Article rédigé par Jaime Bonkowski
Nous vous parlions à sa sortie de Batman Mythology - La Batcave comme d'un projet intéressant mais encore perfectible. Avec le second opus de la série sorti fin mars, Batman Mythology - Gotham City, Urban Comics a corrigé le tir, et on croirait presque que l'éditeur a suivi nos recommandations à la lettre (oui, on sait que les ouvrages sont planifiés et préparés bien à l'avance, c'est de l'humour, oh).
L'album est beaucoup plus proche dans son contenu et sa structure de Batman Arkham - Double-Face (dont nous vous parlons juste ici). Nous reprochions à Batman Mythology - La Batcave sa structure "thématique" qui regroupait les chapitres choisis sans souci chronologique, faisant ainsi se succéder des épisodes très éloignés dans le temps (vous conviendrez que passer d'un épisode du Silver Age à La Cour des Hiboux sans transition, c'est un peu rude). À l'inverse, nous avions beaucoup apprécié dans Batman Arkham - Double-Face sa structure chronologique et la présence d'une mini-série intégrale au milieu de l'album qui ajoutait en cohérence.
Hé bien avec Batman Mythology - Gotham City, tous les points négatifs précédemment cités ont disparu, remplacés par les qualités que nous venons de vous énumérer. Plongeons donc dans les entrailles de Gotham pour analyser tout ça.
Gotham, ville du crime
Impossible de penser à Batman sans l'associer au théâtre de sa croisade : Gotham City. Ville aussi fictive que réaliste, au long de l'histoire éditoriale du héros Gotham s'est faite le miroir d'une Amérique en constante évolution. Lumineuse et fêtarde pendant les décennies de prospérité, sombre et crasseuse pendant les crises économiques, tantôt futuriste tantôt gothique : Batman Mythology - Gotham City sait parfaitement capter ces fluctuations, autant d'atmosphère qu'esthétiques.
Au fil des chapitres, on se surprend à voyager dans une ville qui passe aisément du petit paradis à l'enfer sans nom. À cette fin, le découpage thématique (toujours présent, on y reviendra) joue beaucoup. On a une première partie qui sert d'introduction et nous raconte une Gotham comme "prétexte" aux actions de Batman et aux exactions de ses antagonistes, mais qui progressivement gagne une personnalité à part entière. Dans la seconde partie, on s'attache aux évolutions physiques et architecturales de la ville avec la sublime mini-série Le Démolisseur qui après le film de Burton de 1989 s'attache à "gothifier" Gotham. La troisième partie enfin fait la part belle à la mythologie et à l'histoire de la ville, concluant ainsi l'anthologie avec un "regard vers le passé". Le chapitrage est simple, cohérent, compréhensible et logique : on en demandait pas plus.
Morceaux choisis d'exception
Si Batman Mythology - La Batcave était garni de chapitres rares et précieux, l'anthologie restait relativement "sage" et ne faisait pas d'incursion auprès d'auteurs plus expérimentaux ou moins célèbres qui s'attaquèrent à Batman. Avec Batman Mythology - Gotham City, l'éditeur ose se montrer beaucoup plus audacieux dans sa sélection. Avec au sommet du déroutant le chapitre La Mort Frappe à 00h03 de Denis O'Neil et Marshall Rogers (1992), étrange ovni qui abandonne les phylactères pour une narration à la limite du roman en prose illustré.
On a aussi en fin de volume le Gotham Spirit de Jeff Parker et Gabriel Hardman (2013), courte, intense et superbe capsule qui nous présente la banalité routinière de Batman (qui se traduit quand même par une série de gnons dans la face). Une vraie pépite.
En plus de ces passages particuliers, l'album est composé d'épisodes tous plus qualitatifs les uns que les autres : Victoire pour le Dynamique Duo (Bill Finger, Bob Kane & Jerry Robinson, 1941), Quand la ville dort (Bill Finger, Dick Sprang & Charles Paris, 1945), Le Super Spectacle de Gotham (Ed Hamilton, Dick Sprang & Stan Kaye, 1957), Des cris dans la nuit (Chuck Dixon, Graham Nolan & Scott Hanna, 1996), Terminus (Jamie Delano, Chris Bachalo & Mark Pennington, 1994), Gotham Noir (Ed Brubaker & Sean Philips, 2001). Du beau monde, et du très beau boulot.
Intégrité structurelle : 10/10
Que seraient tous ces beaux chapitres sans un cadre de choix ? Dans Batman Mythology - La Batcave, on avait tout autant d'épisodes qualitatifs mais on les appréciait relativement moins du fait de leur agencement, qui nous faisait faire des grands-écarts entres les époques et brisait l'immersion. Ici, l'éditeur est parvenu à préserver à la fois l'intérêt d'un découpage thématique et la cohérence d'un enchainement chronologique. Résultat : on est face à un ensemble coordonné et logique qui nous entraîne en douceur à travers les décennies sans rupture artistique trop dérangeante.
Et en point d'orgue de l'anthologie : Le Démolisseur, exceptionnelle mini-série qui rend hommage à l'architecture de Gotham, et marque son entrée dans l'univers fixé par le film de Burton qu'on lui connaît encore aujourd'hui. À l'instar de Batman Arkham - Double-Face qui nous gratifiait d'une mini-série intégrale de très grand cru (Visages de Wagner), l'irruption d'une intégrale au milieu d'un enchainement de chapitres épars solidifie pour ainsi dire toute la structure.
Un mot également à propos du dernier passage de l'anthologie : Taudis et chariots, une histoire de la vieille Gotham, texte de Denis O'Neil qui se présente comme un récit historique fictif de la fondation de Gotham. Agrémenté des dessins de recherche d'Anton Furst le chef décorateur oscarisé de Tim Burton sur son Batman, on a qu'une chose à demander : à quand une publication intégrale en librairie ?
Après avoir attisé notre curiosité avec La Batcave, Urban Comics transforme l'essai avec Gotham City et nous propose une anthologie beaucoup plus aboutie que le premier volume. La perfection n'est pas encore là (on ne désespère pas de voir un jour dans la série une satanée préface comme Urban sait pourtant si bien les faire), mais entre les ajustements de structure et les partis-pris de sélection de chapitres, on est clairement face à un album bien plus consistant que le premier, qui s'en sortait déjà très bien dans son genre. Urban Comics est donc lancé sur la bonne voie, il ne nous reste plus qu'à attendre la suite (consacrée à Bruce Wayne).