Lorsque vous allez dans une librairie et prenez un album de comics (ou de BD) quel qu'il soit, si vous avez sûrement bien en tête que l'objet ne s'est pas fabriqué tout seul, peut-être n'avez vous pas complètement toutes les images en tête du processus de fabrication. A l'heure où cette fabrication est devenue un réel sujet de discussions chez les amateurs et amatrices de comics - en cause notamment, les "effets de fab'" accusés plus ou moins à tort de faire gonfler les prix de vente -, il nous apparaît à notre sens qu'il ne serait pas une mauvaise idée de revenir sur les quelques étapes, en imprimerie, qui mènent à la conception d'une BD.
Profitant de la sortie toute récente de MFK 2 Tome 2 en librairie, nous nous sommes rendus cet été chez l'imprimeur Graphius (reconnu comme l'un des leaders sur le marché européen) pour assister au calage des planches du nouvel album de Run, sorti au Label 619. L'occasion de voir en temps réel différents maillons de la chaîne d'imprimerie, et de vous proposer cet article illustré, qui vient accompagner un épisode de l'émission Mutafucast que nous réalisons sur le média First Print. Le projet est donc de vous proposer une plongée dans la fabrication d'un album de BD, avec du texte, des images, du son, et de la vidéo. On espère que cette approche littéralement multimédia vous plaira.
Bien entendu, le pas-à-pas présenté dans cet article avec pour exemple un album "standard" de 168 pages en couleurs, cartonné, connaît forcément moult variations en fonction du papier choisi, de l'impression, des effets de fab, des matériels, etc., pour chaque bande dessinée publiée.
L'impression de bande dessinée en couleurs repose sur le système dit offset. C'est-à-dire qu'il va reposer sur l'utilisation de quatre plaques d'aluminium semi-rigides où sera gravée l'information à transmettre sur le papier - soit ce qui a été dessiné. Le nombre de quatre correspond aux quatre couleurs utilisée, le cyan, le magenta, le jaune et le noir - qui équivaut à la dénomination usuelle CMJN (ou CMYK en anglais). Chacune des quatre plaques va contenir l'information du niveau de couleur qu'il faut en chaque point de la planche, et avec ces quatre couleurs à différents niveaux, il est ensuite possible d'obtenir toutes les couleurs sur papier. Il s'agit en fait d'une sorte d'illusion optique : en examinant une planche avec une loupe spéciale, appelée compte-fils, peut voir que ce qui peut apparaître comme une couleur unie est en fait constituée d'une myriade de points des quatre couleurs utilisées.
Pour que l'information des niveaux de couleurs CMJN soit gravée sur les plaques d'aluminium, il est nécessaire d'avoir un fichier numérique spéciale, une épreuve certifiée (aussi appelée GMG dans le jargon professionnel). Tout autour des visuels des planches à imprimer, l'information importante pour l'imprimeur se situera dans un ensemble de petites carrés de couleurs à l'intensité variable, qui correspondent à des niveaux à ajuster sur la chaîne d'impression. Ceci peut être vérifié lors du calage des planches - soit vérifier que les niveaux de couleur sont bien les bons sur un premier échantillon avant de valider l'impression du reste des pages.
Chose importante à préciser : dans l'exemple de MFK 2 Tome 2 comme sur bon nombre d'albums, l'impression se fait sur un feuillet de 16 pages. Toute modification d'un niveau de couleur est donc difficile à faire après réception de l'épreuve certifiée, car la modification en question va se répercuter sur l'ensemble des planches contenues sur ce feuillet. Cette disposition a aussi une conséquence sur certains aspects de fabrication : par exemple, si on souhaite changer d'un type de papier au cours du récit, il faut penser à ce que ça se fasse sur un multiple de 16 (ou à défaut sur un feuillet de seulement huit pages), cela ne peut pas se faire n'importe comment.
Vérification des niveaux de couleurs sur les planches de MFK2 Tome 2 (avec Run et sa casquette à gauche). On peut voir à l'écran les niveaux de CYMK utilisés qui, additionnés, formeront les couleurs présentes sur le feuillet de 16 pages (puisque la grande feuille est imprimée en recto-verso).
En haut, à gauche : les plaques d'aluminium utilisées pour l'impression offset. A droite, une plaque qui vient d'être gravée. En bas : au niveau de chaque groupe encré, on peut voir le niveau de couleur Blue ou blacK appliqué sur les plaques concernées.
Une fois l'épreuve certifiée validée, vient l'étape de l'impression sur les feuillets de 16 pages. Les grandes feuilles de papier vont passer dans une série de quatre groupe encrés (un pour chaque couleur), dont la mission est d'apposer sur le papier le niveau d'encre correspondant à celui du fichier d'impression, point par point. De telle façon à ce qu'à la sortie, on se retrouve sur papier avec la même image que vu sur le fichier numérique. Le volume d'impression de ces machines, qui tournent en permanence dans une imprimerie professionnelle est très important. En conséquence, le moindre problème pour une couleur, de fichier mal amené, ou tout accident extérieur peut avoir des conséquences sur tout le tirage du feuillet, et sur la quantité de papier utilisée.
Les différents rouleaux sur lesquels sont versées les encreurs CYMK. En haut : on discerne les quatre groupes encrés, avant que les feuilles ne soient empilées au bout de la chaîne d'impression, à gauche sur la photo.
La grande page correspondant au feuillet de 16 pages pour l'album de bande dessinée est ensuite empilée sur une palette, avant d'être acheminée vers d'autres machines, qui s'occupent de la suite des étapes de fabrication. Il faut dans un premier temps plier et massicoter la grande page afin d'obtenir un feuillet à proprement parler.
A gauche : test d'impression des pages de garde de MFK2 Tome 2 ; à droite : exemple d'un feuillet de 16 pages empilé, pour les quelques milliers d'exemplaires constituant le tirage initial de l'album.
Dans un second temps intervient l'étape où le feuillet, c'est à dire qu'une machine va simplement coudre les 16 pages qui le composent, au niveau de la pliure du milieu. Tous les feuillets de seize pages constituant l'album (donc pour MFK 2 Tome 2, au nombre de 10, plus un feuillet de 8 pages pour un changement de papier) sont ensuite réunis et empilés dans le bon ordre. Une colle est généralement utilisée pour les faire tenir ensemble, et il faut ensuite que ces feuillets soient assemblés à la couverture.
A gauche : la machine qui s'occupe de coudre les feuillets de seize pages, reconnaissable à ses bobines de fil. A droite : les couvertures pliées et adjointes à leur feuillets passent dans les dernières étapes de la fabrication.
Concernant la couverture, il s'agit d'une simple feuille de papier qui va être collée sur une pièce de carton tout ce qu'il y a de plus sommaire. Le lectorat ne le voit en général jamais, puisque le carton est recouverte sur la partie intérieure par les rebords du fichier de la couverture, et que les pages de garde sont ensuite collées par dessus. C'est d'ailleurs sur ces pages de garde qu'est déposée la colle qui va faire tenir les feuilles ensemble. Autrement dit : ce sont les pages de garde qui maintiennent le contenu de l'album à sa couverture. Le carton de couverture, une fois que le visuel y est imprimé, est lui aussi plié (en fonction notamment de l'épaisseur du bouquin), avant d'être envoyé pour l'assemblage aux feuillets.
A gauche : détail de la page de garde et des rebords de la couverture qui viennent recouvrir le carton. Au milieu : les feuillets sont attachés à la couverture par les pages de garde. A droite : détail de la dorure plaquée à chaud sur la couverture noire de MFK2 Tome 2.
Reste ensuite la question des effets de fabrication les plus communs à apporter au livre objet. Dans le cas de MFK2 Tome 2, par exemple, la couverture régulière de l'album dispose de dorures très fines appliquées par marquage à chaud sur la couverture. La couverture limitée édition FNAC dispose elle d'un vernis mat. L'utilisation du vernis mat (qui se présente comme des feuilles de film "plastique" que l'on vient faire fondre légèrement sur la couverture) a un impact sur la couleur de la couverture, notamment les tonalités rouges et jaunes, et il est donc nécessaire de faire des tests avant validation de l'effet de fabrication. Une fois tout assemblé, les albums pourront partir (là aussi par palettes) pour aller rejoindre in fine les joyeux étals des librairies.
En plus des nombreuses photos prises pour illustrer notre propos, nous vous proposons également la vidéo ci-dessous avec les images en mouvement prises par Run, qui permettront également de vous faire une meilleure idée, visuellement, d'à quoi ressemblent les machines décrites dans la chaîne d'impression.