Si l'ouverture de Joker à la Mostra de Venise aura consacré un premier succès pour cette adaptation infidèle du célèbre gangster fou de Gotham City, de nombreuses critiques auront pointé du doigt le danger inhérent de ce projet particulier à l'heure des réseaux sociaux et des clivages politiques. Certains, parmi lesquels Peter Sciretta de SlashFilm, auront par exemple souligné le danger de prendre cette origine du Joker au premier degré, dans les communautés misogynes du web ou à l'heure du harcèlement généralisé.
D'autres encore seront revenus sur le message politique de ce film, ancré dans les références du Nouvel Hollywood. Une période du cinéma connue pour aborder des thèmes sociaux ou des études de personnages en réaction (souvent violente) à leur environnement - et dans ce contexte, difficile de ne pas remarquer, au travers
des deux bande-annonces disponibles, les manifestants en masque de clown ou un
Thomas Wayne présenté sous un jour plutôt défavorable.
Les premiers descriptifs du rôle parlaient notamment d'un "businessman ringard à la
Donald Trump" - ce qui avait conduit certains à imaginer
qu'Alec Baldwin serait pressenti, après son imitation galactique de l'
Orange Skull dans l'émission
Saturday Night Live. En définitive, ce que d'aucuns auront lu comme une parabole sur les mouvements sociaux ou les masques de manifestants façon
Guy Fawkes ne semble pas si directement adressé, ou assumé, par le metteur en scène. Après qu'un journaliste lui ait posé la question pendant la présentation de
Joker,
Todd Phillips a répondu en ces termes :
"Je pense que les films sont souvent le reflet d'une société, sans la façonner réellement. Même si le film se situe bien entre la fin des années 1970 et le début des années 1980, nous l'avons écrit en 2017. Donc inévitablement, certaines thématiques du présent y ont trouvé leur chemin. Mais tout le monde ne s'en rend pas compte : pour certains, c'est juste une nouvelle origine au personnage du Joker. Personnellement, je n'ai pas envie de le définir à la place des spectateurs, et ce n'est certainement pas un film politique (ndlr : une partie de la salle aurait ri à la fin de cette phrase). Je veux dire, pour certaines personnes. Ca dépend, je crois, de l'optique dans laquelle vous allez le regarder."
Difficile de comprendre le sous-entendu du réalisateur avec cette simple déclaration retranscrite noir sur blanc - il est possible que Phillips ne cherche pas à se mettre à dos qui que ce soit, ou assume que certaines personnes passeront à côté du message. Le fait est que l'oeuvre restera bien ouverte à interprétation, et si d'aucuns choisissent de n'en comprendre qu'une adaptation de comics au sens strict, sans intentions ou discours de sous-texte, personne ne trouvera à s'en plaindre.
Concernant le cas précis de ce Joker en potentielle icône d'une frange agressive ou réactionnaires de fans, l'avis interroge plus abondamment le web que le simple placement de Joker sur l'échiquier politique. Le souvenir encore récent de James Holmes, auteur de la tuerie d'Aurora qui aura avoué s'être inspiré du Joker de Ledger pour passer à l'acte après plus dix années de pensées meurtrières et aucun suivi psychiatrique, semble préoccuper la presse américaine au sortir d'un été lourd en tueries de masse.
La comparaison avec le clown de Christopher Nolan a été proposée à Phillips, qui explique que son personnage, moins nihiliste, ne cherche pas à devenir une icône ou un symbole quelconque pour une cause.
"Je ne pense pas que le but de ce Joker soit de mettre le 'voir le monde brûler'. Son objectif n'avait rien à voir avec ça. Au début du film, on le voit se forcer à sourire, et à ce moment là c'est juste un gars en quête d'identité. Je pense qu'il devient, à tort, un symbole alors qu'il ne cherchait qu'à être aimé des gens. Il n'a jamais voulu embraser le monde, ce personnage. Les anciennes interprétations, je ne sais pas, mais celui-là, non."
Une précision qui devrait donner un peu de grain à moudre à ceux qui s'amuseront (forcément) à comparer les incarnations du Joker au cinéma - on s'attend à des folies de tops objectifs et argumentés, parce que le web déçoit rarement.