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Faithless Tome 2 : BD de cul entre deux chaises

Faithless Tome 2 : BD de cul entre deux chaises

ReviewPanini
On a aimé• Maria Llovet, encore, toujours
• Une proposition rare
• La créativité de l'horreur érotique
• Plus clair dans ses intentions
On a moins aimé• Mais tout de même assez confus dans ses dialogues
• Manque de développement sur l'ensemble du volume
• Quelques séquences inutiles
Notre note

La première mini-série Faithless avait tout d'une anomalie dans la bibliographie de Brian Azzarello. Grand habitué des détectives en imperméables, des histoires sombres à base de chargeurs pleins puis de chargeurs vides, le scénariste s'était décidé à aller là où personne ne l'attendait : vers l'éveil sexuel d'une jeune femme adepte de sorcellerie. Piloté par l'éditrice Sierra Hahn, qui accueillera Azzarello après le scandale phallique de Batman : Damned, Faithless aurait plutôt l'air d'un projet autonome dans le suivi d'autres travaux de l'artiste espagnole Maria Llovet, prodige du dessin habituée à convoquer l'érotisme dans un imaginaire autrement plus occulte.

Le premier volume avait ses qualités, pour peu qu'on accepte de se percher à l'intersection de cette niche précise des amateurs de comics pseudo-pornographiques, des formats pour jeunes adultes et des interjections de démons dans le quotidien contemporain. Un croisement curieux entre Suspiria, Les Prédateurs et 50 Shades of Grey, forcément biscornu. Si la première série Faithless n'était pas exempte de défauts, la plupart d'entre eux n'ont pas disparu sur le second volume édité l'an dernier chez BOOM! Studios et cette année chez Panini Comics. A commencer par le plus évident : il s'agit manifestement d'un tome de transition.
 

 
Quelques temps après la disparition de ses amis, Faith s'installe dans un quotidien de jeune peintre à la mode, validée par Louis et Poppy, et en pleine ascension artistique. L'héroïne fréquente un autre zigoto, nouveau venu dans cette joyeuse bande de partouzards décomplexés, Solomon, un ami de Poppy qui lui tient compagnie pendant que la riche héritière mène sa carrière de mannequin en Italie. Si ce résumé a déjà pu faire fuir l'ancien adolescent grincheux qui sommeille peut-être en vous, pensant reconnaître l'une ou l'autre tournure de ces anciens blogs de fan fiction que vous aimiez en secret, mais critiquiez quand même pour avoir l'air cool, tranquillisez-vous : tout ça n'a pas une grande importance, le coeur de l'intrigue se résumant plutôt à installer des figures évidentes dans la métaphore du passage à l'âge adulte entrecoupées de scènes de sexe et d'effets de surprises morbides. Faithless a en effet plus à voir avec une série d'horreur érotique dans un paysage de fiction adolescente. Une sorte de pomme empoisonnée, qui permet à Azzarello et Maria Llovet de jouer avec certaines images.
 
Au demeurant, le scénariste paraît lui-même se perdre dans sa lente allégorie de la jeune femme paumée dans un nouveau milieu qu'elle ne comprend pas mais dont elle tente de s'emparer - un poncif notoire de ce genre d'histoires. Les dialogues n'ont parfois aucun sens, tournent en dérision des situations autrement plus sérieuses, et sont parfois grossiers, à l'image de cette scène dans une boîte de nuit où une jeune italienne arrogante insupporte Faith, jusqu'à déclencher les pouvoirs de l'héroïne. La jeune peintre paraît à la fois consciente du statut de Louis et de sa situation, mais a tout de même l'air largement manipulée et paumée pendant les deux bons tiers de ce second volume. Au global, le scénario cherche une solution moins manichéenne que prévue au problème, en développant le caractère complexe du personnage principal, qui troque les cadavres et le diabolique de son quotidien contre un peu de tendresse et la perspective de s'affirmer en tant qu'individu. 
 

 
Azzarello cherche également à proposer un commentaire ironique sur le marché de l'art contemporain, la valeur des créateurs et la relation aux critiques professionnels. Ce propos est majoritairement véhiculé par les deux personnages les plus cyniques du volume, et rien n'interdit de penser que l'auteur se projette justement dans ces deux figures précises : passé en indépendant pour Faithless avec la perspective d'être critiqué en tant qu'individu, l'auteur part de cet art qui choque, cet art des corps et de la féminité. Là-encore, difficile de prendre le propos pour argent comptant : les toiles de Faith marchent surtout dans la perspective de jouer avec le thème de l'horreur érotique, ou de chercher à créer un malaise en revenant à un rapport plus intime, trop intime, à la peinture.
 
Un curieux micmac qui pioche dans les stéréotypes de la fiction pour jeunes adultes, pour véhiculer des images, des situations et une amplitude dans le dégueulasse un peu plus sincère. Rien de surprenant sur le papier : personne ne s'attendait à ce que Brian Azzarello sache causer de passage à l'âge adulte ou d'éveil sexuel féminin en trouvant les mots justes. En revanche, le bonhomme aime ses monstres, ses sales manies et a manifestement envie de se lâcher depuis quelques années avec des bande-dessinées plus extrêmes. En d'autres mains que celles de Maria Llovet, Faithless II aurait probablement plus à voir avec un caprice de vieil homme difficile à contextualiser. L'artiste trouve toutefois le ton juste pour mettre en accord le fond et la forme, et accoucher d'une série d'horreur érotique qui tient debout.
 

 
Si ce second volume met un certain temps à trouver son tempo, Llovet s'arrange des curiosités du scénario pour enrober le texte de superbes dessins. L'artiste s'était matérialisée dans un autre style, plus léger, plus fragile, plus expressionniste au moment de la première mini-série, pour s'installer durablement dans cette atmosphère précise : Faithless est une bande-dessinée colorée, agréable à l'oeil, qui compose un paysage de ville italienne aux couleurs descendues dans lequel on aime se promener. Les monstres, les situations, la propension générale à l'horreur du corps et de la sexualité passe pour une sorte de contraste à cet environnement graphique plus doux, dans la continuité du travail de la dessinatrice depuis quelques années. Plus récemment, sur Luna, Llovet imaginait un croisement du même genre, entre une communauté hippie idyllique, adepte du Flower Power et du retour à la nature, en surimpression d'une violence et d'une étrangeté implicite.
 
Faithless a le défaut de ne jouer que sur une seule corde : celle de l'horreur intime, de l'horreur des corps, des muqueuses, en se passant de l'aspect "slasher" du premier volume où les amis de l'héroïne étaient assassinés les uns après les autres, ou de cette épouvante de la folie mentale qui doute du réel des situations. Le second volume se veut plus explicite dans ses références religieuses, en assumant ouvertement de dire qui est qui. L'ensemble reste efficace, une fois encore, pour les amateurs de cette catégorie précise de bizarreries, avec de superbes scènes et un ensemble créatif qui s'autorise une certaine générosité. Cela étant dit, Azzarello gère un peu moins bien le rythme maintenant que les présentations ont été faites : les scènes de choc surgissent plus vite, à intervalles plus réguliers, jusqu'à habituer la lecture. Le problème d'un tome pensé comme une transition entre l'introduction et la conclusion, qui ne travaille pas assez l'aspect "soap" et ne développe pas ses personnages équitablement. La seconde moitié du volume est plus réussie que la première, qui sert surtout à préparer la suite.
 

 
En résumé, Faithless II fonctionnera pour ce lectorat passé par curiosité sur la première série et avide d'en avoir un peu plus. Pas forcément aussi réussi une fois le souffle de la nouveauté passé, le titre reste créatif, généreux et magnifiquement illustré par une artiste de talent, qui aurait peut-être gagné à filer un coup de patte à l'écriture. Si Azzarello reste adroit de son clavier, le scénario de Faithless II manque de corps (haha), en répétant beaucoup de ce qui a été dit dans le premier et en n'allant pas au bout de certaines nouvelles idées. Quelques unes des scènes sont largement dispensables, et le début du volume ne parvient pas à raconter grand chose de neuf. Le résultat est un compromis pas désagréable entre une fiction pour jeunes adultes stéréotypée et une série d'horreur érotique efficace avec de jolis dessins - compte tenu de la rareté de ce genre de propositions dans le comics moderne, difficile de statuer sur un bilan définitif. Faithless s'adresse (mécaniquement) à une niche précise avec des attentes particulières, qui pourra tolérer quelques défauts techniques et dialogues malhabiles pour apprécier l'objet étrange et se concentrer sur d'autres points. De la même façon qu'un slasher peut se juger à la créativité de ses tueries, là où le scénario sera généralement un détail de second plan (remarquez que ça marche aussi pour l'érotisme, à une autre échelle).

Corentin
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