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Absolute Superman #1 : catastrophe écologique et bouclettes en pagaille dans l'introduction de Jason Aaron

Absolute Superman #1 : catastrophe écologique et bouclettes en pagaille dans l'introduction de Jason Aaron

ReviewDc Comics
On a aimé• Krypton réellement réinventée
• Un propos logique et bien ficelé
• Radical dans l'approche
• Un Superman que l'on ne connaît pas
On a moins aimé• Une approche graphique bien trop classique
• La peur d'aller trop vite ?
• Quelques planches vraiment baclées
Notre note

C'est tout le paradoxe lorsque l'on veut lancer un nouvel univers sur la base de personnages déjà largement creusés, explorés, traités sous toute une variété d'angles possibles : est-il seulement possible de trouver de nouvelles choses à dire ? Depuis le lancement de l'univers DC Absolute, on comprend globalement que l'éditorial (incarné par Chris Conroy et Ash Padilla pour les titres Superman et Wonder Woman, et par Katie Kubert et Sabrina Futch pour Batman) est globalement parti sur l'idée d'une recette commune. Dans le premier numéro de la série Absolute Batman, Scott Snyder présentait l'origine d'un Bruce Wayne déconnecté de son statut de milliardaire, élevé dans la rue, au contact des masses populaires, et employé du BTP. Un génie, oui, brillant à l'université, d'accord, mais un héros issu de la classe populaire néanmoins. En ce qui concerne Wonder Woman, le statut n'est pas encore aussi tranché, mais on sait déjà que cette version du personnage n'a pas été élevée comme une princesse sur une île paradisiaque. Si l'héroïne devait se révéler comme étant la fille de la Reine Hippolyte, cette découverte n'interviendra que plus tard, et ne changera pas le caractère profond de cette relecture arrachée à son statut clinquant.

Or, pour Absolute Superman, Jason Aaron a globalement eu la même idée au même moment. On en reparle plus bas, mais l'idée selon laquelle Kal-El serait le dernier représentant d'une classe d'aristocrates scientifiques, ou le représentant d'une utopie arrivée en bout de course, a globalement été renversée dès l'introduction de cette nouvelle série. Alors, hasard des calendriers ou commande éditoriale, ou peut-être simplement le fruit d'une impression générale que les personnages de l'univers DC Comics sont souvent considérés comme trop propres, trop "divins", trop élevés au-dessus des problématiques de la vie courante qui occupent le quotidien des justiciers de la maison d'en face, le résultat est le même : on sent que cet univers est pour le moment obnubilé par une seule et même idée, et que les variations vont surtout passer par l'exécution et la curiosité générale de ces nouveaux concepts. 

De ce point de vue, Absolute Superman #1 remplit bien son rôle : proposition radicale, critique du modèle classique, et un projet qui cherche d'entrée de jeu à installer énormément d'éléments pour la suite de l'histoire. Vu de loin, on pourrait même se demander si cette entrée en matière n'est pas le premier épisode d'une mini-série, dans la mesure où Aaron n'a pas hésité à taper un sprint pour placer certaines données à grande vitesse. Il en ressort une lecture agréable mais chargée, et dont on peine encore à isoler l'introduction proprement dite. Pour l'heure, la question de savoir qui est réellement ce nouveau Kal-El n'a pas encore été élucidée... et ce n'est peut-être pas une si mauvaise chose.

Krypto Zoologie


 
Pour celles et ceux qui n'auraient pas encore eu le temps de lire le numéro (c'est normal : il vient de tomber), la critique qui suit va évoquer certains points d'intrigue à considérer comme des spoilers. C'est moche, mais on ne va pas trop pouvoir faire autrement cette fois ci.
 
Absolute Superman #1 s'ouvre donc sur un paysage que le lectorat a appris à connaître à force de générations : la planète Krypton, une civilisation futuriste connue pour ses merveilles scientifiques, une fois encore rendue au bord du gouffre d'un désastre planétaire. Comme d'habitude, ce monde est au bord de l'extinction, et comme d'habitude, le brillant scientifique Jor-El voit la catastrophe arriver avant les autres. Le numéro démarre sur un flashback avant de se reconnecter à une version adulte de Superman, sur Terre, au Brésil. Et déjà, quelques détails sont à pointer du doigt.
 
D'abord, dans cette version des faits, Krypton est présentée comme une société régie par un système de classes sociales. A la façon de la noblesse, du clergé et du tiers état, les individus de cette version du monde extra-terrestre range les individus par groupes sociaux. Ces groupes sont hiérarchisés, avec les intellectuels et les scientifiques au sommet de la pyramide, et les artisans, les ouvriers et les employés tout en bas de l'échelle sociale. Chaque groupe porte un insigne : le fameux plastron kryptonien. Cette fois, celui-ci ne correspond pas au blason d'un clan ou d'une famille noble (comme les El, Zod ou Ur), mais à la cocarde qui indique le rang, la classe sociale, le groupe au sein de la hiérarchie planétaire. Aussi, cette fois, l'emblème de Superman n'est pas simplement un symbole pour incarner ses origines ou sa généalogie, mais bien le marqueur d'une revendication politique : comme ses parents, Kal-El est issu des populations pauvres, des travailleurs bas niveau (les mineurs de fond, les machinos, les mécanos, les serveurs, les pompistes, etc). Le fait que le personnage décide de porter cette insigne dans le monde réel est donc un choix politique intéressant : un peu comme si Superman décidait de porter un bleu de travail d'ouvrier, ou... un gilet jaune de camionneur. Le personnage explique être fier de l'activité de ses parents, même si, comme d'habitude, le constat est tout de même plus nuancé.
 

 
Pourquoi ? Parce que si les parents de Kal-El sont effectivement présentés comme des représentants de la classe populaire dans cette nouvelle lecture de Krypton, à l'image du Bruce Wayne d'Absolute Batman, l'un comme l'autre ont "accepté" la pauvreté au profit de leurs convictions. Contestataires engagés, Lara et Jor ont d'abord cherché à dénoncer les injustices du modèle social dominant. Les élites ont alors décidé de les ranger dans la caste des moins que rien, et le scénario développe avec adresse cette logique comparative vis-à-vis des sociétés capitalistes du monde réel : on nous explique que les ressources en eau vont en priorité aux grandes villes plutôt qu'aux habitants ruraux, que les petits chefs des classes intermédiaires n'hésitent pas à faire preuve de cruauté vis-à-vis des salariés bas niveau, et que les élites scientifiques se sont lancés dans une course à la technologie qui dépouille peu à peu les principales ressources en énergie de leur univers. Ces arguments ne sont pas simplement posés dans l'idée de moderniser l'image que l'on se fait de Superman (le fier messie des étoiles venu d'un monde futuriste pour guider l'espèce humaine vers l'espoir et la bonté) ou par simple envie de poser un discours politique frontal et engagé (ou pas seulement en tout cas). 
 
Au contraire, cette façon de présenter les faits va plutôt servir à informer le caractère de cette version du héros : désabusé, solitaire, désespéré. Il ne pense pas être capable de sauver l'humanité parce que... parce qu'il a déjà vécu tout ça. La situation de la planète Krypton évoque celle de notre monde à nous. Du point de vue des inégalités comme du point de vue de la raréfaction des ressources, ou de la façon dont l'extinction de notre espèce est encore considérée comme un sujet mineur en comparaison des progrès de technologies gourmandes en eau et en énergie. Aussi, lorsque Kal-El part à la rencontre des habitants de la Terre, il réalise qu'il est déjà trop tard, et qu'il vaudra mieux prendre un peu de distance et aider à son échelle plutôt que de se présenter comme le messie d'un monde qu'il ne serait pas en capacité de sauver de lui-même. De ce point de vue, la lecture rappelle énormément l'excellent comics Superman : Lost, dans lequel Christopher Priest évoquait un même sentiment de parallélisme entre le monde réel et une civilisation extraterrestre frappée par des problématiques comparables aux nôtres. Ils avaient même leur propre Donald Trump.
 
Avec quelques nuances intéressantes à souligner pour renforcer cette idée : le héros n'a pas grandi sur Terre mais sur Krypton, comme on peut le voir à la fin du numéro, à travers une scène qui introduit au passage la sympathique bouille du toutou Krypto. Et si l'on ne sait pas encore exactement à quel âge celui-ci a été propulsé dans sa nacelle interstellaire, ou quel rôle les parents Kent ont eu à jouer dans son éducation tardive, ce Kal-El a été élevé par deux intellectuels engagés, écœurés par la hiérarchie dominante. Ces points seront intéressants à explorer d'ici les prochains numéros. Dans l'intervalle, on nous explique que le héros est seul, qu'il n'a personne avec lui, et que son existence au milieu des hommes se résume à un rôle de fantôme : il passe de communautés en communautés pour secourir d'autres travailleurs pauvres qui lui rappellent ses parents, mais n'interagit jamais directement avec les vilains locaux. Ce Superman est aussi équipé d'un costume qui lui tient lieu d'interlocuteur principal (probablement une création de ses parents), Sol, et cet artefact a sans doute un rôle à jouer dans la manifestation de ses pouvoirs. 

Lazarus Planet


 
Du point de vue de l'intrigue plus générale, on comprend aussi que Jason Aaron a reçu une mission : introduire les forces en présence de l'univers DC Absolute, à supposer que les projets ont bien prévu de se connecter les uns aux autres d'ici les prochaines années. En l'occurrence, le scénariste imagine un monde gouverné par une corporation maléfique, Lazarus, qui utilise une technologie alien pour habiller sa milice d'intervention personnelle, les Peacemakers. La compagnie en question a visiblement une main dans tous les secteurs de l'économie, et devrait servir de chair à canon pour les premiers affrontements du Superman de cette réalité. Pas encore de Lex Luthor à l'horizon, mais Aaron a visiblement envie d'avancer le plus vite possible vers de premiers adversaires significatifs. On note ici la présence d'une étrange version de Brainiac encore à définir, on mentionne aussi la ferme des Kent, et on conclut sur une Lois Lane rentrée dans les forces armées. Là-dessus, l'idée n'est pas forcément mauvaise : au départ, l'héroïne est tout de même la fille d'un haut gradé de l'armée des Etats-Unis, et dans cette logique de renversement de perspective, le fait de la faire commencer sa vie du côté des "méchants" permet d'étendre cette logique de réinvention à l'entourage de Superman et pas juste à Superman lui-même. 
 
Au global, le numéro est assez inégal du point de vue des dessins. Avec de belles planches consacrées à l'action sur Krypton et des rendus plus ternes, plus fades, une fois arrivé sur Terre. Au global, le résultat est surtout très classique, et pas du tout en accord avec la franche réinvention graphique qu'avaient proposé les premiers numéros des séries Absolute Batman et Absolute Wonder Woman, par des artistes novateurs, capables de réellement trancher avec la norme des comics modernes. De la même façon, les couleurs évoquent le tout venant de ce qui se produit chez DC Comics depuis quelques années, dans les effets de lumière, l'apparence générale des lieux ou des personnages. Et c'est extrêmement dommage, dans la mesure où l'exercice de réinvention se cantonne au scénario et aux idées de design, alors que la promesse de l'univers Absolute était aussi d'offrir une nouveauté esthétique pour se démarquer des projets de la Terre-Prime. Sous cette forme, Absolute Superman #1 pourrait presque être le point de départ d'une nouvelle série Superman en canon, amenée à croiser le Clark Kent de la réalité traditionnelle d'ici cinq ou six numéros.
 

 
Bien entendu, tout ceci n'est pas la faute de Rafa Sandoval ni de DC Comics. On l'a appris récemment : au départ, le dessinateur brésilien Rafael Alburquerque avait été engagé pour se charger de la série. Malheureusement, celui-ci a été contraint de se retirer suite aux énormes problèmes de crue survenus au printemps de cette année dans son pays (un événement météorologique catastrophique qui aura touché le sud du Rio Grande, poussant plus de 200.000 personnes à fuir la région et provoquant la mort de plus d'une centaine d'habitants dans les inondations). Sandoval a donc été missionné au pied levé pour reprendre le projet, et l'artiste n'a donc pas eu le temps de préparation nécessaire pour livrer une copie optimale. C'est entre autres pour ça que l'intrigue de ce premier numéro se déroule pour partie au Brésil, en hommage à Rafael Albuquerque et aux victimes de la crue, et que le dessinateur est mentionné dans les remerciements de ce premier numéro. On espère que les prochains épisodes profiteront d'un soin supplémentaire - et même réalisé à grande vitesse, le numéro reste agréable dans l'ensemble (en particulier pour les dernières planches), seulement alourdi par quelques problématiques de design et une mise en couleurs au rabais. On voit notamment que Sandoval n'est pas aussi à l'aise que prévu avec la fameuse coupe de cheveux de ce nouveau Kal-El, souvent rendue de manière brouillonne. 
 
Maintenant, pour prendre un peu de distance avec la matière concrète : l'univers Absolute est officiellement lancé et visiblement régi par cette philosophie commune que l'on évoquait en ouverture de cette critique. Plutôt que de tomber dans le piège de ses propres automatismes, en se dirigeant vers des séries plus noires ou plus violentes comme cela a souvent été le cas par le passé, DC Comics a misé sur l'inversion généralisé des perspectives classiques. Batman et Superman sont désormais présentés comme des héros issus d'origines modestes, et Wonder Woman comme une sorcière qui a grandi sans son trône et sans lien direct avec la mythologie des Amazones. Les différentes équipes créatives ont toutes cherché à conserver le caractère profond de ces trois figures tutélaires (Batman ne tue toujours pas, Wonder Woman reste un avatar de la bonté, Superman va tout de même sauver l'espèce humaine de gré ou de force), et la transformation passe surtout par cette recherche de l'humanité dépouillée des conventions élitistes traditionnelles. Reste encore à voir dans quelle direction ce sympathique appareillage compte maintenant nous emmener, puisque, si c'est une chose de s'amuser à imaginer les faits différemment, c'en est une autre de réussir à raconter quelque chose de réellement neuf.
 

 
Un Superman solitaire, torturé, qui arpente la planète sans chercher à se faire des amis ou à se présenter comme une figure souriante et lumineuse ? Ca existe déjà. Pensez à Man of Steel ou à Superman : Earth One. Le challenge pour Jason Aaron se résume donc à insister sur cette origine sociale modeste pour construire un discours pertinent dans le présent. Il ne suffira pas de déshabiller ce désespoir pour rendre trop vite l'homme d'acier à ses poncifs traditionnels. De cette façon, la conclusion qui avance très vite vers le placement de données utiles est peut-être à voir comme un point préoccupant : pour construire un nouvel univers, mieux vaut miser sur une course de fond plutôt qu'un sprint. Quelques épisodes supplémentaires sur Krypton pour détailler les origines de la famille El, quelques interactions humaines avec Kal-El et les personnes à qui il vient en aide, quelques détails sur le fonctionnement de la Terre-Absolute, on peut s'autoriser ce temps avant de nécessairement dégainer les explosions, les yeux qui tirent au laser et les batailles stratosphériques. Comme souvent dans ce genre de cas, le maître mot sera : rythme, rythme, rythme. On croise les doigts pour le chevelu. 
 
Absolute Superman #1 s'en sort avec sa proposition audacieuse, qui assume de remettre l'allégorie de Superman dans une frontalité vis-à-vis des enjeux du présent. Cette fois, le héros n'est pas le fils d'un dieu, ou le visiteur éclairé qui s'attendrit de voir l'espèce humaine chuter pour mieux se relever. Non : c'est un voyageur du futur. Il a vu l'effondrement, il a vécu dans cette société rongée par les injustices et les égoïsmes, et lorsqu'il a enfin fini par la quitter pour s'échouer sur Terre... il découvre que notre monde ressemble diablement à ce qu'il a toujours connu jusqu'ici. Si on pouvait mettre de côté les éléments les moins originaux, les moins inventifs de cette entrée en matière (on aurait pu se passer des super-soldats en armure de Peacemaker au profit d'une menace plus réelle par exemple, histoire d'asseoir le propos dans une réalité encore plus tangible) et laisser à Sandoval le temps de peaufiner certaines planches pour éviter l'effet de crunch, on aurait entre nos mains un projet capable de réellement inventer un personnage que l'on a déjà beaucoup, beaucoup vu. Les ingrédients sont là, reste maintenant à diluer la sauce dans une première histoire complète qui a encore beaucoup de choses à nous apprendre sur cette lecture du héros, et la vision d'un Superman conforme au monde de 2024. Up up and away.

Corentin
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