Longtemps avant que les références aux mangas shonens ne deviennent monnaie courante dans le hip hop, les vannes, clins d'œil ou hommages directs aux comics étaient encore largement répandus. Et ce pendant un assez long moment : on pense bien sûr aux membres du Wu-Tang Clan, à Big Pun, Ice-T, et évidemment, MF DOOM. L'imaginaire des super-héros de chez DC et Marvel aura longtemps servi dans le pot commun des références pop culturelles communes à cette esthétique musicale. Et dans cette liste, Eminem fait évidemment partie des grands champions. Dites vous bien que le gars a même eu droit à son propre crossover en comics avec le Punisher. Alors, forcément.
On n'est pas forcément obligés de se taper toute la liste à chaque fois, mais pour résumer : au départ, le gamin de Détroit s'était rêvé dessinateur de comics (on peut même retrouver certains de ses premiers dessins sur le web, et étonnamment, les résultats ont plutôt une belle gueule). En bon fan de Spider-Man, il finira par s'offrir un exemplaire d'Amazing Fantasy #15 une fois devenu riche, les références aux personnages de la Maison des Idées se bousculent dans ses morceaux, il y a Superman, Rain Man, l'acteur Christopher Reeve est régulièrement mentionné dans ses textes... Et en plus du numéro Eminem/Punisher, Marvellui a encore rendu hommage avec une couverture variante façon 8 Mile tout récemment. Et puis, bien sûr, comment oublier le super clip de Without Me.
Na-na-na-na-na. Na-na-na-na-na.
Pour les jeunes (ou les moins jeunes), le morceau en question date de 2002 et apparaît sur le classique des classiques, The Eminem Show, un album souvent considéré comme le magnum opus de Slim Shady. Avant sa descente aux enfers, son hospitalisation, son sevrage, et son retour tardif dans le hip hop avec les albums Relapse, Recovery, etc. A l'époque de sa sortie, le morceau Without Me s'accompagne d'une clip de Joseph Kahn, petit génie du répertoire également responsable du clip de Toxic pour Britney Spears. Dans un registre différent (encore que), Without Me se présente comme une satire de l'état des mentalités américaines, de la télévision et de la politique du moment : on y retrouve Ben Laden, Dick Cheney, Moby, entre autres choses. Et aussi, un Eminem en costume de Robin, aux côtés d'un Dre grimé en Blade, pour un hommage ironique à la série Batman des années soixante.
L'iconographie reprend la construction des effets spéciaux de cette célèbre adaptation portée par Adam West, et si Eminem passe le reste du clip à se foutre de la gueule de ses contemporains, cet hommage inattendu passe plutôt comme un caprice de fan. On pourrait se dire qu'à ce moment là, Slim Shady se voit comme le vengeur masqué, le héros salutaire d'une période en pleine crise, tout en admettant une grande part d'autodérision... mais on n'est pas thérapeutes, et au final, on a surtout envie de retenir que le clip était : marrant. Cette obsession pour la série Batman d'Adam West poursuivra d'ailleurs le rappeur jusque dans un morceau en featuring avec 50 Cent : Gatman & Robin.
Bref, pourquoi on vous explique tout ça ? Et bien, tout simplement parce qu'Eminem lui-même garde visiblement un bon souvenir de cette période. En se réveillant dans sa cinquantaine avec l'impression de faire partie des meubles, d'avoir acquis son statut de pilier dans la communauté hip hop, et peut-être aussi, de ne plus être aussi provoc' qu'à la grande époque, le gars a décidé de s'autoriser un petit retour en arrière. Dans le clip Houdini, tombé tout récemment, Eminem reprend son costume de Robin, sa teinture blonde et son t-shirt trop large pour confronter deux visions de sa discographie : le Slim Shady d'autrefois et le Marshall Mathers moderne. Ils ont les mêmes goûts mais rappent différemment. Au final, le clip en question a tout d'une petite leçon amusante sur le fait d'accepter qui on devient en vieillissant.
Le morceau reprend aussi un sample de Without Me, et reste tout de même un peu plus agréable à l'oreille que les singles composés pour accompagner la saga Venom. Comme quoi. Il suffisait de se motiver un peu.
