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Le problème Doomsday Clock

Le problème Doomsday Clock

chronique

Combien de temps a-t-il fallu attendre pour que les lecteurs VF découvrent le redoutable Doomsday Clock de Geoff Johns et Gary Frank ? Prévu à la base pour le mois de juin dernier, l'ouvrage a subi un énième et ultime décalage de sortie, sachant que la venue sur notre territoire de cette oeuvre avait été largement tributaire des multiples problèmes de publication outre-Atlantique. Aujourd'hui, c'est bon. On peut trouver chez Urban Comics cet imposant pavé, et aborder sereinement cette initiative ambitieuse de l'ancien Chief Creative Officer de DC Comics, celui qui, en instiguant la grande relance Rebirth de l'éditeur à deux lettres, avait ce projet complètement fou : faire se rencontrer l'univers Watchmen avec celui de vos super-héros favoris.

Depuis que DC Comics avait publié l'ensemble des mini-séries Before Watchmen, il était plus ou moins acté que désormais la maison d'édition n'aurait plus trop de problèmes à jouer avec l'oeuvre d'Alan Moore et à lui accoler de multiples projets, sans trop s'embarrasser de tout le problème éthique qui persiste autour de ce travail (pour la faire court : DC Comics a floué l'auteur britannique et continue d'alimenter la marque Watchmen pour ne pas lui laisser récupérer les droits). Avec Doomsday Clock, une nouvelle limite était néanmoins franchie. L'initiative Before Watchmen était là pour explorer le passé de la création de Moore et Gibbons, sans incidence aucune sur cette dernière. Là, Johns allait pouvoir apporter une suite, développer une situation laissée telle quelle depuis trente ans - en plus de faire un crossover comme forme ultime de désacralisation.


Pourtant, les enjeux éditoriaux de Doomsday Clock étaient largement compréhensible, pour ne pas dire ambitieux. Geoff Johns devait expliquer avec son histoire tous les manquements du relaunch des New 52 : pourquoi certaines relations iconiques avaient disparu, pourquoi il manquait visiblement "une dizaine d'années" à nos héros (pourquoi Batman avait-il eu quatre Robin en si peu de temps ?) ; et pourquoi l'univers DC manquait autant d'optimisme. Avec Doomsday Clock, la réponse était trouvée : Dr. Manhattan, d'une façon ou d'une autre, était responsable de tous les maux de l'univers principal DC ; comme incarnation de ce dit univers, et représentatif d'un optimisme lumineux, il faudrait nécessairement utiliser Superman à l'opposition. 

L'objectif de ce papier n'est pas de rappeler tout le long cheminement éditorial qui a mené au premier numéro de Doomsday Clock (un dossier d'ensemble est disponible par ici) ni l'ensemble des retards qui ont émaillé la publication et diminué fortement la hype autour des enjeux vis à vis du reste de l'univers DC Comics. Malgré tout, il est pour moi impossible de dissocier Doomsday Clock de ses impératifs éditoriaux. Le lire sans connaissances du contexte le limite à un simple crossover dont on a du mal à cerner les tenants et aboutissants, qui explore quelques thématiques sympathiques, mais qui ne peut être pris à part, tout seul (c'est un point de vue ; vous êtes libres d'en débattre avec nous). C'est d'ailleurs peut-être ça, "le problème" Doomsday Clock : c'est qu'il était intimement lié à un ensemble bien plus grand, mais qu'il a échoué à le fédérer.


Du côté de l'histoire, Johns met les pieds dans le plat dès le départ : six ans après la fin de Watchmen, la paix que pensait avoir apporté Ozymandias avec son effroyable machination s'étiole. La supercherie a été découverte puisque le journal de Rorschach a été publiée. La guerre nucléaire n'est qu'une question de minutes ; dans les derniers instants du monde, Ozymandias dépêche un nouveau Rorschach d'aller libérer deux détenus, Mime et Marionette (sorte de duo la Harley Quinn et Joker de cet univers, le premier étant une référence à un vieux numéro de Detective Comics). Ensemble, ce petite groupe va utiliser l'ancien vaisseau du Hibou, capable de faire un saut entre les dimensions (comment ? on ne sait pas), pour aller rendre visite à la Terre (supposément) principale de DC Comics. Là, leur mission est simple : retrouver le Dr. Manhattan, seul être capable de mettre fin à la guerre nucléaire en cours dans leurs univers, et de le sauver. 

Sur ce postulat assez simple, Geoff Johns va complexifier son intrigue petit à petit, cherchant quelques sous-intrigues pour chacun de ses personnages. Difficile de trouver l'ensemble passionnant, quand l'évolution de certains tombe à plat au fil des numéros (le Rorschach étant sûrement l'exemple le plus parlant), quand d'autres se voient dotés d'une caractérisation de plus en plus pauvre (Ozymandias). Il va sans dire qu'intégrer les personnages de Watchmen dans le "canon" DC était risqué, et si l'on peut pardonner à Johns d'avoir une tâche on ne peut plus difficile à surmonter, on se dira aussi que, peut-être, à la base, il fallait avoir une bonne idée. Pourtant, ce n'est pas ce qui manque le long des douze numéros - mais ce sont des idées qui n'auraient pas eu besoin d'un tel crossover pour être étudiées.


D'une part, on retrouve cette Théorie des surhommes (Supermen Theory en langue originale), une sorte de conspiration d'envergure internationale qui veut expliquer pourquoi la plupart des méta-humains sont originaires des Etats-Unis. Dans l'historique de notre monde, il s'avère que pendant les premières décennies, les personnages de comics étaient majoritairement américains puisque c'était là où vivaient leurs créatifs. Geoff Johns a l'idée maligne de transformer cet état de fait en piste narrative complotiste, à une époque où le terme de post-vérité a été largement acquis (et utilisé) auprès du grand public. En découle une trame géo-politique, qui met en lumière le rôle du super-héros, son appartenance à tel ou tel régime politique, et les conséquences qui peuvent découler de leurs faits dans des territoires qui ne sont pas "leur". Tout cet aspect est fondamentalement passionnant, avec un sentiment de crise de plus en plus présent, à mesure que Superman, censé être le symbole de neutralité par son origine extra-terrestre, est poussé dans ses dernier retranchements.

D'autre part, Johns développe son idée du Métavers : le principe est d'expliquer que la Terre principale de l'univers DC Comics est le point d'origine de tous les Multivers possibles. Dans le récit, en s'amusant par ses capacités exceptionnelles à changer les évènements de la timeline de cette Terre, va créer à chaque fois un Multivers dont cette Terre sera le point central. Dans les faits, ce concept est là pour expliquer, par exemple, pourquoi Superman ou tant d'autres ont eu droit à tant d'origin stories au fil des ans (Johns également avec Superman : Secret Origin, également dessiné par Gary Frank). Le procédé est intéressant, surtout que les modifications de Manhattan, in fine, a surtout pour but de remettre dans la continuité DC Comics des personnages iconiques - et que Johns adore sans s'en cacher. Ainsi, la Secret Society of America est à nouveau en activité, la Legion of Super-Heroes fait également son retour - et tout cela devait avoir une incidence bien réelle, lors de la publication, sur le reste de l'éditorial DC Comics.


Le souci, c'est qu'entretemps DC Comics a changé son fusil d'épaule. Geoff Johns n'a plus occupé le poste de Chief Creative Officer et ses titres qui devaient être si importants ont été mis de côté. L'histoire perd donc tout ce qu'elle devait apporter à DC - dans le cas de Doomsday Clock, le récit seul ne suffit hélas pas pour lire quelque chose d'autocontenu. On sent bien que sur sa seconde partie, des éléments sont importants et ne se limitent pas qu'aux seules pages de ce livre. Qu'il se dessine une forme "d'après". Hélas, cet après ne verra pas le jour - ou alors, dans une forme que l'on ne peut pour le moment qu'imaginer. Le problème de Doomsday Clock, c'est que l'ensemble de son récit n'est construit que sur cette promesse, que les éléments les plus intéressants pourraient se détacher du crossover et que sur cette rencontre, au final, on a du mal à en retirer quelque chose.

Sur la symbolique, oui, Manhattan se veut être l'antithèse de Superman. A un héros d'action, il est de nouveau ce personnage d'inaction (ce qui est pourtant un peu faux puisqu'il agit bien sur l'univers DC), mais en faire le raccourci pour le transformer en vulgaire super-vilain n'a aucun intérêt. On peut s'amuser de ces grandes scènes de bataille où Manhattan met à terre un par un les héros de l'univers DC, mais c'est un amusement de gosse, qui irait faire s'entrechoquer des figurines sorties de son coffre à jouets. Passé le dessin, on ne retrouve pas grand chose, à part une mésinterprétation (parmi d'autres) de ce qu'est Manhattan. L'affront ultime au récit d'Alan Moore venant en toute dernière page, où Johns veut faire comprendre que l'univers de Watchmen aurait également besoin de son Superman pour aller mieux. Discutable sur le fond (parce que ce n'était pas l'idée du scénariste originel) autant que sur la forme (parce que le personnage dessiné par Frank est franchement moche), la conclusion vient donc sceller ce qui aurait pu être un désastre, mais s'en sort avec l'étiquette d'un loupé, non dénué d'intérêt.


On en a pas trop parlé jusqu'ici, mais il faut reconnaître à Doomsday Clock l'impressionnante performance de son artiste Gary Frank. Non content de soigner son trait sur l'intégralité de ses cases (sauf la toute dernière, vous l'aurez compris ; enfin, ce n'est pas que ce n'est pas soigné, juste que c'est moche), avec un nombre énorme de planches découpées en gaufrier de neuf cases, le dessinateur multiplie les hommages de toutes sortes à la narration de Dave Gibbons en son temps. Dans le placement de l'action, les narrations croisées entre divers moments, les jeux de "caméra" et les transitions entre les différentes scènes, Gary Frank cherche à de nombreux endroits à rendre hommage à Watchmen - sans arriver à égaler le maître, mais on sent le respect et l'inspiration que cette oeuvre lui ont inspiré. La réussite graphique explique d'ailleurs pourquoi Urban Comics veut conférer à Doomsday Clock l'un de ses futurs tirages de tête luxueux. 

Du reste, on peut aussi théoriser sur la possibilité de la réussite d'un projet tel que Doomsday Clock. Le cahier des charges éditorial était tout simplement énorme : raconter une histoire en douze numéros, faire une suite (non autorisée) à Watchmen, organiser un crossover cohérent de deux univers jamais destinés à se rencontrer, faire un hommage à l'oeuvre originale tout en contredisant sa philosophie, ramener des personnages oubliés de l'univers DC Comics sur le devant de la scène et installer les pions d'un univers partagé. Beaucoup s'y seraient littéralement cassé les dents, et Johns, à sa décharge, réussit à limiter (seules les molaires sont déchaussées). Hélas, ça ne suffira pas à faire de Doomsday Clock une lecture recommandable, qui se destine plutôt à celles et ceux qui avaient pris le train Rebirth en marche, et veulent avoir le fin mot d'une piste narrative installée voilà quatre ans. L'avenir gardera surtout en mémoire un long feuilleton éditorial et un gros pavé en forme d'anomalie - à voir si DC y reviendra plus tard, ou jamais.

- Vous pouvez néanmoins commander Doomsday Clock à ce lien

Arno Kikoo
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