C'est tout le paradoxe du cinéma d'épouvante : réputé pour son inventivité, ses audaces et sa capacité à se réinventer au fil des générations, celui-ci est aussi connu pour avoir inventé, voire breveté... une logique de clonage en série. Dans les années quatre-vingt, il a suffit d'un seul Halloween, puis d'un Vendredi 13, pour amorcer toute une armada de tueurs masqués lancés à la poursuite d'adulescents aux mœurs légères, tantôt aux abords de lacs perdus pour les vacances, tantôt dans le confort des banlieues résidentielles américaines. Et ce n'est qu'un exemple isolé. On peut aussi penser à l'influence de Rec et Paranormal Activity sur le cinéma de la caméra subjective plus récemment, ou au grand retour des films de possession, de l'increvable registre des films de requins, de poupée maudite et consorts. Dans l'horreur, on aime dupliquer quand ça fonctionne... et même quand ça ne fonctionne pas.
Popeye, qui n'avait rien demandé à personne
Ca n'a pas pu vous échapper : cette année, de nombreux personnages de fiction s'apprêtent à tomber dans le domaine public, en accord avec la législation américaine et la protection des droits de propriété sur la fameuse période de carence des 95 ans. Ce qui signifie que des personnages comme Popeye, dans sa version originale, celle du comic strip The Thimble Theatre de l'artiste E.C. Segar, mais aussi le Mickey Mouse du court-métrage Steamboat Willie ou le Tintin de Tintin chez les Soviets, sont désormais accessibles à toutes et à tous. Les créateurs de toutes sortes peuvent désormais utiliser ces différentes créations sans avoir à solliciter l'aval d'un propriétaire légal. Or, dans le cinéma d'horreur, cette situation motive légitimement les productions à petit budget pensées pour capitaliser sur l'engouement sur cette situation inédite. C'est le principe : si on peut se le permettre et que ça permet de s'attirer un peu d'attention... autant jouer cette carte.
Et donc, à l'instar du sinistre produit tapageur développé autour de la figure de Winnie l'Ourson (Winnie-the-Pooh : Blood & Honey), le personnage de Popeye va bientôt avoir droit à une déclinaison du même genre. Une déclinaison tournée sous l'angle de la pétoche et de la violence, dans laquelle le sympathique héros pour enfants est repensé comme un tueur fou. Et euh... Et voilà. Attendez. Non mais. Est-ce qu'on n'a pas déjà publié cet article... Il me semble ?
Oui, vous ne rêvez pas. A peine deux mois après l'annonce du film Popeye : The Slayer Man, un slasher qui reprend la figure bougonne du héros de l'artiste E.C. Segar pour motiver une chasse à l'homme brutale, il se trouve qu'une autre équipe créative a eu... exactement la même idée. La société de production ITN Studios, déjà responsable du catastrophique Winnie-the-Pooh : Blood & Honey, s'est engagée dans le développement d'une autre adaptation de Popeye dans les codes de l'horreur. Le projet en question s'appelle Popeye's Revenge et a eu droit à une première bande-annonce tout récemment.
Visiblement, la compagnie a visiblement décidé de ne pas se laisser manger la laine sur le dos. C'est vrai : quand on a un créneau sous la main, on ne va pas se laisser impressionner par la concurrence. Surtout qu'ITN Studios a visiblement décidé d'investir dans cet appareil productif avec une certaine énergie, dans la mesure où les équipes de l'enseigne ont aussi prévu un film Bambi : The Reckoning pour cette année ("avec un cerf qui tue des humains ?" alors oui, mais précisément : le cerf sera un mutant dans cette version des faits). Et puisque le ridicule ne tue pas, Popeye's Revenge paraît presque moins inventif que Popeye : The Slayer Man, dans la mesure où le script du film se présente comme un décalque bête et méchant de la franchise Vendredi 13 : un enfant qui se noie, un groupe d'adulescents qui veut monter un camp de vacances, une créature qui protège son territoire, etc.
Pour être franc, tout ceci ressemble fort à une parodie. La bande-annonce en question a été publiée sur le site Bloody-Disgusting (et via leur chaîne YouTube en exclusivité), le film est présenté comme une production ITN Studios mais n'est pas répertorié dans leur catalogue officiel, l'essentiel des morts du film sont spoilées dans cette bande-annonce... alors, vous connaissez la formule : sur ce site, nous ne sommes pas des experts du cinéma d'horreur à petit budget, donc peut-être que tout ceci est parfaitement normal et qu'il s'agit simplement d'un mode opératoire répandu parmi les sociétés spécialisées dans le cinéma de genre. Mais vu de l'extérieur, l'apparition de ce curieux projet paraît tout de même bien étrange.
Dans le même temps, il se murmure aussi qu'un troisième film d'horreur Popeye serait prévu pour cette année (un truc qui s'appelle Shiver Me Timbers). Reste à espérer que d'autres artistes auront envie de mettre les mains sur le personnage, lequel est parfaitement capable d'être réinventé et modernisé sans trahir son essence profonde, comme cela a déjà été prouvé dans l'un des segments de l'anthologie Lowreader au Label 619. Peut-être que le monde des comics aura mieux à proposer que l'énième variation slasher qui semble obséder le cinéma des petites productions américaines, pour sauver l'honneur.