Home Brèves News Reviews Previews Dossiers Podcasts Interviews WebTV chroniques
ConnexionInscription
Jen Bartel, Marvel Snap, ou le rappel des lacunes du ''work for hire'' dans l'industrie des comics

Jen Bartel, Marvel Snap, ou le rappel des lacunes du ''work for hire'' dans l'industrie des comics

NewsMarvel

Dans les comics, le motif sempiternel de la rémunération réapparaît généralement dans l'actualité en fonction des périodes. C'est un peu notre marronnier : les artistes qui travaillent pour Marvel et DC Comics, les deux principales maisons d'édition sur le marché, proposent des contrats en suivant la méthodologie de ce que l'on appelle le "work for hire". Autrement dit, la création sous contrat salarié. Cette désignation est explicitement mentionnée dans les textes de loi relatifs au sujet des droits d'auteurs pour les Etats-Unis (en particulier dans le célèbre Copyright Act of 1976, article qui régit l'attribution des propriétés intellectuelles, encore en vigueur dans le présent). Le principe du "work for hire" ou du "work made for hire" désigne précisément les emplois salariés dans les industries culturelles et créatives.

Et qu'est-ce que cela signifie ? Tout simplement qu'un artiste qui œuvre sur la base d'un contrat de cette catégorie à la demande d'un commanditaire précis (en l'occurrence, la maison d'édition) accepte de céder ses droits en échange d'un salaire. Toute création devient alors la propriété exclusive du commanditaire. Dans le cas qui nous intéresse, en comics, les planches, les personnages, les costumes, les couvertures sont "achetées" une fois pour toutes par la maison d'édition, qui n'a donc pas d'obligation de consulter ou de rémunérer l'artiste une fois son salaire reçu. C'est la règle. Et c'est même sur la base de ce commandement originel que toute l'industrie des super-héros, qu'il s'agisse de Marvel ou de DC Comics, a été fondée. Des salariés rémunérés pour alimenter de grands univers de fiction, pour inventer de nouveaux personnages ou proposer de nouvelles histoires, qui deviendront ensuite la propriété exclusive des deux grands groupes.

Eternel Recommencement

Evidemment, ce petit résumé manque de nuances ou de cas particuliers : dans le présent, la situation est évidemment beaucoup plus souple que dans les années quarante, et le renouvellement des générations a permis à l'industrie de s'adapter à certaines évolutions modernes. Arrivés à un certain stade de popularité, certains artistes peuvent par exemple négocier un intéressement sur les ventes (pour les numéros mensuels, par exemple, avec un calcul qui va cibler précisément un certain nombre de numéros vendus, et en général, le chiffre de 50.000 unités revient assez souvent pour être crédible). Mais la norme reste généralement la même : dans les comics, les artistes sont payés une fois (en "flat page rate", pour les planches, avec différentes strates de rémunération pour les crayonnés, les encrages, la mise en couleurs ou les couvertures). 
 
On peut trouver sur internet différentes grilles tarifaires qui varient en fonction des situations ou des statuts individuels. Certains créateurs sont par exemple mieux payés que les autres, en fonction de leur célébrité ou de leur capacité à vendre du papier. La signature de contrats d'exclusivité est aussi l'occasion de proposer des variations dans les termes, et c'est généralement dans ce genre de cas de figure qu'un scénariste ou qu'un artiste peut imposer ses conditions sur le salaire ou l'intéressement. Notoirement, les éditeurs consentent également un effort supplémentaire lorsqu'un scénariste accepte de créer un nouveau personnage en fonction des besoins du moment - on peut penser par exemple à ce qui se passe en ce moment même avec les futurs New Champions : Marvel a visiblement besoin de générer de nouvelles créations pour proposer une équipe inédite d'ici l'an prochain, et va donc inciter les auteurs et les artistes à se mettre au travail. Les designs de nouveaux costumes sont également rémunérés séparément (sauf si l'artiste concerné travaille ensuite sur la série où le nouveau costume apparaît). 
 
D'une manière générale, il est aujourd'hui difficile d'établir une sorte de moyenne chiffrée : chaque situation a sa réalité, chaque contrat se négocie individuellement, même s'il existe bien une sorte de charte proposée aux débutants ou aux fournisseurs occasionnels. Et plusieurs constantes demeurent. D'abord, Marvel et DC Comics conservent 100% des propriétés intellectuelles sur la moindre création réalisée sous contrat. Les quelques rarissimes exemples qui échappent à cette règle (Ronin, quelques comics publiés sous pavillon Vertigo) ne concernent pas les univers de super-héros. D'autre part, même si les situations peuvent varier, les deux maisons d'édition se réservent généralement le droit d'exploiter les personnages sur d'autres supports, sans obligation légale de rémunérer les artistes à l'origine de ces créations.
 
Et là encore, les textes de loi auraient tendance à brouiller les pistes. On l'a vu par le passé, et beaucoup d'articles ont même été rédigés sur ce sujet ici bas : le Copyright Act of 1976 est un authentique champ de ruines dont les mesures sont largement obsolètes à plusieurs endroits dans le présent. Notamment dans le principe du "retour au bercail", une provision informelle qui voudrait que les artistes en "work for hire" auraient la possibilité de récupérer la propriété intellectuelle de leurs créations réalisées sous contrat au terme d'une période de carence. C'est un peu compliqué, mais si vous suivez le guide ici, ici et ici, vous trouverez quelques informations qui permettent de nuancer cette noble précaution pensée pour protéger les artistes une fois arrivés à l'âge de la retraite. Grosso modo, la loi permet notamment aux commanditaires d'attaquer leurs anciens employeurs devant la justice... et dans la mesure où les situations se règlent généralement en dehors des tribunaux (à coups de carnets de chèques), il est difficile de savoir si cette provision est encore valide aujourd'hui. Récemment, Marvel et Disney ont par exemple botté en touche au moment de statuer sur le cas de plusieurs personnages vedettes dont la situation cochait pourtant toutes les cases du Copyright Act
 
L'histoire du médium est truffée d'exemples, parfois violents, de créatrices ou de créateurs qui auront tenté d'ébranler la logique du "work for hire" devant la justice américaine. En première ligne de cette longue liste, on peut notamment penser à Jerry Siegel et Joe Shuster, les deux créateurs du personnage de Superman, qui auront passé une partie de leur vie à tenter de récupérer les droits de leur fils préféré sans obtenir plus que de simples compensations symboliques.
 
Alors, pourquoi est-ce qu'on vous parle de tout ça ? Le sujet est fastidieux et complexe à aborder, et puis, dans la mesure où il paraît difficile d'obtenir des montants précis ou une sorte de norme universelle, les fans auraient plutôt tendance à opter pour un résumé rapide : Marvel et DC versent un salaire unique à tous leurs salariés pour chaque travail exécuté, l'artiste n'est jamais propriétaire de son travail, un point, c'est tout, et l'industrie ne risque pas d'évoluer de ce point de vue. 
 
 
Seulement, voilà : sur l'outil Twitter, l'artiste Jen Bartel a pris le temps d'expliquer ce principe du "work for hire" à ses nombreux fans, sous la forme d'un fil de plusieurs paragraphes qui résume en quelques mots la réalité quotidienne des artistes embauchés pour travailler au sein de la Maison des Idées. 
 
Particulièrement populaire, Bartel cumule plusieurs centaines de milliers de fans sur les réseaux sociaux, avec des illustrations virales et un statut de vedette qui lui ont naturellement ouvert les portes d'une audience plus généraliste, pas forcément au fait des conditions de travail proposées par le groupe Marvel. Or, justement, l'un de ses fans a pu remarquer que l'une de ses couvertures avait été utilisée pour le jeu mobile Marvel Snap, et a immédiatement interpellé la dessinatrice pour la féliciter. Celle-ci n'a pas forcément accueilli la nouvelle avec le sourire - et pour cause, Bartel n'a évidemment pas été rémunérée pour cette prestation.
 
 
Une prise de parole qui résume assez bien les inégalités propres au marché des comics. Notamment, la difficulté de monter un syndicat susceptible de mieux défendre les artistes sous contrat ou de négocier de meilleures conditions de travail à échelle de toute l'industrie : Marvel ou DC Comics estiment qu'il est facile de se débarrasser d'un fournisseur encombrant, qui aurait à cœur de monter une petite révolte en interne, et applique donc une politique stricte de sanction à l'égard de celles et ceux qui s'acharnent à critiquer le modèle actuel. 
 
 
Et de fait, le monde des comics a toujours plus ou moins appliqué cette logique depuis ses débuts : certains artistes qui ne prennent pas dans les ventes sont immédiatement remplacés, d'autres exécutent quelques numéros, quelques séries, avant de laisser place à une nouvelle génération plus actuelle ou plus novatrice dans l'intention et la direction artistique du moment... en somme, en comics, les éditeurs estiment que personne n'est indispensable, et seul l'exode des six fondateurs de la maison Image Comics a réellement donné tort à cette logique carnassière. 
 
A partir de là, cette loi du "marche ou crève" bloque toute possibilité de fonder un syndicat capable de fragmenter les contrats en "work for hire". Mais ce n'est pas tout : Bartel nous explique également que beaucoup d'artistes basés en dehors des Etats-Unis sont moins bien rémunérés que les professionnels locaux. Une façon de rogner sur les coûts et de mettre les dessinatrices et les dessinateurs d'Amérique du Nord en concurrence avec des fournisseurs qui ne vont pas, de leur côté, poser de conditions particulières en échange d'un contrat. L'artiste assure également qu'un syndicat serait difficilement compatible avec la législation américaine sur les groupements d'employés de ce genre, puisque Marvel ou DC Comics appliquent la logique de l'uberisation du travail (avec des salariés officieux considérés comme des fournisseurs indépendants dans les mentions officielles).
 
 
D'autres détails intéressants se retrouvent dans cette prise de parole, dans la mesure où Bartel explique aussi être dans l'incapacité légale de renégocier les conditions proposées au moment de son embauche, quelques longues années avant de devenir une vedette du secteur. Au global, celle-ci assure être fière et heureuse du travail qu'elle a pu proposer pour l'industrie des super-héros et ne cherche pas à cracher dans la soupe : le plaisir des fans, l'amour des personnages, et les salaires qu'elle a effectivement reçus lui ont toujours suffit, même s'il lui paraît naturel de s'alarmer des inégalités en vigueur. Pour rappel, l'industrie des super-héros rapporte chaque années plusieurs centaines de millions de dollars, voire plusieurs milliards à travers la BD, le cinéma et les produits dérivés. 
 
Bien sûr, dans la mesure où la bienveillance collective des réseaux sociaux pointe généralement le bout de son nez dès lors qu'il s'agit de défendre l'actionnaire courageux et le patron de groupe héroïque, Jen Bartel a été prise pour cible par l'intelligence libertarienne et son argumentaire standardisé. La dessinatrice s'est donc amusée à répondre aux nombreux commentaires agressifs qui ont suivi sa prise de parole, de la part de gens qui préfèrent tirer sur le messager plutôt que de remettre en question un modèle économique responsable de nombreuses injustices documentées. Un modèle qui aura poussé d'anciennes légendes des comics à lancer des financements sur GoFundMe une fois entrées en retraite, pour faire face au cancer ou éviter de finir à la rue, faute de droits d'auteurs sur lesquels s'appuyer lorsqu'ils n'étaient plus en état de travailler. Les priorités bien ordonnées, sur le web, c'est important.
 
 
 
Corentin
est sur twitter
à lire également

Jen Bartel célèbre le Women's History Month en mars 2021 avec les héroïnes de Marvel

Actu Vo
Titulaire d'un Eisner Award et réputée pour ses multiples couvertures, la dessinatrice Jen Bartel continue d'être extrêmement prisée ...

Jen Bartel signe une superbe affiche pour la WonderCon 2020

Brève
Illustratrice reconnue ces derniers temps pour ses nombreuses collaborations dans le design de chaussures avec Adidas (Captain Marvel) ou ...

Puma et DC s'associent pour une paire de sneakers Birds of Prey signée Jen Bartel

Actu Vo
Décidément, on retrouve la talentueuse Jen Bartel à chaque fois qu'un éditeur de super-héros fait un partenariat avec une grande ...

Captain Marvel se paye deux posters Mondo toujours signés par l'artiste Jen Bartel

Brève
Décidément très présente sur les dérivés de Captain Marvel dernièrement, l'artiste Jen Bartel poursuit son travail sur ...

Jen Bartel signe une paire de sneakers Adidas aux couleurs de Thanos pour Avengers : Endgame

Goodies
La collaboration entre l'artiste Jen Bartel et Adidas se poursuit, toujours en partenariat avec l'enseigne Footlocker. Quelques temps ...
Commentaires (0)
Vous devez être connecté pour participer