Dessinatrice révélée aux amateurs de comics par ses nombreuses couvertures variantes, très prisées des collectionneurs et collectionneuses, la dessinatrice Peach Momoko s'est imposée rapidement comme une valeur sûre de l'industrie de la bande dessinée américaine. Avec un style qui empreinte autant à l'animation japonaise (pays où est née l'artiste) qu'au manga ou à l'estampe plus traditionnelle par son approche à l'aquarelle, Peach Momoko a eu carte blanche du côté de Marvel pour réinventer les personnages de la maison des idées avec la saga Demon Days, suivi de Demon Wars, dont l'édition française vient d'arriver chez Panini Comics.
C'est d'ailleurs à l'occasion du récent Festival International de la Bande Dessinée (FIBD) d'Angoulême que Peach Momoko était présente sur le stand de Panini, pour la première fois invitée en France sur un salon. L'occasion était donc trop belle pour se permettre de manquer cette venue, et passer quelques minutes à discuter de comics et de dessin avec l'artiste. Nous vous proposons aujourd'hui de retrouver notre interview de Peach, également disponible à l'audio via le podcast First Print (pour celles et ceux qui aiment entendre le japonais). Les propos ont été traduits en direct par Masahiro Choya des éditions Panini, et cet exercice en direct implique comme bien souvent de garder l'essentiel de la réponse. Nous espérons néanmoins que vous apprécierez les quelques informations qui se dégagent de cette discussion !
Remerciements : Sophie Cony, Masahiro Choya.
Bonjour Peach Momoko, c’est un plaisir de vous recevoir ! Puisque vous faites de la bande dessinée américaine mais que vous venez du Japon, pouvez-vous me dire quelles sont vos influences en termes de mangas et de comics ?
Étant japonaise, je suis naturellement fan des films de Ghibli, de Hayao Miyazaki, mais je suis aussi fan du réalisateur Takashi Nakamura, qui a fait le film d’animation Rêves d'Androïde (Parmumu no Ki).
A quel moment dans votre vie avez-vous décidé de devenir artiste de bande dessinée ? Vous lisiez aussi des BD étant plus jeune ?
C’est en 2015 que j’ai participé pour la première fois à une Comic Con. C’est l’année d’après que je me suis dit que c’est une activité dont je pourrais vivre.
Vous avez commencé dans des comics undeground comme le magazine Girls & Corpses, qui a une imagerie assez particulière. Qu’est-ce qui vous a attiré là-dedans ? Vous êtes amatrice d’ero-guro [un style mélangeant imagerie horrifique et érotique] ?
Effectivement, j’adore le style d’ero-guro. J’ai travaillé auparavant comme éditrice de magazines pour adultes, et j’ai un peu été, disons, inspirée par le style BDSM. C’est en effet une approche artistique qui me plaît.
Mais comment fait-on la transition entre cette bande dessinée pour adultes et les comics de l’univers Marvel ?
Quand je me suis décidée à vivre de mon art, j’étais consciente qu’il me faudrait changer de style. Même si je reste une fan de l’art BDSM et de l’ero-guro, je me dis qu’un jour j’aimerais bien essayer de retourner dans cette direction.
Est-ce que vous pouvez nous dire comment vous avez réussi à atteindre l’industrie US, notamment avec vos couvertures variantes ?
Comme je le disais, j’ai participé plusieurs fois à des Comic Con. Ce faisant j’ai été amenée à rencontrer de plus en plus de personnes, dont celles de chez Marvel. C’est quelque chose qui s’est fait naturellement, au fil du temps, ça n’a pas été un changement brutal.
C’est-à-dire que vous avez découvert les personnages Marvel sur le tas, sans attrait particulier pour eux auparavant ?
Oui, je ne connaissais pas du tout l’univers de Marvel avant (rires). Je ne faisais pas vraiment la différence entre Marvel et DC, c’était à ce point !
Comment avez-vous forgé l’univers de Demon Days, pour lequel Marvel vous a donné une complète carte blanche ?
J’avais beau faire beaucoup de couvertures, j’avais des envies de faire des histoires. J’ai donc d’abord fait un rough d’une courte histoire dont l’héroïne était Mariko. C’est cette petite histoire que j’ai présentée à un éditeur de Marvel, et qui a vraiment été le point de départ de toute cette histoire.
C’était le but dès le départ d’avoir une mini-série, ou bien le premier one-shot s’est étendu ?
Oui, dès le départ j’avais dans l’idée de faire une petite série, une histoire sur plusieurs numéros.
Comment ça s’est passé avec Marvel du côté de la liberté créative ? Vous aviez toute liberté pour tout réinventer des personnages Marvel, ou bien fallait-il discuter de ce que vous pouviez faire ou non avec vos éditeurs ?
Au début j’ai vraiment eu carte blanche, une forme de liberté absolue. J’ai donc créé l’histoire dans ces conditions. Mais effectivement par la suite il y a eu des demandes de la part de Marvel de développer l’histoire pour faire un renvoi à Civil War, et c’est donc ce que j’ai fait, en modifiant un petit peu. Mais dans l’ensemble c’était vraiment une sensation de grande liberté.
On voit dans votre style quelque chose qui tient du manga, mais aussi de l’estampe japonaise. Comment travaillez-vous ces approches ?
Vous trouvez qu’il y a une similitude avec l’estampe ?
Oui tout à fait.
Moi-même je n’ai jamais fait exprès d'adopter ce style, pas consciemment, c’est une remarque intéressante de votre part. Merci beaucoup.
Comme vous reprenez les personnages Marvel avec le folklore japonais tels que les yokai, qu’on ne connaît pas forcément tous en France, pouvez-vous nous expliquer comment on fait un bon chara-design pour mêler ces deux univers ?
Les personnages des X-Men étant des mutants, ils sont assez puissants et particuliers. Pour moi, c’est assez facile de faire correspondre ces personnages à des yokai, qui sont aussi particuliers. C’était aussi un processus naturel d’écrire l’histoire, je n’ai pas ressenti le besoin de réinventer quelque chose.
Et c’est compliqué de s’adapter à la narration à l’américaine, avec les numéros structurés en une vingtaine de pages ?
Demon Days est ma première série : il y avait donc tout à apprendre. Je n’avais jamais lu de comics ou de mangas, c’était donc une découverte totale. J’ai appris beaucoup de choses, et d’ailleurs j’apprends toujours.
Comment travaillez-vous avec Zack Davisson, qui est votre aide chez Marvel sur cette bande dessinée ?
En fait, je dessine un rough du dessin avec les dialogues. Il n’y a pas de script, donc ce sont ces roughs avec les dialogues que j’envoie directement. C’est ce fichier que je montre à Zack Davisson, qu’il adapte ensuite en anglais. Il agit comme une forme de « traducteur », mais c’est surtout qu’au vu de ses connaissances de l'univers Marvel, il peut ajouter des précisions pour que le scénario soit plus fluide.
Mais que je comprenne bien, il n’y a donc pas d’étape de script chez vous ?
Tout à fait. Je pense que les gens auraient du mal à comprendre à l’écrit ce que je veux faire, c’est pour ça que je le dessine d’abord. C’est un peu comme le travail d’un réalisateur de film d’animation, on dessine d’abord – comme un storyboard en fait – pour montrer l’intention.
Il y a quelques pages de Demon Wars qui tendent vers l’horrifique, est-ce que ça vous intéresserait de faire des histoires plus horrifiques, avec Marvel ou ailleurs ?
J’aime bien le genre horrifique, les histoires d’horreur. Dans mes créations, j’essaie de montrer une partie de cet aspect de mon art, et j’essaie de le faire à chaque fois que je peux.
On imagine qu’il y aura une suite à Demon Wars, non ?
A vrai dire, ce n’est pas quelque chose que j’ai préparé. Dans Demon Wars, il y a beaucoup de personnages importants pour moi. Disons qu’il y a beaucoup d’histoires parallèles avec eux qui occupent ma tête, mais concernant Demon Wars, l’histoire principale est bien terminée.
Je pensais à une forme de trilogie, après Demon Days et Demon Wars…
Non, c’est fini.
Et qu’en est-il du creator-owned ?
J’ai en effet beaucoup d’idées, que j’écris de mon côté. Ce serait génial si j’arrive un jour à faire ma propre création.
Très bien, alors --
Je voudrais juste préciser quelque chose sur la fin de Demon Wars. Dans Demon Days, Mariko se faisait tuer en quelque sorte. Dans Demon Wars, c'est pour cela qu'on se retrouve dans le monde des morts [des esprits, ndlr]. C’est pour ça qu’il n’y a pas de suite dans ma tête à cet univers, même si bien évidemment, s’il y a une occasion de faire une troisième histoire... Je n’en dirais pas plus mais…
Oui, il ne faudrait pas briser un NDA avec Marvel. Merci beaucoup Peach d’avoir répondu à nos questions !