Lorsque le groupe Warner Bros. Discovery a pris la décision d'annuler le film Batgirl, pourtant déjà tourné, monté et presque prêt à l'emploi, de nombreuses voix s'étaient alors élevées pour dénoncer le cynisme du studio. Officiellement déprogrammé en échange d'une déduction fiscale, l'adaptation des aventures de Barbara Gordon a effectivement été envoyée à la corbeille dans une période où le groupe cherchait à faire des économies. Les réalisateurs Bilal Fallah et Adil El Arbi n'avaient pas été prévenus, les copies ont été détruites, et il ne reste plus aujourd'hui la moindre trace d'un projet qui aura, pendant plus d'un an, mobilisé une équipe, une charge de travail et produit un résultat concret que personne n'aura l'opportunité de découvrir.
Dark Knight Falls
Et si la pilule a sans doute été difficile à digérer pour Leslie Grace, Michael Keaton, de son côté, a assumé récemment, lors d'une entrevue accordée à GQ, que l'annulation du film ne l'avait pas particulièrement dérangé. A l'époque, le projet Batgirl avait effectivement été pensé pour s'intégrer dans les plans de Walter Hamada et la réintroduction du Batman de Tim Burton dans l'univers DC au cinéma suite à sa réapparition dans le film The Flash.
Vedette pour toute une génération, Keaton était devenu en l'espace de quelques années une sorte d'avatar du système complet : tombé en disgrâce, revenu pour parodier son propre statut de star (Birdman), réapparu dans différents blockbusters ensuite (Spider-Man : Homecoming), et puis, enfin, de retour au bercail pour le rôle qui aura défini sa carrière. Une belle histoire, même si, évidemment, de son côté, le loustic reste globalement désabusé vis-à-vis de son propre héritage.
Dans le cadre d'un échange long format, Keaton assume globalement une posture comparable à celle d'Harrison Ford ou de John Carpenter dès qu'on l'interroge l'un ou l'autre sur le même sujet. Grosso modo : "moi, je voulais juste un salaire", ou plus directement :
"Non, je m'en fiche d'une manière ou d'une autre. C'était juste un gros chèque sympa", a déclaré Keaton, frottant ses doigts l'un contre l'autre comme pour signifier le geste universel qui désigne l'argent. Et sur Bilal Fallah et Adil El Arbi : J'aime bien ces garçons. Ce sont des gars sympas. J'étais heureux de travailler avec eux. Je veux qu’ils réussissent, et je pense qu’ils se sentent très mal, et cela me fait mal pour eux. Mais de mon côté ? Tout va bien."
Est-ce qu'on peut trouver dommage de voir ces légendes prendre le métier d'acteur avec une telle nonchalance, en assumant officiellement d'être déconnectés du discours publicitaire qu'on leur a imposé pendant toutes ces longues années ? Oui et non. Mettons qu'on peut trouver amusant de voir ces gens, parfois obligés de se battre toute leur vie pour gagner un peu d'indépendance vis-à-vis des producteurs, s'exprimer librement une fois libérés de leurs chaînes. D'un autre côté, l'attitude de Carpenter ou de Ford aurait aussi tendance à désillusionner certains fans, qui aimeraient les entendre parler de cinéma avec un peu plus de passion. Mais, mettons qu'on a tous un frigo à remplir, et que personne sur Terre ne saurait faire la leçon à Michael Keaton.
On peut aussi se dire qu'orchestrer son grand retour en Batman était de toutes façons une mauvaise idée d'entrée de jeu... le genre dont on ne risque pas de réentendre parler de sitôt.
