Entre deux paragraphes d'une tribune consacrée au thème du "contenu" - le terme que les gars en cravates utilisent pour parler des trucs trop abstraits, genre l'art, la culture, le divertissement et autres trucs lourdingues - Bloomberg évoque le cas de Dark Horse dans la stratégie actuelle des grands groupes vis-à-vis des plateformes de vidéo-à-la-demande. En résumé, l'objectif actuel viserait à centraliser la production via différents réseaux de partenariats. Rien de très nouveau sur le papier : les grands studios signent déjà depuis plusieurs années différents types de contrats d'exclusivité avec des metteurs en scènes ou des scénaristes reconnus, dans le but de produire en interne, rachètent des sociétés de production de tailles variées, et s'associent à des fournisseurs indépendants pour développer de nouvelles idées.
Cette stratégie tendrait à s'éloigner progressivement de l'ancien modèle de production, où les créatifs comme les studios travaillaient de leur côté sur un projet, avant de venir s'adresser aux plateformes dans un second temps. Selon
Bloomberg, les grandes sociétés du marché du divertissement chercheraient à fortifier leurs catalogues, à coups de rachats. A l'instar de ce qui a été observé
sur le cas Mark Millar et Netflix, où le bonhomme a littéralement vendu son nom et l'ensemble de ses créations passées et futures à une plateforme en recherche permanente de nouvelles productions.
Fin de partie pour le Cheval Noir ?
La situation de Dark Horse ne représente qu'un court paragraphe dans cet état des lieux, mais Bloomberg rapporte une donnée alarmante pour cette maison d'édition, restée indépendante depuis ses débuts.
"Dark Horse Comics s'ajoute à la liste. L'entreprise prend actuellement conseil sur plusieurs options pour l'avenir, parmi lesquelles la possibilité de se faire racheter, selon plusieurs sources proches du dossier. Dark Horse n'a pas souhaité répondre à nos questions."
Fondée en 1986 par Mike Richardson, Dark Horse Comics anticipe de quelques années le boum des éditeurs indépendants de la génération 1990, en pénétrant dans la brèche du marché des ventes en direct ouverte par DC Comics et Marvel. Soupape de décompression pour la grogne des auteurs de super-héros, l'entreprise accueillera Frank Miller sur les projets Sin City, 300 et Hard Boiled dès ses premières années, avec également John Byrne, et surtout Mike Mignola pour la saga Hellboy, figure de proue et mascotte officieuse de cette structure à cheval sur les créations originales et les produits à licence. Dark Horse se distinguera pour l'édition des comics Buffy, Alien, Predator, Conan le Barbare et Star Wars, une source de capitaux qui commencera peu à peu à se tarir à mesure que d'autres groupes plus importants mettront la main sur ces catalogues.
En panne sèche de franchises depuis quelques années, l'entreprise aura eu un certain mal à rebondir sur le second souffle d'Image Comics et la fuite des cerveaux vers les contrats avantageux proposés par MacFarlane et Eric Stephenson, et surtout, le rachat de Lucasfilm et de la 20th Century Fox par la société Disney. Privé de sa rente principale, l'entreprise aura toutefois eu l'intelligence d'embaucher Karen Berger, fondatrice du label Vertigo chez DC Comics, pour amorcer la transition Berger Books et faire rentrer de nouveaux projets susceptibles de générer de grands succès critiques (The Seeds, She Could Fly, Invisible Kingdom).
Si
Dark Horse va au bout de cette logique, l'entreprise pourrait se faire avaler par un groupe déjà présent sur le marché de l'édition (
Amazon avec
Comixology,
Disney avec
Marvel,
Warner Discovery avec
DC Comics, etc). La piste la plus censée serait de voir
Netflix investir dans la compagnie de
Richardson,
sur la base de leur première association, et parce que
Disney aurait sans doute du mal à insérer
Hellboy ou le cannibale mangeur des prostituées de
Sin City dans l'univers
Marvel Studios. La disparition potentielle de cette identité précieuse au monde des comics pour la diluer dans un nouveau système de production en série au sein d'une plus grosse entreprise serait, dans tout les cas, une triste nouvelle pour l'industrie de la BD aux Etats-Unis.