Triste nouvelle pour le monde des comics : l'artiste Michael Zulli nous quitte à l'âge de soixante et onze ans. Virtuose des premiers temps de l'autoédition et du mouvement des comics indépendants dans les années quatre-vingt, celui-ci deviendra plus tard l'un des dessinateurs réguliers de la famille Vertigo, notamment pour son travail sur la série The Sandman. Zulli est aussi, voire surtout à l'origine du titre The Puma Blues (1986), projet considéré dans le présent comme un authentique chef d'œuvre de la BD américaine pour sa qualité écologiste d'avant-garde, sa représentation des scènes de vie sauvage particulièrement travaillées et son emballage narratif expérimental, tortueux.
C'est en octobre 1986 que démarre cette série, avec l'appui de Dave Sim (Cerebus), figure de proue et militant de l'autoédition et des premiers comics indépendants. Celui-ci signera d'ailleurs une préface pour la première édition de cette bande dessinée. The Puma Blues permettra à Zulli de poser un pied dans le monde des comics, et le titre poursuivra ensuite sa vie chez Mirage Studios, compagnie montée par Kevin Eastman et Peter Laird au moment de publier la première série Teenage Muant Ninja Turtles.
Le dessinateur, apprécié par les deux papas des Tortues Ninja, fera d'ailleurs un passage éclair de quelques numéros lors de la période "anthologique" des TMNT en développant une histoire totalement originale : TMNT : Soul's Winter. Celle-ci a d'ailleurs été publiée en France relativement récemment, dans les murs de la maison Vestron. D'autres courtes histoires de l'artiste sur les Tortues seront à retrouver dans le sixième tome de la série TMNT Classics, plus tard dans l'année chez HiComics.
De son côté, The Puma Blues, pilotée par le scénariste Stephen Murphy, se présente comme une série de science-fiction contemplative, engagée, dont les contours sont encore difficiles à définir. Le gros de l'intrigue se concentre sur le quotidien d'un anthropologue au service du gouvernement chargé d'étudier une faune animale mutante, dans un futur vaporeux, qui suit un genre d'apocalypse politique et environnementale.
Traversée par différents épisodes qui contextualisent ce présent solitaire, la série évoque le sujet du suprémacisme blanc et la montée des néo-fascismes, mais se concentre essentiellement sur l'étude de la vie sauvage. Le héros, solitaire, doit se contenter de quelques rares interactions humaines avec ses supérieurs par visioconférences pour tromper la solitude. Au milieu d'une immense forêt de l'état du Massachussetts, sa mission consiste à étudier les animaux mutants (et notamment une nouvelle race de raies manta amphibies et capables de voler) tandis qu'un puma, tout aussi solitaire, l'observe de loin.
Souvent citée comme l'une des BDs les plus importants de la révolution des comics indépendants (notamment par Alan Moore et Neil Gaiman), The Puma Blues permettra à Zulli de se faire connaître dans une industrie en pleine transformation. L'artiste fera ensuite ses débuts sur The Sandman, où il dessinera l'ultime histoire de Morphée, The Wake, qui conclut la série. Cette prestation lui vaudra notamment trois nominations aux Eisner Awards. On retrouvera ensuite son coup de crayon ciselé sur le projet Alice Cooper's The Last Temptation, toujours en compagnie de Neil Gaiman, ainsi que sur la mini-série The Sandman Presents : Love Street avec Peter Hogan au scénario.
En parallèle de prestations plus éparpillées chez DC Comics, Dark Horse et Top Cow, Zulli devait aussi signer le célèbre numéro de la série Swamp Thing (alors menée par Rich Veitch, qui avait repris le titre après le départ d'Alan Moore) dans lequel la Créature des Marais aurait dû voyager à travers le temps pour rencontrer Jésus Christ. Le numéro en question, Swamp Thing #88, sera alors refusé par les pontes de chez DC Comics de crainte de provoquer la colère des intégristes chrétiens (qui s'étaient déjà violemment exprimés contre la sortie du film La Dernière Tentation du Christ de Martin Scorsese un an auparavant). Le dessinateur avait tout de même déjà attaqué le travail sur les planches, et quelques extraits sont aujourd'hui accessibles sur le web, pour les curieux.
Devenu plus rare dans le présent, Michael Zulli s'est donc éteint à l'âge de soixante et onze ans. Son départ a été salué par de nombreux artistes et professionnels de l'industrie, notamment Colleen Doran et Paul Levitz. Nos pensées vont à ses proches et à sa famille, et nous remercions le dessinateur pour sa contribution à l'histoire de la BD américaine, en espérant que son œuvre ne tombera pas dans l'oubli.
