Plus d'un an après la sortie de Zack Snyder's Justice League (une version aussi appelée Snyder Cut) sur HBO Max et alors que le réalisateur est depuis parti voguer vers les horizons de Netflix, chacun aurait pu penser que le dossier sur l'une des director's cut les plus onéreuses de l'histoire serait bouclé. Il n'en est en réalité rien, puisque Rolling Stone a sorti une longue enquête qui revient sur le déroulé des évènements ayant permis à la Snyder Cut de voir le jour. Avec de nouveaux éléments mettant en lumière une série de mauvais comportements et, pour la première fois, qui appuie la façon dont le fandom a été manipulé et amplifié à l'aide de faux comptes et bots sur les réseaux sociaux. De quoi remettre une pièce dans une machine médiatique infernale qui a déjà fait bien des dégâts.
Pour Rolling Stone, la journaliste Tatiana Siegel revient donc sur le mouvement de fans s'étant rallié à la cause de Zack Snyder pour que Warner Bros. sorte la director's cut de Justice League après l'échec de la version hachée et montée par Joss Whedon en 2017, après le départ du réalisateur pour raisons familiales (mais dont on rappelle dans l'article que Whedon était déjà au travail bien avant ce départ, le studio n'étant pas du tout satisfait des premiers cuts de Zack Snyder). Le journal estime que le mouvement a été plus ou moins alimenté dès 2016 par Snyder lui même à partir du moment où son film Batman v Superman : Dawn of Justice ne rencontrait pas le succès critique escompté, mais que sa réelle toxicité est à dater aux alentours de 2018.
Pour rappel, les faits listés n'ont rien de neuf pour qui aura été sur internet ces quatre dernières années : on parle des célèbres hashtags #ReleaseTheSnyderCut et #RestoreTheSnyderVerse, d'appels aux boycotts sur les réseaux sociaux, de demandes de licenciements de certains exécutifs de Warner (tels que Kevin Tsujihara, Geoff Johns ou Jon Berg), et même de menaces de mort. On se rappelle à titre d'exemple que l'ancienne présidente de DC Comics, Diane Nelson, avait supprimé son compte Twitter après avoir émis un avis enthousiaste sur le film Joker (qui ne fait pas partie de l'univers DC Comics installé par Snyder). Le Rolling Stone explique que certaines manoeuvres de cyber-harcèlement se sont révélées tellement intenses que Warner Bros. a dû impliquer sa division de la sécurité sur ce dossier. Devant l'intensité du phénomène, le studio a également commandé plusieurs enquêtes auprès de spécialistes du web pour vérifier son authenticité.
Les résultats de ces rapports d'enquête, dont l'existence n'avait pour le moment jamais pu être vérifiée alors qu'elle se discutait en coulisses, sont sans appel : il estiment qu'au moins 13% des comptes ayant participé aux conversations en ligne autour de la Snyder Cut sont des faux comptes/des bots (rayer la mention inutile). Une donnée importante puisqu'il est estimé qu'en moyenne, le pourcentage de bots dans ce genre de phénomènes est de 3 à 5%. Autrement dit, s'il ne faut pas nier l'engagement de fans en chair et en os, il est aussi indéniable que le mouvement a été manipulé, amplifié, voire "militarisé" (weaponized) pour faire, au final, plier un studio et l'amener à produire une nouvelle version d'un film qui avait déjà coûté énormément (et floppé au cinéma).
La rédaction de Rolling Stone explique également avoir contacté d'elle même deux sociétés indépendantes spécialisées dans l'analyse de l'authenticité sur les réseaux sociaux (Q5id et Graphika), ainsi qu'une troisième (Alethea Group), qui ont confirmé les rapports d'enquête commandés par Warner Bros. Cette dernière trouve même des zones d'ombre sur certains sites connus du mouvement (notamment le forsnydercut.com), qui appartenait à une agence aujourd'hui défunte, dont l'activité était d'attirer du trafic sur des sites de façon "instantanée et à moindre coût". Enfin, le média affirme s'être entretenu avec une vingtaine de personnes (dont l'identité reste évidemment confidentielle) dont la plupart affirme que Zack Snyder a lui-même participé à manipuler la campagne Snyder Cut en ligne. Ce que par ailleurs, le réalisateur réfute - et il serait mal avisé de lui donner tort, quoique chacun aura pu observer les nombreux posts sur le réseau social Vero, qui ont entraîné le mouvement.
Il est également expliqué que l'intensité du mouvement et de la viralité des hashtags a un temps intéressés la concurrence, désireuse de savoir comment obtenir la même effervescence en ligne. Mais que, en compagnie d'analystes du marketing digital, les questionnements sont arrivés assez rapidement, à nouveau sur cette question d'authenticité - il est expliqué qu'il ne peut pas y avoir quelque chose d'organique dans un hashtag qui passe de quelques millions d'utilisations à 40 000 en l'espace de quelques jours, et qu'il y avait forcément une manipulation derrière cela. Rolling Stone explique que début 2021, quelques mois avant que la Snyder Cut ne soit rendue disponible au monde entier, c'est la circulation d'un meme représentant les têtes décapitées de Geoff Johns, Walter Hamada et Toby Emmerich qui a fait craindre au studio pour la sécurité de ses employés et initié la demande des enquêtes sur le mouvement des fans, dont les résultats lui ont été apportés en avril 2021.
Les données qui ont été retirées de ces rapports stipulent donc : qu'une communauté avait pu être identifiée comme composée de vrais et faux comptes (avec la proportion anormale explicitée précédemment dans le texte) chargés de partager des contenus négatifs envers Warner Bros et plusieurs de ses têtes dirigeantes ; trois leaders (un pour chaque plateforme que sont Facebook, Twitter et Instagram) ont été identifiés et, au vu de leurs communautés, étaient largement capables d'influer l'opinion publique sur les réseaux ; et qu'une partie non négligeable des contenus postés par cette communauté était dirigée contre Ann Sarnoff (qui avait exprimé publiquement son aversion pour le mouvement dans un entretien à Variety). Concernant l'utilisation de bots, il est affirmé par la directrice de Q5id : "il y a certains motifs spécifiques de bots que l'on a vus ici. Ils arrivent à peu près au même moment en grand nombre. Et très souvent l'origine de ces milliers voire millions de messages peut être retracée à une seule ou deux sources. Parfois, ils sont liés à des serveurs bizarres dans des pays lointains, et le contenu sera à chaque fois similaire."
En conclusion : si l'on savait déjà qu'une communauté de fans très impliquée avait participé à faire changer de fusil d'épaule un studio (qui avait aussi besoin d'abonnés pour sa nouvelle plateforme HBO Max), ses actions ont donc été amplifiées par une partie non négligeable de faux comptes, et donc manipulées par des personnes plus ou moins bien intentionnées, avec les phénomènes de harcèlement que nous avions déjà largement décrit (et que nous avons par ailleurs également subi). Chose intéressante, une analyste de l'entreprise Graphika tient à pondérer les conclusions des enquêtes en expliquant qu'une partie de ces bots n'aurait été employée que pour spammer les posts de Warner Bros sur les réseaux sociaux, et que le coeur de l'activité du mouvement Snyder Cut était bien entretenu par de réelles personnes influentes, ce qui "peut être tout autant, si ce n'est plus, effrayant que d'affronter une large armée de faux comptes".
Le rapport de Rolling Stone met aussi en lumière de supposés mauvais comportements du réalisateur Zack Snyder (réfutés par l'intéressé pour la plupart), à savoir :
Si la situation semble s'être désormais calmée (emphase sur le "semble", car les fans de Snyder sont encore légion et actifs sur les réseaux sociaux, particulièrement à l'heure du rachat par Discovery et des supposées ambitions pour DC Comics qui sont réévaluées), le papier de Rolling Stone vient mettre en lumière des faits bien connu de beaucoup sous un jour nouveau. Avec, surtout, une forme de mise en garde sur la façon dont les réseaux sociaux sont désormais devenus des outils on ne peut plus puissants aux conséquences parfois dévastatrices sur les individus. Pour Graphika, il faudra agir rapidement dessus car "ça va devenir de pire en pire avant que ça ne s'améliore".