Dans la liste des événements marquants de ce début d'année, antérieurs à l'épidémie, paraissent plus lointains ou plus inconséquents depuis l'avènement de la crise sanitaire globale. Il y a quelques mois, DC Comics opérait pourtant un changement massif dans ses postes de direction, en foutant à la porte le vétéran Dan DiDio après une dizaine d'années de loyaux et occasionnellement bons services. Depuis, Jim Lee reste seul à la barre, et la poussière de l'ancien patron paraît avoir été cachée sous le tapis.
Depuis leurs bunkers respectifs, Joe Quesada, Dan Panosian, Jeff Johnson, Dave Johnson et Ben Defeo ont conversé à distance avec le DiDio déchu dans le cadre d'un live "Drink and Draw". Pas forcément aussi habile du crayon que ses camarades, l'ancien publisher de DC Comics s'est contenté de boire, et de parler. Évoquant différentes anecdotes, notamment sur Mad Magazine et la mort récente du caricaturiste Morris Drucker, sa rencontre avec Stan Lee, sa relation au travail et son approche assez personnelle du boulot de directeur créatif, DiDio reste toujours aussi bonhomme et sympathique depuis son repos de pré-retraite. La vidéo a surtout pour intérêt de le mettre en face de Joe Quesada, ancien rival de la maison d'en face avant Axel Alonso. L'un et l'autre auront peu ou prou exercé les mêmes fonctions pendant de nombreuses années, exposés aux mêmes critiques et aux mêmes griefs de lecteurs, avant d'être libérés de leurs contrats respectifs.
DiDio évoque à ce sujet sa dernière rencontre avec Quesada, un épisode amusant sur la solidarité des grands pontes de l'éditorial, plus prompts à se serrer les coudes que les dirigeants d'industries plus concurrentielles ou sauvages. A l'époque, le vieux Dan n'était pas encore publisher, mais l'annonce de son licenciement était déjà un sujet de débat chez les professionnels.
"J'ai passé dix-huit ans chez DC, soit dix-sept ans de plus que le temps que j'avais prévu de passer là-bas. Il y a eu un moment particulier, aux alentours de 2008 je crois, qui a été assez dur pour moi, il y avait pas mal de choses qui se passaient. Les gens ont commencé à demander mon licenciement, ce qui a fini par devenir quelque chose de récurrent. Mais à ce moment là il y avait beaucoup de pression sur mes épaules, et je n'oublierais jamais la fois où Joe m'a passé un coup de fil, on s'est retrouvés et on a passé un petit moment ensemble.
Ça a été quelque chose de très apaisant pour moi, et ça a vraiment compté. Je revenais juste d'une convention, la Heroes Con, et il y avait toutes ces conversations sur le fait que j'allais être viré de DC, où tout le monde avait des suggestions sur celui qui allait me remplacer. J'ai dû y aller et afficher un visage serein, pendant trois jours, et tout le monde m'a traité comme si j'avais la lèpre. J'avais des rendez-vous, personne ne voulait se pointer, pensant que ce serait une perte de temps. Là-dessus, Joe m'a passé ce coup de fil, on a été boire un verre, on a fait le point et on est reparti à la course."
Apparemment pas motivé à briser la politique du secret, un dogme inamovible d'entrepreneuriat américain, DiDio ne dit pas grand chose des raisons de son licenciement récent. Plutôt serein, il explique en revanche être à l'aise avec la façon dont les choses se sont passées, et ne pas entretenir de rancunes particulières envers ceux qui auront décidé de son départ. Il est surtout vraisemblable que le bonhomme ne cherche pas à mettre ses anciens collègues dans l'embarras.
"J'ai passé pas mal de temps avec Levitz, qui m'a montré le chemin, et j'ai fini par le voir partir lui-aussi, ce qui aide à garder un peu de recul sur tout ça. Ça remet les choses en perspective. Quand on voit le temps investi, l'énergie investie dans ce genre de boulots, et quand c'était un hobby ou une passion au départ et à quel point on peut avoir envie de faire partie de l'aventure sous une forme ou une autre... Mais à la fin de la journée, ça reste un boulot, on ne va pas se mentir là-dessus. Et tous les boulots ont une fin, j'ai eu la chance d'être ce mec qui lit ce que fait l'entreprise, puis ce mec qui reçoit une offre de dernière minute de l'entreprise, ce genre d'allers et retours a fait partie de mon expérience de travail et comme je l'ai dit, ça a été une longue et belle carrière donc je n'ai pas à me plaindre, et je n'ai pas de regrets."
Concernant les autres points intéressants de la vidéo (libre à vous de naviguer, l'ensemble recèle de pas mal de faits à retenir et de quelques petits secrets d'entreprise), DiDio revient aussi sur l'échec de la seconde année des New 52, autre moment où le lectorat avait commencé à appeler au licenciement unilatéral des grosses têtes de DC Comics. Après un départ en fanfare se bousculaient les bons titres (Batman, Aquaman, Animal Man, etc), l'entreprise avait eu à l'époque un certain mal à passer à la seconde étape, enchaînant les fausses manœuvres sur les personnages importants, les mois thématiques sans intérêt et l'absence d'événements fédérateurs pour mettre les univers en cohésion. Voilà ce qu'en retient, avec le recul, le vieux loup de mer à casquette en évoquant cette période un verre de gnôle à la main.
"Pour l'Année Un, on a passé six ou huit bons mois à préparer les choses, à repenser les designs, les personnages, les méchants, pour que tout ça ait du sens. Et puis, à mesure que les choses ont avancé, à accélérer, on a commencé à passer moins de temps sur le développement. Au moment où on en était rendus à la troisième année, on se contentait de dépoussiérer les choses et de les balancer, sans que ça ait grand sens, on commençait à sentir les roues de la voiture partir en vrille.
Puis on s'est lancés dans Rebirth, où on a réinstitué les choses qui nous semblaient manquer, mélangées avec tout ce qui nous avait donné envie de relancer la ligne au départ [ndlr : des New 52]. Là-dessus, les choses ont recommencé à stagner."
La réflexion, incomplète, aurait probablement du mener à l'événement Generation Five échafaudé par DiDio avant son licenciement. A un autre endroit de sa conversation avec Joe Quesada, l'ancien publisher parle du paradoxe de l'industrie, où les lecteurs ne veulent jamais voir les choses changer, tout en réclamant de la nouveauté - une perpétuelle quête de compromis que Marvel et DC semblent condamnés à rechercher perpétuellement, l'un ayant dû reculer en partie sur son envie de grand renouvellement "All-New", tout en ne mettant pas toutes les idées à la poubelles, et l'autre obligé de bouger en permanence le potard du renouveau et du classicisme au fil des déconstructions et reconstructions. Il est même possible que DiDio ait été viré justement parce que l'événement Generation Five était un changement trop net ou trop brusque qui couperait les lecteurs de leurs référents habituels.
En attendant de voir le briscard lancer sa propre société en indé', le dada de tous les anciens éditeurs pour occuper les heures creuses avant d'aller chercher les gosses au lycée, retrouvez la discussion de Dan DiDio, Joe Quesada ("Triple D" et "Joe Q" comme on les surnomme au tieks) et profiter des jolis dessins du reste des intervenants ci-après.