Quand un gars a eu la bonne idée de demander à Ed Brubaker comment il s'y était pris, pour transformer l'histoire de la bande-dessinée aux Etats-Unis en un polar à la Martin Scorsese, Ed Brubaker avait répondu : donnez moi deux minutes, et je peux transposer n'importe quel sujet dans les codes du polar. Cette affirmation, valable pour Bad Weekend et toute la bibliographie du grand escogriffe des détectives en goguette, se vérifie dans le format des romans graphiques jeunesse de DC Comics.
Prenez
Swamp Thing : d'ordinaire, allégorie du monstre, de la place du vivant, parabole gothique sur les créatures difformes et la proximité de certains paysages américains avec la nature ? Bam,
histoire de passage à l'âge adulte entre deux frangins. Prenez
Mr Freeze ! Vilain ringard rendu célèbre parce qu'une paire d'auteurs a décidé de prendre au sérieux le drame romantique, la malédiction de sa transformation et le souvenir de sa femme à jamais congelée ? Bam !
Romance entre jeunes. Romance impossible, même, avec le thème de la mort programmée de
Nora comme dans ces histoires tragiques d'adolescents atteints de maladie grave façon
Nos Etoiles Contraires. Le format
young adult s'adapte à tout, au point de devenir très impressionnant dans sa capacité à muter.
Mister Miracle à l'université
Sur le papier, la perspective d'adapter l'histoire de Scott Free dans ce format précis n'a donc rien de très surprenant. DC Comics s'attaque à un roman graphique reprenant les contours d'autres projets du même, avec le paysage du Quatrième Monde pour terrain de jeu. Résumé des épisodes précédents pour celles et ceux qui n'auraient pas suivi : dans un recoin très isolé de l'univers DC, deux planètes de dieux cosmiques (ou "New Gods") se font la guerre depuis le début des temps. New Genesis, menée par le Highfather, et Apokolips, menée par Darkseid, semblent toutefois prêtes à un cessez-le-feu sous certaines conditions : les deux chefs de guerre devront envoyer leurs premiers nés en otage chez l'uns et l'autre, comme caution de garantie. Orion, fils de Darkseid, est ainsi envoyé sur New Genesis où il sera élevé comme l'un des princes du royaume, et Scott Free, fils du Highfather, sera envoyé sur Apokolips pour une vie de prisonnier moins reluisante.
L'histoire classique de Mister Miracle sera adapté sous un angle inédit par Varian Johnson et Daniel Isles dans le roman graphique The Great Escape, annoncé pour 2022. Si cette nouvelle aventure reprend le gros du mythe de Jack Kirby, les modalités et le style devraient s'adapter au genre du young adult en présence : Scott y est présenté comme un étudiant de la Goodness Academy, sorte d'université d'Apokolips, et rêve de quitter ce patelin où il a passé l'essentiel de sa vie pour rejoindre la Terre. Le héros devra pour cela s'enfuir, mais va malheureusement se retrouver confronté à un obstacle lorsqu'il tombera amoureux de Barda, cheffe des Female Furies et garante de la sécurité sur Apokolips et pour les étudiants de la Goodness Academy.
En résumé, le synopsis reste finalement assez proche des comics du Quatrième Monde, avec quelques nuances de style ici ou là. Scott y est par exemple décrit comme un jeune homme noir, ce qui n'est pas forcément déconnant vis-à-vis de la généalogie des New Gods de Jack Kirby : dès l'invention de ce morceau d'univers, l'artiste posait l'idée que ces personnages de dieux du cosmos n'étaient pas forcément caucasiens, comme peut en témoigner le fameux Black Racer. Les formats young adult ont aussi pris l'habitude de donner la parole à des figures issues de différentes minorités, le bouquin reste donc placé dans une certaine continuité artistique.
Pour l'occasion, DC a tout de même mis les petits plats dans les grands en allant chercher Varian Johnson, dont le travail aura été salué par la critique à plusieurs reprises par les spécialistes de la littérature jeunesse. Mister Miracle : The Great Escape est attendu pour le 25 janvier 2022.