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Batman : Black & White #1 : un bon retour aux affaires qui manque peut-être de fulgurances

Batman : Black & White #1 : un bon retour aux affaires qui manque peut-être de fulgurances

ReviewDc Comics
On a aimé• Tradd Moore
• J.H. Williams III
• Greg Smallwood
On a moins aimé• Un ensemble encore très automatique
• Le problème de l'anthologie : tout ne se vaut pas
• Manque d'un capitaine
Notre note

A l'échelle des revues éditées par DC Comics, la signature Batman Black & White fait indéniablement partie des joyaux de la couronne. Prisée par les amateurs, popularisée pour son palmarès d'artistes en perpétuelle extension, l'anthologie culte mise en mouvement par Mark Chiarello il y a presque vingt-cinq ans s'est réinventée à plusieurs reprises en marge des transitions opérées par l'éditeur au sein de sa ligne "principale", comme une sorte de constante. Black & White évoque une ère paumée des comics de super-héros, une ère où on aimait faire, où on aimait lire, et où on aimait collectionner. 

En s'inspirant du travail de son mentor Archie Goodwin chez Warren Publishing, et plus précisément sur l'anthologie d'horreur Creepy avec ses innombrables dessinateurs de légende, Chiarello avait posé sans le savoir la première pierre d'un petit monument dédié à Gotham City. Des histoires courtes, expurgées de toute forme de couleur pour rendre à la ville sa parure nocturne de polar sombre ou ses allures désuètes de comic strip intemporel, avec un impressionnant ratio d'excellence au fil des volumes. Dernièrement, DC Comics, après avoir passé plusieurs décennies à escroquer ses employés en arrachant aux artistes les fruits de leur travail, poursuit désormais Batman Black & White sans le directeur artistique qui lui avait donné vie, congédié il y a un peu plus d'un an.
 
Le résultat, un premier numéro sympathique qui se repose sur de solides acquis, avec les forces et faiblesses normales d'une anthologie de ce genre et, peut-être, une passion un peu moins évidente au fil des renouvellements. Dans l'ensemble, on en a tout de même pour ses brouzoufs, ce qui est à peu près l'essentiel. Non ?
 

 
Le premier numéro de cette itération contemporaine de Batman Black & White comprend toute une batterie d'histoires courtes, et quelques pin-ups. James Tynion IV ouvre le bal avec l'immense Tradd Moore pour une petite aventure musclée vécue par les yeux d'un des guerriers de la Ligue des Ombres de Ra's Al Ghul. L'intérêt de ce court segment reste le dessin, au-delà d'un scénario relativement anecdotique. Grand habitué des séries colorées (The New World, Silver Surfer Black), Moore se laisse découvrir en noir et blanc pour un résultat proprement somptueux : l'artiste pose son trait rond et onctueux sur les surfaces de Gotham City, avec cet amour des ondulations, des silhouettes et du dynamisme fou qui faisait déjà la force de ses travaux précédents. 
 
Une scène d'action contre une armée de ninjas généreuse en effets, largement psychédélique et pétrie d'influences asiatiques : Al Ghul a tout un coup l'air d'un démon japonais, Batman évoque les mangas rétro' de l'ère Osamu Tezuka avec ses jambes épaisses et ses immenses yeux de chauve-souris. L'ensemble évoquerait aussi le travail de Genndy Tartakovsky sur Samouraï Jack, dans une version qui troquerait les angles secs contre une obsession de la rondeur. J.H. Williams III prend la suite pour un épisode plus symboliste, dans la lignée de plus anciens passages des séries Black & White revenant sur le rôle de Batman en tant qu'icone de fiction.
 
En l'occurrence, l'artiste, dans des double pages là-encore très réussies, qui transforment les perles du collier de Martha Way en molécules de Coronavirus, évoque la lutte permanente du justicier contre l'adversité et la vilénie pour métaphoriser le combat actuel des sociétés contre la pandémie. De belles planches et un message inattendu dans le contexte particulier de ce numéro, mais qui reste bienvenu et toujours aussi bien illustré.
 
 
 
L'histoire courte de Paul Dini et Andy Kubert est en revanche moins intéressante : si le dessinateur livre une belle copie avec cette Bat-Cave impeccable de blanc superposée à un combat aérien entre Batman et quelques Man-Bats venus s'y introduire, ce segment particulier ne marquera pas forcément les mémoires, agréable sans être exceptionnel. La proposition d'Emma Rios se veut plus poétique, évoquant la transformation de Bruce Wayne et la part sombre du deuil et du traumatisme de l'enfance dans une parure de comptine, sans s'éviter le piège de tomber du très facile ou du déjà vu. G. Willow Wilson préfère surprendre avec un morceau de vie plus quotidien, une interaction entre Batman et Killer Croc sur fond de normalité.
 
Ce passage précis rappelle là-encore d'autres moments de la saga Black & White avec ces petits épisodes chargés de gonfler d'humanité les tréfonds sombres de Gotham City (à l'image du passage d'Adam Hughes sur Catwoman dans le dernier volume en date). Trop courtes pour donner lieu à des arcs de longue haleine, trop sympathiques pour ne pas être racontées, ces histoires placées aux interstices du long feuilleton qu'aura été la carrière de Batman sont généralement de belles petites trouvailles à défaut de raconter de grandes choses. Le trait de Greg Smallwood n'est évidemment pas étranger à ce sentiment de confort familier : aussi adroit que d'habitude, l'artiste s'épanouit dans le noir et blanc avec une aisance prodigieuse, toujours bloqué dans cette fine limite qui sépare le réalisme de l'expressionisme. Un Batman en forme de silhouette noire aux yeux blancs dans la pénombre, empilé sur des visages, des expressions et un découpage qui évoque l'ère du film noir et du feuilleton pulp de détectives. Greg, frérot, faut faire une mini-série maintenant. Ca suffit les enfantillages. Au boulot.
 

 
En somme, un bilan plutôt positif pour ce premier numéro de Batman : Black & White, à défaut de pouvoir vendre le nouveau venu d'un projet de toute une vie. Sans Mark Chiarello, le risque était de tomber dans l'automatisme, et pour l'heure, seuls les dessinateurs parviennent à éviter l'inévitable : avec des intrigues au mieux très sympathiques, où J.H. Williams III et le seul à tenter de convier un message réel sur le rôle du justicier, cette entrée en matière séduit pour l'excellence graphique mais ne marque pas comme d'autres segments ont marqué autrefois. Le piège de l'anthologie est aussi de varier en fonction des équipes créatives (d'une certaine façon, on est toujours aussi heureux de voir Paul Dini revenir, de temps à autres) et en fonction des goûts. Reste à voir si les prochains numéros seront de nature à surprendre davantage, ou s'il ne s'agira que d'une feuille blanche pour les immenses talents du dessin contemporain - et une fois ces cheveux coupés en quatre, on le répète au cas où : c'est déjà ça.

Corentin
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