Après plus de dix ans de pause, Ben Templesmith annonce le retour tardif de la série Fell, cocréée avec le scénariste Warren Ellis. Le duo compte boucler le projet en un roman graphique, prévu chez Image Comics. Sur les réseaux sociaux, Thierry Mornet, responsable éditorial au sein du groupe Delcourt, explique de son côté que l'ouvrage devrait trouver son chemin vers la France, pour servir de second tome à la première édition collectée des numéros originaux, Snowtown.
Fell & the Fallen
Au départ, le projet de la série Fell était une expérience de Warren Ellis pour proposer des comics à prix réduits - en réduisant la taille des histoires et en cherchant des idées pour économiser sur les découpages. En l'occurrence, le titre suivait les enquêtes de l'inspecteur Richard Fell dans une parodie de ville criminelle où la loi n'a plus cours, où le meurtre est habituel et où les trafiquants ont pris leurs quartiers. L'équipe créative avait eu le temps de livrer neuf numéros entre 2005 et 2008, avant que l'ordinateur du scénariste, où étaient rangés les scripts des histoires suivantes, ne tombe en rideau. Il aura fallu quelques années à Warren Ellis avant de se motiver à reprendre la route de Snowtown, en évoquant à plusieurs reprises son envie de poursuivre.
Le scénariste est d'ailleurs encore assez silencieux : l'annonce du retour de Fell est tombée sur les réseaux sociaux de Ben Templesmith, Instagram et Patron. L'artiste évoque en filigrane le comportement privé de Warren Ellis, sans entrer dans les détails. En l'occurrence, une posture qui pourrait se résumer à "vous n'annulerez pas mon copain".
"Fell va enfin être terminé. Ok, ça va enfin pouvoir se faire. Pour le meilleur comme pour le pire, il était important pour moi de terminer ce travail. On a vraiment trop attendu. Bien sûr, énormément de choses ont changé depuis cette époque. Oui, je sais *énormément*.
Ce n'est pas à moi de parler à la place de Warren, mais j'avais accepté de travailler sur ce projet, et je suis content de pouvoir recommencer à faire du comics. Je ne pense pas que qui que ce soit s'attendait à ce qu'il se casse de l'industrie pour aller travailler dans une usine de chaussures. Après tout, il fait partie des scénaristes les plus importants de la bande-dessinée de ces dernières décennies. Ca compte beaucoup pour moi de pouvoir terminer ce projet, et donc, je ne pouvais pas refuser. J'imagine que les ventes parleront d'elles mêmes, pour déterminer ce qui se passera dans l'avenir."
Sur le papier,
Templesmith n'a pas forcément tort : personne ne s'attendait à ce que
Warren Ellis se réoriente vers un autre secteur d'activité, ou à ce que le lectorat de comics au global se désintéresse de son travail. En l'occurrence,
Fell représente un retour aux affaires pour le scénariste après
quelques annulations de projet chez DC Comics dans la foulée des témoignages de victimes de son comportement. Le dessinateur ne tient apparemment pas à évoquer le sujet de front, en s'arrêtant à une envie personnelle de terminer une BD qui lui tenait apparemment à coeur.
D'expérience, les réactions de quelques uns de ses fans se seront majoritairement cantonnées à un refus net d'évoquer le sujet : si Warren Ellis est effectivement un prédateur sexuel, "ça le regarde", "n'en parlons plus", "la vie privée n'a pas à interférer dans le jugement critique", "elles exagèrent", "ce genre d'articles n'a pas sa place sur une antenne spécialisée", etc, etc. Le respect des victimes, qui se comptent par dizaines dans le cas présent, se cogne mécaniquement à l'affect dans le cas d'un auteur considéré comme l'un des plus doués de sa génération. Toute industrie a ses séparateurs de l'homme à l'artiste, quand le talent peut servir de paravent.
Cela étant, parce que la vie est courte, et parce qu'à force, le fait de modérer les sections commentaires de gens très à cheval sur l'éthique journalistique et l'envie d'expliquer aux gens ce qui constitue ou non une information utile ou orientée est un peu devenu un passe-temps, voici en substance le résumé des revendications des victimes de
Warren Ellis. En introduction d'une centaine de témoignages de femmes différentes sur le comportement du scénariste,
le collectif SoManyofUs avait effectivement pris le temps d'expliquer leur entreprise : l'idée étant justement de ne pas ou de ne plus tolérer l'entre-soi masculin qui permet la prolifération de ce genre de comportements, pour demander aux auteurs d'accorder un peu plus de respect aux femmes de leurs entourages. Ce qui ne devrait pas être une demande si anormale au demeurant.
"Pour être claires, notre objectif n'est pas de punir Warren Ellis, nous essayons justement de voir plus loin. Nous pensons qu'il est important de prendre conscience de ce genre de comportements, et de l'existence d'une culture de la protection pour ceux qui les perpétuent. La souffrance émotionnelle, quoi qu'elle ne constitue pas un délit légal ou juridique, devrait être admise comme un abus profond aux conséquences durables. Nous racontons nos histoires pour que chacun et chacune soit en mesure de reconnaître ce genre de comportements dangereux, et de s'en protéger ou de protéger les autres.
Nous demandons également à ceux qui liront ces témoignages de comprendre que les scénaristes travaillent rarement seuls, et que beaucoup des artistes, coloristes, encreurs, lettreurs, éditeurs et autres collaborateurs qui auront travaillé avec Warren pendant toutes ces années soient reconnus à la hauteur de leur travail, et soutenus pour les oeuvres sur lesquels ils auront travaillé en sa compagnie. A ceux qui ont fait le choix de soutenir Warren, nous aimerions ajouter que nous comprenons le choc, la confusion, la colère ou le sentiment de trahison généré par ces témoignages.
Nous espérons que, comme nous, cette colère se matérialisera sous une forme positive pour soutenir le changement dans vos communautés et en vous-mêmes."
À voir ce que l'avenir réserve à Warren Ellis, qui avait formulé des excuses publiques l'an dernier.