L'artiste Joe Matt s'est éteint à l'âge de soixante ans. Sur les réseaux sociaux, Matt Wagner, collaborateur et ami proche du dessinateur, s'est fait le messager de la nouvelle, sans préciser les causes de décès soudain. Si l'essentiel du parcours de Joe Matt se sera longtemps résumé à la série autobiographique Peepshow, un titre dans le style des comics undergrounds à la Robert Crumb et Harvey Pekar, celui-ci aura également œuvré sur différents jobs de coloriste chez DC Comics et chez Dark Horse (notamment, le crossover Batman/Grendel).
Peep Show : The End
Né le 3 septembre 1963 à Philadelphie, Joe Matt se distingue sur la scène du comic strip des années quatre-vingt en entamant le travail sur Peep Show. Chronique désabusée de son quotidien, de ses amitiés, de ses loisirs et de sa romance avec sa petite-amie de l'époque (Trish), le projet fonctionne comme une forme d'auto-critique sur l'ego du dessinateur, son obsession pour la pornographie et son point de vue sur différents sujets de société.
Ses deux amis, les artistes Chester Brown et Seth, auront aussi droit à plusieurs apparitions dans les pages du projet. Quelques "numéros" se consacrent à des exercices de style moins narratifs (des jeux de découpage ou d'action silencieuse), mais le gros du projet évoque cette école de comics satiriques à la Robert Crumb : narration face caméra, exagération, évocation du sexe, autofiction, etc.
Peep Show finira par basculer dans un format de séries en single issues chez Drawn & Quarterly (1991), et obtiendra du même coup un accueil critique retentissant. Sélectionné à plusieurs reprises lors de différentes cérémonies de remises de prix, la BD, le titre trouvera un lectorat de fidèles sur ce marché des comics indépendants, parmi les satiristes en vogue. Matt Groening (Les Simpsons) et David Samuel Cohen (Futurama) chanteront les louanges de Peep Show, jusqu'à envisager, dans le cas de Cohen, de monter une adaptation de l'album The Poor Bastard sur HBO. Cette collection basée sur les premiers numéros de Peep Show se consacre majoritairement à l'histoire d'amour de Joe Matt et de Trish. Malheureusement pour eux, le projet finira par être abandonné.
Projet notable de cette mouvance encore en bonne forme dans les années quatre-vingt dix, le titre aura aussi marqué Rivers Cuomo, chanteur, guitariste et parolier du groupe Weezer, qui revendique l'influence de Joe Matt sur certaines de ses chansons. Un rayonnement d'autant plus impressionnant que le titre n'aura duré, au global, que 14 numéros en tout et pour tout. En France, Peep Show a été édité sous le titre Strip-Tease : Le Journal Dessiné de Joe Matt aux Editions du Seuil (2004).
Voici le message qu'a publié Matt Wagner pour annoncer la mort de son ami et ex collaborateur :
"Hey le gang... c'est avec le coeur lourd que je dois vous annoncer une nouvelle extrêmement triste. Mon ami de toujours, collaborateur occasionnel et junkie de la pop culture, Joe Matt, nous a quitté très soudainement et de façon très inattendue.
Beaucoup d'entre vous le savent : Joe et moi nous sommes rencontrés lorsque nous étions tous les deux étudiants à l'université des arts de Philadelphie, où notre amour commun pour la BD et la musique a entamé une amitié qui aura duré à travers le temps. Plus tard, Joe a travaillé avec moi à la couleur et en tant qu'assistant de production sur le dernier numéro de ma série Mage : The Hero Discovered, avant de signer de superbes couleurs sur Grendel et, bien sûr, un classique, le premier crossover Batman/Grendel.
Mais son travail le plus important est surtout paru dans les pages de sa mise à nu, son autobiographie en comics Peep Show. Celles et ceux qui connaissaient Joe le savent bien : oui, il était souvent borné et neurotique au point de devenir frustrant, exactement comme il pouvait se représenter lui-même dans les pages de ce projet. Mais c'était aussi quelqu'un de charmant, de drôle, de perspicace, et loyal avec les quelques amis pour lesquels il acceptait de faire cet effort.
En fouillant dans un vieux sketchbook 'des temps anciens', j'ai retrouvé quelques dessins que j'avais fait de Joe lorsqu'on se retrouvait dans mon vieil appart'/studio de Green Street, à Philadelphie. Le premier est issu d'un portrait mutuel que nous avions décidé de faire l'un de l'autre, assis face à face sur mon canapé. Le second représente Joe en plein travail. Je crois qu'il était en train de griffonner ses lignes de couleur pour le dernier numéro de Mage.
Joe avait vécu à Los Angeles sur cette dernière décennie, et on gardait surtout le contact via des conversations tardives sur Messenger toutes les deux semaines. Je vais beaucoup regretter ce vieux copain, et sa façon unique de poser un regard sur le monde... et la façon dont nous commencions chaque conversation téléphonique en nous mettant à baragouiner comme Donald Duck. A plus tard, mon ami... le monde est devenu un peu plus ennuyeux, sans toi."