D'ici quelques mois, la maison Ahoy Comics devrait se féliciter d'avoir passé sans encombres le cap des cinq ans. Fondée en 2018 par Tom Peyer, Stuart Moore et Frank Cammuso, la petite enseigne est parvenue à survivre face aux remous d'un marché des comics indépendants toujours plus incertain, avec une offre restreinte et habilement ciblée : pour résumer, l'éditeur est surtout connu comme ses comédies destinées aux lecteurs chevronnés de plus de trente ans. Les séries d'Ahoy ont effectivement pris l'habitude de moquer les codes des comics de super-héros (The Wrong Earth, Deadweights, My Bad, Penultiman), de verser dans la satire politique amusée (Billionaire Island, Second Coming), et d'aller occasionnellement chercher un grand scénariste pour une proposition parodique ou caustique (Peter Milligan, Garth Ennis).
Au global, l'enseigne a réussi à composer un catalogue cohérent, porté par une véritable direction artistique, et qui comprend finalement assez peu de déchets. Certains projets ont même eu droit à plusieurs volumes, pour asseoir de nouvelles marques sur le temps long. Exemple : les héros de la série Justice Warriors ont droit à une nouvelle mini-série, Justice Warriors : Vote Harder, qui vient tout juste de débuter aux Etats-Unis.
Cyberpunk Cynical
Pour rappel, le projet en question part d'une idée originale de Matt Bors et Ben Clarkson, et suit les codes du polar futuriste tourné sous l'angle de la dérision. Dans un lointain futur peuplé par des mutants amateurs de visières-laser, les grandes villes ont été coupées en deux. D'un côté, les riches ont décidé de se réfugier dans des cités sous cloches : de grands dômes protègent les quartier occupés par les populations aisées, tandis que les pauvres, les malades, les civils frappés par les radiations et la mutations, sont coincés dans les grandes rues délabrées des quartiers pauvres aux abords des bulles. Et dans ces bulles, plus de délinquance, plus de trafics, le crime a officiellement été éradiqué.
Mais, les deux groupes sociaux ne vivent pas forcément éloignés l'un de l'autre : la police de Bubble City continue de patrouiller dans les ghettos pour maintenir l'ordre et protéger les habitants des gangs et des truands. Bien sûr, en accord avec les règles d'usage, cette société cyberpunk comprend son lot d'inégalités, de complots qui remontent jusqu'aux cimes du pouvoir en place, bref, toute la panoplie.
Dans le premier volume, l'intrigue s'ouvrait sur la mort du meilleur flic de Bubble City. Swamp, un policier mutant, balourd et maladroit, était donc missionné pour prendre sa suite et mener une enquête sur l'origine du chaos urbain, en compagnie de Schitt, un autre mutant à gueule d'étron. Au final, tout s'était plutôt bien résolu, et contrairement à la logique qui voudrait que le bien l'emporte à la fin, Bubble City était toujours debout une fois l'histoire terminée. Sauf que, bien sûr, les règles ne sont plus les mêmes : pour ramener un peu d'équilibre dans cette société inégalitaire, les citoyens sont appelés aux urnes pour reprendre leur destin en main ! L'élection représente un réel espoir pour les populations pauvres (normal : c'est une fiction) et transporte avec elle son lot de manigances. Swamp va devoir surveiller tout ça de près... dans une nouvelle satire qui tombe pile au moment de la présidence américaine. Avouez que c'est bien fichu.
Pour un synopsis plus complet sur les détails de l'intrigue :
"L'utopie post-criminalité de Bubble City se prépare pour sa toute première élection municipale ! The Prince, l'ancien gestionnaire ultra-populaire de la métropole, va se frotter à un mouvement d'opposition organisé par l'élite locale : sa demi-cousine Stuffina Vippix IX table sur une politique d'austérité généralisée, à la faveur des riches.
Mais, dans la Zone Inhabitée où les mutants coexistent au quotidien, le surarmé Flauf Tanko, un radical populaire, décide de monter sa propre campagne pour inspirer les masses et en finir avec la corruption du système dans son ensemble. Les flics mutants Swamp et Schitt sont appelés en mission spéciale pour éviter que l'élection ne tourne au grabuge. Schitt est mandaté pour jouer le rôle de garde du corps au service de The Prince, au moment où celui-ci perd la confiance du peuple, voit ses intentions de vote s'effondrer dans le sondage, et réchappe à plusieurs tentatives d'assassinat.
Pendant ce temps, Swamp est envoyé en mission clandestine au sein de l'opposition mutante : pour s'infiltrer, faire un rapport et peut-être aussi, rencontrer la femme de sa vie, un activiste passionné qui le pousse à remettre en question sa propre fidélité envers le système. Les deux partenaires pourront-ils survivre tout en s'affrontant dans ce grand désordre électoral ?"
Toute ressemblance avec des faits réels serait bien sûr le résultat d'une coïncidence fortuite. Au global, un projet qui s'annonce donc dans la droite lignée du premier volume, avec la même dose d'absurde, de mutants et d'échanges de coups de feu. Felipe Sobreiro livre les couleurs, sur la promesse d'un grand barnum généreux et violent sur les visuels. Bref, ça a l'air bien.
Justice Warriors : Vote Harder #1 est disponible depuis la semaine passée, et vous pouvez retrouver quelques planches pour vous faire une idée du résultat. Pensez à en parler à votre comicshop si jamais il avait pensé à le commander, Ahoy n'étant pas l'éditeur US le mieux représenté par chez nous.
