de 2003 est peut être la moins connue à ce jour, mais c’est une adaptation assez fidèle. Ici, même la Micro Série Leonardo est reproduite. Pendant tout un épisode, le leader se bat contre des hordes de soldats de Foot Clan pendant une session d’entraînement, sans un mot, quand des séquences mettant en scène les autres tortues dans l’appartement d’April font références au quart de page inférieur de la Micro originelle pour accentuer le côté dramatique des combats. La balance est parfaite, l’hommage est présent, tout en l’adaptant au nouveau média qu’est le dessin animé pour enfant (mais pas que, évidemment) en intégrant des nouveaux éléments comme la présence de Hun. Le système de classe et de hiérarchie des membres du Foot Clan, qui a été introduite par Kevin Eastman et Peter Laird justement dans la micro-série Leonardo, est également présente.
La narration d’April en journal intime est habilement remplacée par des flashbacks permettant à chaque tortue d’avoir son moment nostalgique avec le leader, et de souligner encore une fois le caractère propre à chacun en renforçant les liens entre les tortues. Une fois à Northampton, une intrigue annexe peu inspirée et peu utile se met en place pour occuper Don' et Mikey mais également combler du temps d’antenne, et on suit malheureusement trop légèrement la reconstruction de Leonardo aidée par Raph. Durant son affrontement à New York, Leonardo a perdu ses deux katanas, brisés par le Foot Clan. Au delà donc de ses blessures physiques, la perte de ses armes censées être le prolongement de son corps, lui pèse énormément et sa rémission passera par leur reconstruction. Les forger pansera ses blessures, ses bandages tombants naturellement. La confiance revient, et en se présentant fièrement devant ses frères ses armes en mains, ils peuvent revenir à New-York terminer ce qu’ils ont commencé. La parenthèse Northampton est courte mais efficace, bien réalisée. On peut cependant regretter le fill in au milieu d’un épisode qui aurait pu être plus intense dans la rémission de Leonardo.
On continue les explorations des reprises de Northampton avec la version animée de Nickelodeon de 2012. Après deux saisons d’installation, les Krangs ont envahit la Terre et se sont installés à New York. Après avoir vu leur repaire détruit, Leonardo fait face aux Foot et à Shredder (une fois encore, comme dans la micro-série) avec l’aide de Splinter et de Leatherhead, pendant que le reste du groupe essaie de s’occuper des Krangs. Même s’il s’agit d’une série initialement à destination des enfants, les pertes sont lourdes : Splinter tombe au combat et disparaît dans l’eau, Kirby O’Neil (le père d’April) est transformé par le mutagène extra-terrestre, le foyer des Tortues est perdu suite à une attaque, Leonardo est gravement blessé, et la ville entière est aux mains des Krang. Tout le monde s’enfuit donc au bord d’un van, en direction de Northampton. Un beau cliffhanger pour la fin de la saison 2 laissant les téléspectateur dans l’attente.
Le début de la troisième saison s’effectue donc naturellement à Northampton. Si les Tortues vivront plusieurs aventures annexes, des tie -ins (faire apparaître des mutants permet de vendre d’autres figurines), la reconstruction tient une place importante dans le déroulement du début de saison. Le premier épisode reprend la narration à travers le journal d’April et cela fonctionne bien mieux que dans le film de 1990. Il faut attendre le quart de la saison et l’épisode 8, Vision Quest, pour arriver au dénouement de Northampton version Nickelodeon dans un épisode souvent plébiscité par les fans comme l’un des meilleurs avec quelques scènes iconiques. Dans un premier temps, on a Leonardo qui fait face à un cerf, reprenant le TMNT #11 très fidèlement, et n’arrivant pas à le chasser.
Ensuite, lors d’une retraite en famille dans la forêt pour s'entraîner, les quatre tortues voient Splinter dans le feu, hommage au film de Steve Barron qui, s'il n’a pas réussi à bien adapter la force de Northampton, possède des scènes puissantes comme celle reprise ici. De la même manière, Michelangelo pleure quand l’esprit de son Père/Maître s’évapore, comme en 1990, en hommage à la version la plus connue de cette revisite. Derrière c’est un véritable rite spirituel que Leonardo va subir au même titre que ses frères, afin d’être prêt à revenir. Un élément important du run initial était l’intégration d’April à la famille. Ici, elle remplit également un rite de passage, une quête, pour montrer qu’elle est au même niveau que les tortues.
< Chapitre précédentLa micro-série Leonardo et les bases du mythe NorthamptonChapitre suivant >Northampton et IDW : le sacre par Sophie CampbellSi chronologiquement les singles d’IDW ont été publiés plus d’un an avant la première diffusion des épisodes de Nickelodeon, avec la sortie du quatrième tome des Tortues Ninja chez HiComics, cette revisite était naturellement la dernière à être analysée. L’équipe créative, formée de Kevin Eastman, Tom Waltz, l’éditeur Bobby Curnow, et Sophie Campbell au dessin, a pu capitaliser sur tout l’existant pour fournir la version la plus aboutie, reprenant chacun des trois numéros de l’arc originel : l’affrontement, la bataille amenant la défaite, et la reconstruction à Northampton. La Micro Série Leonardo d’IDW (publiée par HiComics pendant le FCBD 2018) reprend la trame de celle de Mirage, le leader faisant face à une horde de soldats avec de rencontrer un mystérieux ninja balafré qui s’avérera être le Shredder testant le mutant. Ce numéro reste cependant bien plus anecdotique dans la construction de la suite comparé aux affrontements de Leo chez Mirage, dans la série animée de 2003, de 2012, ou de Raph pour le film de 1990.
La Micro Leonardo reste un sublime hommage (également de Sophie Campbell au dessin) mais l’importance est moindre par rapport à l’affrontement de City Fall. Ce story arc publié en deux tomes chez Hi Comics (publié en deux parties en VF, review de la première ici), soit 7 numéros en VO (que l’on peut étendre à des Micro Series et autre Annual) voit une véritable guerre se dérouler dans la Big Apple, avant une fuite inéluctable à Northampton pour quatre numéros. Avec un single par mois, la réécriture de TMNT #10 et #11 de chez Mirage par IDW aura donc tenu la série sur quasiment une année complète permettant ainsi un développement plus complet de l’univers et des personnages. Les contraintes éditoriales ainsi que les moyens ne sont évidemment pas les mêmes que dans les années 80.
Dans la Chute de New York, il n’y a pas que des blessures physiques, le lavage de cerveau par Kitsune de Leonardo entraîne des séquelles bien plus profondes. Il ne trouve plus sa place au sein de sa famille : ainsi, il ne porte plus de bandeau, comme Splinter leur a donné dans TMNT #5. Il trouvera encore une fois son salut dans la spiritualité et la recherche de sa mère Tang Shen, à l’époque du Japon Féodal (cf The Secret History of the Foot Clan). Le numéro 30 est celui rappelant le plus les précédentes versions : la narration du journal intime est reprise à travers Mickey écrivant une lettre à son pote Woody, la lutte de Leonardo dans ses rêves rappelant son combat contre le cerf de la micro d’origine, ou encore le feu de bois pour réunir la famille du film de Steve Barron. Avec plus de liberté, la possibilité de piocher dans toutes les précédents versions, et la maturité nécessaire des créateurs et de leur public cible, on a donc certainement le Northampton le plus abouti depuis Mirage.
Dans le choix des dessinateurs, Sophie Campbell succédant à Mateus Santolouco apporte plus de rondeur aux tortues pour atténuer la violence de La Chute de New York et accentuer le changement d’ambiance. Au delà de la reconstruction personnelle et familiale, nous assistons également à la création de nouveaux liens, l'élargissement du cercle de confiance. Un peu comme le vrai Northampton, en 1986, et l’ouverture à de nouveaux artistes pour Mirage autour de Kevin Eastman et Peter Laird. Leonardo en remettant son bandeau est à nouveau complet et entier, comme après avoir reforgé ses sabres dans la série de 2003. Il devra ainsi faire un choix important après avoir défait l’ennemi ayant attaqué sa famille et ainsi montrer sa totale rémission ou non. Teenage Mutant Ninja Turtles #11 chez Mirage aurait presque pu faire office de Micro Serie April O’Neil ; chez IDW, son développement est aussi important, permettant d’approfondir sa relation avec Casey via la rencontre de ses parents dont leur rôle sera important pour la suite.
Comme annoncé en introduction, Peter Laird et Kevin Eastman ont toujours voulu que les personnes écrivant et dessinant les Teenage Mutant Ninja Turtles se les approprient, les réinventent, plutôt que de faire du copié/collé de ce qu’ils ont créé. Et ce, dès la guest era de la fin des années 80 et leur départ commun de la licence après TMNT #11. Cependant, il y a toujours eu une volonté de la part des créatifs ayant la main dessus de rendre hommage et s’inspirer des fondations posées par les deux co-créateurs au début de Mirage, voir des itérations précédentes.
La difficulté de l’exercice est donc de trouver l’équilibre entre hommage et appropriation, entre respect de la base et adaptation au médium. Si cela n’a pas toujours été entièrement réussi, on retrouve cependant la même triptyque importante dont la base a été développé à l’époque de Mirage dans la Micro Serie de Leonardo, TMNT #10 et #11 : affrontement individuel isolé, bataille avec pertes, et reconstruction, pour arriver souvent à un nouveau statu quo. Les personnages ont toujours connu des développements et approfondissements importants sur ces arcs. Il faut espérer que la publication de ces anciens numéros arrivera prochainement en France via HiComics, véritable joyau dans la collaboration entre les deux co-créateurs des tortues et base de nombreux récits s’en inspirant dans la mythologie des TMNT.
Northampton est une petite ville, théâtre de la rencontre entre Kevin Eastman et Peter Laird, et au fil du temps, est devenue une pierre angulaire du turtleverse dans la majorité de ses itérations, plus importante même que New York, et exemple même de l’utilisation de la mythologie par d’autres auteurs. IDW a rendu le plus bel hommage possible à ce mythe et sûrement le plus abouti depuis celui de Mirage, qu’on vous invite donc à retrouver dans le quatrième tome de la série publié par HiComics. Tous ces story arc ont d’ailleurs eu la même suite, un retour à New York pour terminer le travail inachevé avant leur départ. mais ça, c’est une autre histoire...
< Chapitre précédentNorthampton : un classique revisité au fil des décenniesSans revenir sur la chronologie complète de la création des TMNT puisque cela a été abordé lors du lancement des Tortues Ninja chez Hi Comics dans un dossier complet, la ville de Northampton dans le Massachussets a été d’une importance capitale dans l’histoire de la licence et ses origines.
Au début des années 80, Kevin Eastman sort de lycée et effectue un bref passage de six mois à l’Ecole d’Art de Portland dans le Maine, où il a vécu et grandi. Malheureusement, ses dessins et son art ont une forte influence indie et hormis sa professeure d’art de lycée, personne ne croit en lui, pas même sa famille. Son père accepte de lui payer ses études sauf s’il s’agit d’une école d’art car cela ne mène pas selon lui « à un vrai métier ». Sa mère est désespérée puisqu’en dehors de ses dessins, selon ses dires, il n’est bon à rien. Pour des raisons financières, il n’a pu donc faire qu’un semestre à l’Université.
Il travaille comme beaucoup de jeunes dans la région dans des restaurants à homards sur la côte pendant la saison touristique, et continue de prendre quelques cours du soir de dessin en essayant de les vendre à des petits éditeurs underground comme Last Gap, Rip-Off Press, ou Kitchen Sink. Seul Denis Kitchen lui répond. Si selon lui, Kevin a encore du travail à faire, il l’oriente vers un éditeur qui sera alors le premier à le publier, Clay Geerdes, pour une couverture de Comix Wave. C’est son premier travail publié payé, pour 7$. Mais la saison touristique étant terminée, Eastman n’a plus grand chose à faire dans sa campagne du Maine. Ne pouvant se payer l’école et n’ayant plus de travail, il accompagne sa copine de l’époque à son université à Amherst, dans le Massachussets.
Kevin Eastman découvre alors un magazine local gratuit, Scat, qui lui rappelle Comix Wave. Il publie des strip d’artistes underground locaux. Leur bureau se trouvant à seulement 15 kilomètres d’Amherst, il prend le bus avec son portfolio sous le bras et se rend... à Northampton. Malheureusement pour lui, le journal compte arrêter la publication de comics, cette activité n’étant pas assez lucrative. En regardant le book d’Eastman, les dessinateurs voient cependant une ressemblance de style avec un autre artiste, Peter Laird, et lui donnent ses coordonnées pour qu’il le contacte.
Nous sommes donc en 1981, Kevin Eastman se rend au studio de Peter et au milieu de 50 000 comics, une planche de Jack Kirby sur The Losers orne les murs. Si c’est l’amour d’une fille qui a amené le jeune homme du Maine dans le Massachussets, c’est l’amour de Kirby qui l’inspire dans ses créations artistiques qui lui fait rencontrer l’homme avec qui il va créer un ovni des comics, dans une petite ville du fin fond des Etats-Unis. La suite s’écrira à Dover, dans le New Hampshire, pour l’histoire de la création de Mirage Comics.
Si la création de Mirage et des TMNT ne s’est pas faite à Northampton, ce fût donc le cas de la rencontre entre les deux co-créateurs. En quelques mois, le studio est devenu réel, et surtout rentable. Au cinquième numéro des TMNT, Kevin et Peter gagnent chacun une dizaine de milliers de dollars, et peuvent quitter le Connecticut (où la femme de Peter avait été mutée entre temps) pour s’installer où ils le désirent. Peter Laird avait grandi pas loin de Northampton, et possédait encore de nombreux amis dans le Massachussets. Quant à Kevin Eastman, depuis le début des années 80, il ne possédait aucune attache nulle part et ses courts séjours à Amhest avec sa copine de l’époque l'emmenait bien plus souvent dans la ville qui les a vu se rencontrer, bien plus vivante.
Le choix se porte donc sur Northampton début 1986 pour un retour aux sources, et le développement de la licence. A cette époque Mirage ne cesse de grandir et plusieurs artistes rejoignent le studio pour aider la réalisation des comics : Steve Lavigne tout d’abord au lettrage, puis Michael Dooney, Ryan Brown, Jim Lawson, et Steve Bissette sur les background, l’utilisation du Graphix Duo Shade, l’encrage, etc… Une nouvelle ère pour ceux qui avaient créé un one shot sans penser pouvoir en vivre, et qui en sont à gérer une licence et les droits qui vont avec.
Lors du déménagement à Northampton, Kevin Eastman et Peter Laird ont réalisé leur rêve de bien vivre de leur art, mais tenir un rythme de parution régulier devient difficile. Outre les sollicitations et discussions avec Freedman (l’homme qui a obtenu les contrats avec Playmates et donc le lancement du dessin animé), les conventions, leur process créatif était assez lourd. Si Kevin est plus à l’aise pour raconter des histoires, réaliser des layouts, Peter est un illustrateur allant plus dans le détail, et écrit mieux (et avec moins de fautes, du propre avis de Eastman). Pour ce qui est des crayonnés et de l’encrage, il s’agissait vraiment d’un travail à quatre mains, puisque les planches passaient de l’un à l’autre avec pour objectif que chacune soit autant l’œuvre de l’un que de l’autre. Sans un œil très averti, le rôle de chacun est alors indiscernable.
Les aventures des Tortues Ninja sont basées initialement à New-York, mais Kevin Eastman a toujours eu l’impression de tricher, ne connaissant que peu la ville. Pourtant, New-York s’impose rapidement comme un personnage à part entière du turtleverse. Durant la décennie précédente, la ville est proche de la faillite et la criminalité est importante, d’où le théâtre idéal pour des justiciers dans un comic book. Batman est lié à Gotham, Superman à Métropolis, Spider-Man à New-York, mais Eastman et Laird veulent retrouver une connexion entre leurs héros et leur lectorat, et cela passe par ce qu’ils ont sous leurs yeux : Northampton. Pour eux il s’agit aussi d’une décision ambitieuse, et il leur faut maintenant trouver une raison scénaristique. Qu’est ce qui pourrait pousser les Tortues hors de New-York ? Un ennemi puissant, qui manquait peut être dans la mythologie depuis son lancement.
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