Quelques années après la résolution d'un divorce particulièrement compliqué (et qui impliquait au moins deux ou trois beaux-parents féroces), Rob Liefeld a fini par obtenir le droit de rendre visite à ses enfants préférés. Les éditions Image Comics sont parvenus à mettre tous les belligérants des Youngblood dans la même pièce, pour trouver un accord susceptible de faire les affaires du plus grand nombre. Pour résumer : Liefeld va enfin pouvoir revenir sur l'équipe qui aura fait sa fortune sur le marché indépendant, lancé la maison d'édition Image Comics dans la foulée, et révolutionné l'industrie des comics au sens large. Comme quoi. Tout vient à point à qui sait attendre, etc.
Youngblood 2025 !
Pour un peu de contexte, rappelons ce qu'ont été les Youngblood de la période Extreme Studios. A la fin des années quatre-vingt, Rob Liefeld est encore considéré comme un jeune prodige de l'écurie Marvel, ainsi qu'un très gros vendeur, responsable du lancement record du premier numéro de la série X-Force (aux 5 millions d'exemplaires vendus). Comme quelques uns de ses collègues, pour la plupart de jeunes talents arrivés en même temps sur les grosses séries de la Maison des Idées, Liefeld estime que son salaire ne reflète pas la réalité économique de son travail. En compagnie de Todd McFarlane, Jim Lee, Marc Silvestri, Erik Larsen, Jim Valentino et Whilce Portacio, le dessinateur va donc prendre la décision de plier bagage pour monter une enseigne indépendante : la compagnie Image Comics et ses différents satellites, tous pilotés par les six géants à l'origine de sa fondation. Le créateur de Deadpool va fonder sa propre société au sein de ce consortium, Extreme Studios, et inventer une nouvelle équipe très largement inspirée des héros de la X-Force et des Teen Titans de DC Comics : les Youngblood.
Et si, techniquement, les différents personnages de l'équipe ont en réalité été inventés plus tôt (chez Megaton Comics), c'est bien la sortie du numéro Youngblood #1 (avril 1992) qui lance les éditions Image Comics sur le marché indépendant. Le single issue part comme une fusée avec un million d'exemplaires vendus, une première pour une série publiée en dehors de l'appareil productif des Big Two. Rapidement, les autres artistes du groupe suivent le mouvement, avec Spawn, les WildC.A.T.S., une version réinventée du Savage Dragon, Cyberforce, etc.
Seulement voilà. Le reste de l'histoire est connu et documenté : un conflit éclate entre Rob Liefeld et les autres grands capitaines d'Image Comics, Marc Silvestri en particulier, sur différents sujet (les délais de publication, différentes décisions entrepreneuriales contestées de la part du patron d'Extreme Studios) et les différentes parties s'entendent pour mettre le créateur des Youngblood à la porte. Celui-ci va alors fonder une nouvelle compagnie, Awesome Studios, en compagnie de Scott Mitchel Rosenberg, l'ancien propriétaire de Malibu Comics. C'est à ce moment là que les choses deviennent compliqués. Liefeld a besoin d'argent pour monter Awesome Studios, et accepte à ce moment là de partager la propriété intellectuelle de ses personnages avec ce nouveau partenaire financier. Pour le dire simplement, à partir de ce moment, le dessinateur doit se séparer des droits des Youngblood. Et tout le feuilleton qui s'en suit est même assez compliqué, au point de mériter de faire l'objet d'un article plus complet d'ici l'année prochaine. On pourra résumer ça sur un constat tout net : Rob Liefeld n'est plus le propriétaire des Youngblood depuis plus de vingt-cinq ans, même si Rosenberg a souvent fait appel au créateur pour écrire et dessiner les différentes séries consacrées à ce groupe de héros.
Sauf que, aux dernières nouvelles, cet accord de bon procédé
semblait avoir été enterré pour de bon. En 2019,
Rob Liefeld s'était exprimé sur
Facebook pour expliquer qu'il n'était plus en capacité de travailler sur les
Youngblood suite à un conflit avec les propriétaires légaux de l'équipe. Le post en question est encore en ligne pour les anglophones :
Quelques années plus loin, Scott Mitchell Rosenberg (et son partenaire Andrew Rev, mais ceci est une autre histoire...) ont donc visiblement suivi le cheminement classique de toutes les relations professionnelles qui entourent l'actualité de Rob Liefeld : ça commence par une engueulade, une grande période de froid, et puis, invariablement, une réconciliation tardive par nostalgie ou pas intérêt financier. En réalité, à part DC Comics, la plupart des enseignes qui se sont un jour brouillées avec le dessinateur ont fini par revenir le chercher pour enterrer la hache de guerre. Rosenberg n'échappe pas à la règle, puisqu'une nouvelle série Youngblood par Liefeld a bien été confirmée pour 2025, sans plus de détails pour le moment.
Les deux ex copains redevenus copains semblent même satisfaits de l'accord qui a permis de remettre la machine en marche, et au vu des communiqués de presse, les litiges d'hier semblent aujourd'hui être passés comme l'eau sous les ponts. Selon Liefeld :
"C'est tellement génial de pouvoir me retrouver le confort de ces personnages que j'ai créés, qui ont lancé tout un mouvement ! Ils portent une telle histoire avec eux. J'aime tellement mes Youngblood. Ces personnages sont ma passion absolue."
Et pour Rosenberg :
"Rob et moi avons toujours formé une belle une équipe, et je suis aussi excité aujourd'hui de voir les Youngblood réapparaître que je l'étais en 1992 lorsque la première série s'est lancée sur le marché. Les héros de l'équipe ont non seulement eu droit à de nombreux volumes, mais sont aussi apparus dans plus de cent millions de single issues à travers le monde, et ont même croisé les personnages de Marvel, ainsi que les autres grandes propriétés du catalogue Image Comics. Je suis ravi de pouvoir les relancer pour les anciens et les nouveaux lecteurs en compagnie de leur créateur originel, Rob Liefeld."
Image Comics a déjà annoncé une réédition luxueuse de la première série
Youngblood en hardcover (
Youngblood Vault Edition) et une réédition facsimilée de
Youngblood #1 pour les nostalgiques. L'annonce participe d'un mouvement plus général qui vise à remettre certains des héros fondateurs en avant, bien inspiré par l'exemple de
Todd McFarlane et du nouvel effort qui accompagne les parutions de l'univers de
Spawn, sans oublier le retour des héros de chez
WildStorm dans l'actualité de
DC Comics depuis quelques années. Reste maintenant à attendre les détails de cette relance des
Youngblood, qui vient boucler la dernière boucle de toute une carrière pour
Rob Liefeld, une façon comme une autre
de partir à la retraite sur un bilan positif et complet.