Au beau milieu du mois de juin 2019, Marvel cassait internet avec un teaser énigmatique autour du personnage de Spider-Man. Le chiffre "4", formé d'une toile d'araignée, faisait croire à bon nombre de monde que la maison d'édition allait mettre sur place un projet attendu de longue date : l'adaptation en comics du Spider-Man 4 de Sam Raimi. Le jour suivant, pourtant, la mise en ligne d'un teaser similaire avec le chiffre "3" tue d'emblée toutes les spéculations les plus folles : il ne s'agira que d'un compte à rebours, néanmoins pour faire part d'une importante nouvelle : le réalisateur J.J. Abrams va écrire son premier commics pour le compte de Marvel. Et sur du Spider-Man, en plus. Avec Sara Pichelli ! Ha ? Et avec son fils, en fait, pas tout seul.
Si on retrace ces faits en préambule, c'est pour acter que le projet Spider-Man : De Père en Fils a pas mal souffert d'une communication malhonnête de Marvel à ses débuts, ainsi que de certains reproches (que l'on peut comprendre) sur le fait que la mini-série n'aura été qu'un cadeau de commande faite par un réalisateur important pour laisser son fils écrire Spider-Man comme il le souhaite. Enfin, le titre a aussi souffert de nombreuses accumulations de retards, qui comme pour bien d'autres récits, ont cassé le rapport "événementiel" que la maison d'édition voulait lui porter en premier lieu. Une fois ces éléments mis de côté, néanmoins, que reste-t-il du Père en Fils ? Très bonne question, à laquelle nous allons répondre immédiatement. Là, tout de suite. Juste en dessous.
Chose amusante, le Spider-Man de J.J. Abrams et fils n'est pas celui qu'on croit. L'introduction est rapide, rythmée, et a sa choc value dès les premières planches - ce qu'on est obligé d'aborder ici pour établir le pitch. Peter Parker et MJ ont eu un enfant, Ben Parker. Mais au cours d'une mission de super-héros, MJ est tuée par un super-vilain peut ragoûtant au nom ridicule (c'est l'auteur lui même qui le dit), Cadavérique, mettant sur Peter Parker le poids de grandes responsabilités devenues bien trop lourdes pour lui. Ce-dernier laisse donc son gamin chez sa tante May, et se retranche dans son travail de reporter à l'étranger, laissant Ben sans père (ni mère), dans l'espoir que le fardeau de ses super-pouvoirs ne viendra pas lui gâcher ce qu'il pourrait lui rester d'une vie normale. Douze ans plus tard, jeune adolescent, Ben Parker découvre pourtant qu'il a les mêmes facultés que son papa. Ce qui attire l'attention d'un Cadavérique qui était resté dans l'ombre jusque là.
Spider-Man : Renew your vows avait déjà abordé sur du long terme la question de l'avenir de Peter Parker et Mary Jane Watson s'ils avaient pu se marier et avoir un enfant ensemble. Mais Abrams père et fils emmènent leur récit dans une autre direction, surprenante au départ (notamment parce que la couverture d'Olivier Coipel, choisie par Panini pour l'édition régulière de cet album, est trompeuse sur le contenu), puis assez logique. On se représente en effet très bien pourquoi un comics écrit par un daron et son gamin parlerait... d'un daron et son gamin. Mais c'est le point de vue de Ben qui est utilisé, avec de premiers chapitres intéressants dans leur exploration de cette relation père-fils hautement compliquée, et la découverte des pouvoirs par le jeune héros en devenir. Ben Parker est assez attachant, et bien que Miles Morales soit lui aussi déjà passé par là, son environnement lycéen fonctionne bien. Dans les quelques personnages de second plan, Ito Faye est amusante et le duo père/fils ne tombe pas dans les facilités du love interest, quand May est toute douceur et bonne volonté, rappelant celle pleine d'initiatives d'Into the Spider-verse à quelques égards.
De quoi compenser le côté très torturé de la relation que Ben a avec Peter Parker, représenté ici sous un jour détestable. Lâche, irresponsable, il est loin du Spider-Man que l'on reconnaît d'habitude en lui, malgré son trauma. Les dialogues entre les deux, plein de reproches et de regrets, sonnent assez justes pour appuyer sur le drame familial qui se joue - et c'est à se demander si Henry Abrams et son père n'avaient pas leurs propres problèmes à exorciser au travers de ce bouquin, au vu de la teneur des échanges. Si cet aspect se développe bien sur les premiers numéros, le retour de Cadavérique et de son plan machiavélique (assez commun dans l'univers scientifique et technologique de Spider-Man) mettent en revanche Spider-Man : De Père en Fils sur des rails plus communs. Le diabolique ennemi en a toujours après le Tisseur, et donc sa progéniture, son plan fait intervenir quelques personnages bien connus mais réimaginés d'une façon peu originale, et l'on ira se diriger tranquillement vers un gros affrontement en fin de parcours.
On souffle d'ailleurs le chaud et le froid du côté de Cadavérique (ce nom, décidément). Parce que le design grotesque et morbide de Sara Pichelli fonctionne plutôt bien, donnant à De Père en Fils pas mal de moments franchement horrifiques, lorgnant du côté de H.R. Giger - preuve étant que les sbires du super-vilain ne sont autre que des sortes de xénomorphes robotiques. Celles et ceux qui ont peur des araignées, des vraies, seront également prévenus : il y a des planches que vous ne devriez pas trop apprécier.
Si Pichelli se montre par ailleurs plutôt en forme, tout en faisant évoluer son style avec un encrage moins prononcé de ce qu'on lui connaît, et que les couleurs de Dave Stewart fonctionnent bien, notamment en termes d'ambiances, on ne saurait que vous conseiller de lire l'album dans sa version noir et blanc (plus chère), qui donne une autre approche de ce travail. On s'y retrouve bien plus sur des questions de mise en scène, de storytelling, là où les couleurs en font beaucoup sur l'atmosphère, mais empêchent d'apprécier le trait de la dessinatrice à son plein potentiel. Il sera curieux en revanche de voir quelques passages très sombres et sérieux tentés d'être désamorcés par des répliques censées être plus légères, mais en total décalage avec ce qui est dépeint - outre que quelques passages de la traduction interloquent ("tu portes le plus top costume de cosplay de Spider-Man" ?), alors que le traducteur (ici, Jérémy Manesse) nous a habitués justement à des rendus qualitatifs.
Du reste, la conclusion de Spider-Man : De Père en Fils laisse assez circonspect. Si la fin est vraiment ouverte et donne envie de voir se poursuivre cette aventure, notamment par le duo constitué, on ne peut s'empêcher de froncer les sourcils par rapport au propos, au cheminement personnel de Ben Parker, et de ce que nous raconte le récit sur le dépassement de soi face aux drames personnels. Bien sûr que les comics ont toujours eu une carte à jouer sur l'impact, mettons, des deuils, dans leur continuité, mais les choix d'Abrams et fils surprennent ici, pas forcément dans le bon sens - et pourront faire lever quelques yeux au ciel pour la partie la plus exigeante du lectorat. Difficile dès lors de savoir comment se positionner sur un récit qui oscille entre les bonnes intentions et les idées moins bien exécutées. S'il est assez clair qu'on a vu bien pire ces dernières années avec Nick Spenser sur Spider-Man, on aurait envie d'une seconde fournée d'épisodes par cette équipe créative pour confirmer l'essai.
Pas de "tout ça pour ça" avec Spider-Man : De Père en Fils. Le pitch de départ, une fois la surprise ôtée, se montre intéressant dans ce qu'il raconte d'une relation familiale houleuse, à mettre en rapport avec le duo de scénaristes qui avaient peut-être quelques problèmes à exorciser sur le papier. Sara Pichelli se montre encore très en forme pour un récit qui, hélas, laisse son propos de départ pour une histoire de super-héros plus classiques. Le tout n'est pas sans intérêt, surtout pour sa proposition finale, mais on reste mitigé sur quelques idées curieuses, un vilain au final pas si intéressant, et un contraste bizarre entre l'ambiance générale et des répliques qui ne sont pas en accord avec cette dernière. L'ouvrage mérite en tout cas qu'on s'y intéresse bien au-delà de la promotion qu'en avait fait Marvel. A voir si Ben Parker sera de retour par la suite.
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