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The Boys saison 4 : ici commence le début de la fin [Critique]

The Boys saison 4 : ici commence le début de la fin [Critique]

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On a aimé• Toujours cool
• Toujours engagé
• Toujours bien servi par sa distribution
• Toujours en avant
On a moins aimé• Mais peut-être en panne de nouveautés ?
• Une saison qui sent le two-parter
• Des problèmes dans l'équilibre et le rythme
Notre note

Très attendue, voire surtout, très médiatisée, la nouvelle saison de The Boys s'est lancée depuis une petite semaine sur la plateforme Prime Video. Un événement pour le diffuseur. Cela fait déjà plusieurs années que cette adaptation des comics de Garth Ennis et Darick Robertson tire les audiences vers le haut, au point de devenir un véritable petit phénomène social, avec les détournements, une campagne marketing agressive qui évolue constamment tout au long de l'année entre les saisons, un engagement politique certain pour coller à certaines thématiques modernes dans les arts, l'économie et la politique frontale... et puis, l'impression pour ce public biberonné aux productions Marvel Studios d'avoir enfin droit à un produit plus goguenard, plus violent, plus sale gosse.

Seulement voilà. L'humour féroce d'Eric Kripke, ses prises de position et la générosité de sa charge générale contre les Etats-Unis et le corporatisme moderne font désormais partie des meubles. A chaque nouvel arrivage, le public peut désormais s'attendre à une sorte de formule : un assassinat expéditif, une blague en dessous de la ceinture, un Homelander qui terrifie et impressionne par son équivalence morbide de Clark Kent sadique, œdipien, des gags en forme de motifs identifiables (la zoophilie sous-marine, le lait, les références à Billy Joel), et un Karl Urban qui force l'accent comme jamais plouc des quartiers sud de Londres n'a cabotiné. Cet assemblage de routines, de lignes de code forme la nature, l'esthétique The Boys. Et entre chaque nouvelle année passée en compagnie de ces personnages, un seul sujet compte : les Etats-Unis du présent. 

Et sur ce sujet, la campagne de promo' a eu le mérite de jouer carte sur table. En plein cœur d'une année électorale conséquente, Kripke avait promis de sortir les éléments de langage et les tracts publicitaires. Désormais, l'imagerie du Homelander ne représente plus seulement le capitalisme libéral et l'emprise des grandes entreprises sur le débat public. Non : le surhomme est un placement de produit politique, ses alliés et son engagement tapent ouvertement sur le camp des républicains, des complotistes, des putschistes, partisans des milices armées et de la justice individuelle. Un argumentaire que le créateur de la série défend ouvertement, doigts d'honneur à chaque main, vis-à-vis d'une frange remontée qui a fini par se former au sein de son propre public : et alors, comment ça, The Boys serait en fait une série anti-Trump et personne n'aurait été prévenu ?

 

The Boys Are Back (and they're looking for trouble)

Résumons les enjeux au sortir de ces trois premiers épisodes. D'une part, Victoria Neuman gagne du terrain. Difficile de se faire encore un avis définitif sur ce personnage, dans une série qui brouille à ce point les codes de l'alignement politique standardisé. De son côté, le Homelander chercher à alterner entre ses fonctions de PDG par défaut de Vought International et de jeune père célibataire (avec quelques années de retard au compteur). Surtout : le super-vilain commence doucement à finir sa transformation. De simple super-héros corrompu et stupide, celui-ci s'envisage désormais comme le leader incontesté de la planète, et cette nouvelle ambition commence à le distancer de tout ce qui n'est pas Homelander, et Homelander exclusivement. Les autres supers ont peur de lui, son propre fils reste attaché à sa mentalité d'être humain, et le personnage se retrouve plus isolé que jamais, aux portes de la folie, de la bascule fatale qui l'entraînera vers son statut ultime de grand boss de fin.
 
Du côté des gentils, Starlight assume désormais un rôle d'opposante politique, devenue la figure de proue d'un mouvement "démocrate" pour contester l'action du Homelander et de ses suivistes. On assiste à une division des Amériques, d'une gravité conséquente, pendant que... pendant que Hughie affronte ses problématiques familiales et que Frenchie hésite à entamer une relation amoureuse. D'emblée, un petit déséquilibre se présente au public, dans la mesure où l'écriture alterne entre une situation qui semble prendre une ampleur désespérée (et qui rappelle aux uns et aux autres la difficulté d'évoluer dans ce reflet des Etats-Unis du présent) face à des intrigues bien plus ancrées dans le sol, dans la chair des personnages, avec un degré d'efficacité plutôt variable.
 

 
Sur le point de vue de la structure, cette construction éparpillée, qui peine à trouver une fédération dans les motifs ou la direction générale de ce début de saison, est aussi alourdie par une difficulté à remettre les compteurs à zéro. On parle d'une nouvelle saison, mais on a surtout l'impression d'avoir le nouvel épisode de la saison précédente. Les motifs s'installent lentement, les nouveautés se font rares (à l'exception des personnages de Sage et Firecracker), et cette difficulté à situer clairement certains personnages (comme Neuman, Butcher ou A-Train) participe à cette petite impression de... sur place. 
 
En somme, un nouveau départ qui commence à accuser le coup de toutes ces années à positionner la série comme une critique des Etats-Unis, et qui manque un peu de carburant, de nouvelles histoires à raconter. Pour le dire clairement, on a même l'impression que certaines sous intrigues (disons même "quêtes secondaires"), comme le retour de la maman de Hughie ou les problématiques familiales de M.M., ont été insérées pour donner "un truc à faire" à des personnages qui n'ont pas de rapport direct avec l'intrigue de fond. Le véritable sujet, le moteur allégorique de The Boys, reste encore et toujours à situer aux mêmes endroits : avec un Homelander en pleine ascension dictatoriale, avec des figures telles que Deep qui continuent de cristalliser la masculinité et l'obsession sexuelle débilitante, avec un débat public qui fragmente l'opinion américaine, et avec Ryan Butcher et son beau-père agonisant Billy, qui cherche l'équilibre entre deux figures venues le pousser dans des directions opposées. Notons tout de même l'apport de Sage et Firecracker, qui viennent gonfler certaines thématiques en prenant tout de suite beaucoup de place. 

White America ! (I could be one of you kids)


 
Dans cette petite liste, qui permet à The Boys de conserver son statut de série de premier plan dans le paysage de la télévision américaine, une variable demeure : quel miroir Eric Kripke a-t-il cherché à tendre à son propre public ? On le sait, en cette période troublée où les alignements traditionnels tendent à évoluer à grande vitesse, il est parfois difficile de comprendre comment fonctionne l'esprit du spectateur lambda. 
 
Lorsque The Boys filme un Homelander qui décapite au rayon laser un antifasciste venu protester... le public applaudit dans la série, oui, mais l'enthousiasme ne se borne pas aux limites de l'écran de télé'. Or, avec cette nouvelle saison, à l'instar de son personnage mascotte, Kripke accomplit lui-aussi sa transformation finale de lanceur d'alerte maquillé en amuseur des foules. Autant le dire clairement : The Boys a décidé de frapper dans le dur, pas juste contre les sectes à Hollywood, pas juste contre les évangéliques, mais contre cette le dernier rempart. La montée du fascisme, les mouvements de foule, les émeutes, la montée des fake news... bref. Vous comprenez le tableau.
 
Cette charge, qui avait commencé avec le personnage de Stormfront, n'a jamais semblée aussi engagée. Si le Homelander représente l'esprit des conservateurs et des grands patrons, celui-ci est devenu aussi incontrôlable que jamais. La violence et la mort deviennent des éléments de moins en moins comiques (même si, ces éléments demeurent) et toute forme d'opposition idéologique au leader n'est plus tolérée. On évoque aussi les "salons" qui brassent large dans les milieux complotistes, et qui couvrent toute une batterie de sujets : influenceurs militants, dénonciation des fameuses conspirations pédophiles, manipulation des masses, corruption de la presse, et aussi, une version de la prise de pouvoirs qui renverse l'idée même de l'obéissance aux grandes entreprises pour marcher seule vers la gouvernance centralisée. 
 
Le plan en question est même "théorisé" par Sage, pour mettre un peu de stratégie dans le grand bordel The Boys. Cette fois, Kripke n'hésite plus à pointer du doigt les bons et les mauvais élèves... même si quelques nuances (notamment pour Firecracker) subsistent pour tenter de mettre un peu de nuance dans le tableau. Au global, une production qui semble inquiète de l'état actuel des mentalités, et qui tire une sonnette d'alarme. Grave par endroits, mesurée par d'autres.
 
Mais là encore, en comparaison de ce qui avait pu être vendu lors des premières bandes annonces, on a tout de même l'impression de rester dans une version conventionnelle de la politique spectacle façon The Boys. Les ficelles sont visibles, et l'humour de sale gamin rattrape systématiquement le spectateur en vol, comme pour insister sur la donnée satirique plutôt que sur les éléments du réel. Si d'aucuns avaient peur que la série n'aille trop loin, au point de perdre son statut de divertissement en collant de trop près à la réalité, le dosage va encore à la faveur de l'effet de manche et de la béquille comique pour le moment. Comparativement à la fameuse scène d'émeute de Gen V, ou aux répliques brutales de Stormfront, on reste ici dans le spectacle des marionnettes avec un engagement qui devient juste plus clair, plus préoccupé, mais toujours extrêmement ironique et dans la volonté de ridiculiser le moindre des intervenant(e)s présents. En somme, The Boys reste une analogue costumée de South Park, avec peut-être un peu moins d'absurdisme. Encore que. 

I Am an Antichrist, I Am an Anarchist


 
Quelques éléments comiques gardent aussi cette même énergie déjantée : The Deep et sa "petite-amie", l'assistant de Firecracker, les patineurs sur glace, ou la moindre opportunité de représenter le sexe dans un monde à ce point peuplé par les détraqués de tous bords. Et si le dosage au global reste problématique, dans la mesure où le comique se résume désormais à des séquences qu'on insère pour accélérer le rythme ou surprendre le spectateur, quand les scénaristes décident de faire rire, ils s'en sortent sans difficulté. Mention spéciale pour le nouveau Black Noir, dont toute la mécanique humoristique repose sur un même  de gags récurrent et l'un des rares personnages à maintenir le propos historique de The Boys sur la réalité du cinéma, des acteurs, de toute cette micro-critique de l'appareil hollywoodien. Le casting fonctionne bien dans l'ensemble, les quelques nouvelles têtes n'ont aucun mal à s'intégrer dans l'équation. On regrette toutefois que l'écriture offre si peu de perspectives à Karl Urban, déplacé dans un autre genre de registre, plus grave, plus dramatique, quitte à diminuer l'importance (et les possibilités comiques) du comédien.
 
Evidemment, ceci ne constitue pas une critique en soi, dans la mesure où la série regarde désormais vers l'avant en amont de sa conclusion, et a besoin de transformer Butcher en un personnage plus épais. Dans l'ensemble, le constat pourrait se limiter à ces quelques mots : la saison quatre de The Boys ressemble à s'y méprendre à une saison de transition. Pour le Homelander, pour Butcher, pour la société américaine dans son ensemble, et pour Vought International. Mais surtout pour la série elle-même, qui cherche désormais à humaniser des figures plus secondaires en leur donnant de nouveaux ingrédients... comme pour préparer l'après. La conclusion. Sauf que ces idées là viennent s'additionner à une intrigue qui n'a pas encore été résolue, et qui commence à placer ses pièces pour la grande bataille finale. On retient déjà quelques bonnes scènes (avec un cascadeur), quelques vrais bons éléments, mais ce démarrage semble surtout confirmer ce que beaucoup avaient envisagé lorsque Kripke a parlé de conclure d'ici la prochaine saison : oui, cette amorce marque effectivement le début de la fin. 
 
Il reste évidemment un long chemin à parcourir, et si on peut se féliciter d'avoir une série techniquement au point et qui a réussi à évoluer dans le bon sens, on attend encore la fin de saison pour savoir si ce bilan a une chance de s'infléchir. Si The Boys peut encore nous surprendre, ou affirmer son point de vue. En ce qui concerne la technique, rien à redire ou presque : les effets spéciaux sont crédibles, réussis, les costumes fonctionnent toujours aussi bien et la photo garde cette éternelle teinte de gris bleutée qui fait ressortir le rouge du sang. On pourrait trouver à redire sur les décors, dans la mesure où commence à sentir un manque de renouveau de ce point de vue là aussi. 
 

 
En substance, The Boys reste un divertissement honorable et une série d'auteur qui fonctionne à l'échelle des productions américaines modernes, mais pour toute l'intelligence de ses coups de force politiques, le vent frais de la nouveauté souffle moins fort, quelques éléments perdus en chemin n'ont pas été bien compensés, et il va peut-être être temps de dire adieu aux copains. Lorsque l'on regarde les nouvelles idées de Gen V, on réalise d'autant mieux que l'univers est encore capable d'aller dans de nouvelles directions en adoptant des points de vue plus localisés. Alors, vivement la bataille finale, et des perspectives d'innovation qui se font (pour l'heure) attendre un peu dans le tronc principal.
 
Mais, bon. Restons mesurés. Pour un début de saison, on remarque un effort global des équipes en charge du feuilleton : l'efficacité reste le maître mot, et le problème vient plus de l'équilibrage, de la sincérité de certaines séquences ou de la promo' qui a créé trop d'attente pour une saison qui reste, finalement, juste une saison de plus dans une série à la mécanique bien huilée. On apprécie de retrouver Anthony Starr et ses mimiques grimaçantes, de découvrir enfin Jeffrey Dean Morgan dans le paysage de la série, de voir quels terrains l'univers politique de The Boys compte explorer, et on regardera la suite sans déplaisir. Seulement, voilà, on oublie de le dire dans la grande période du streaming où les séries se font décapiter trop tôt : quatre saisons, c'est quand même pas mal. A voir si on retiendra celle-ci comme une simple transition en amont de la dernière ligne droite, ou bien si de prochains épisodes arriveront à reproduire l'effet des deux précédentes fournées.
Corentin
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