Fin de partie pour la série The Sandman. Depuis quelques semaines, les observateurs se demandaient comment Netflix allait aborder la problématique des témoignages à l'encontre de Neil Gaiman, l'auteur des comics consacrés à Morphée et le cocréateur de cette adaptation. En définitive, le diffuseur a opté pour une politique de la terre brûlée : plutôt que devoir endosser une campagne publicitaire intenable, et de répondre à des questions autrement plus embarrassantes si le produit avait été renouvelé pour de nouveaux épisodes, Netflix a décidé de mettre fin à la série The Sandman. La seconde saison, prévue pour cette année, marquera la conclusion des aventures du roi des rêves. Bien entendu, les déclarations officielles esquivent (encore) le sujet du comportement de Neil Gaiman au moment d'expliquer cette fin abrupte.
Des explications qui ne passent pas...
Beaucoup de gens pouvaient s'attendre à cette annulation, en particulier depuis la reprise de l'affaire (et la publication de nouveaux témoignages accablants) dans les colonnes du média
Vulture. Le site web avait été l'une des rares antennes sérieuses et implantées à ouvrir une enquête sur le comportement de
Neil Gaiman. Pour rappel,
l'auteur a été accusé de viol, de diverses agressions sexuelles et d'abus de pouvoir sur plusieurs des femmes qui ont croisé sa vie. Or, au moment des premières prises de parole sur le sujet (dans les murs du podcast
Tortoise Media), l'essentiel de la presse traditionnelle avait fait le choix de ne pas reprendre ces accusations, repoussant à plus tard la question du destin potentiel de la série
The Sandman.
Et si Netflix a visiblement statué sur le sort de cette adaptation à succès... le discours officiel peine à convaincre. Pour justifier l'annulation de la série, Allan Heinberg, cocréateur et scénariste en chef sur le projet, a simplement expliqué que les auteurs n'avaient pas suffisamment de matériel disponible pour aller plus loin. Une défense somme toute assez ahurissante, même dans un milieu comme celui d'Hollywood où la langue de bois est pourtant répandue.
"L'histoire de The Sandman a toujours visé à se concentrer précisément sur l'aventure de Dream (Morphée). Et dès 2022, lorsqu'on s'était penchés sur la suite, on s'est vite aperçus que nous n'avions pas suffisamment de matière pour développer la série au-delà de la saison 2 si on voulait seulement se concentrer sur Dream."
L'argumentaire paraît grotesque (dans la mesure où : c'est grotesque) et surtout mensonger. Puisqu'il évoque lui-même l'année 2022, justement, les sources sont là pour contredire la théorie. A l'époque,
Allan Heinberg et
Neil Gaiman s'étaient adressés ensemble à la rédaction de Variety dans une interview qui évoquait les plans de développement de la série. Or, à ce moment là, ni l'un ni l'autre n'avaient prévu de restreindre l'adaptation à la seule histoire de
Morphée... et pensaient même avoir suffisamment de matériel disponible pour aller beaucoup, beaucoup plus loin. Jusqu'à évoquer la possibilité de produits dérivés, de saisons de complément, de dérivations, etc.
Reprenons la séquence au ralenti avec la réponse exacte que les deux cocréateurs avaient alors adressée à la presse :
"Et bien, nous avons couvert 400 pages d'un arc de 3000 pages dans les dix premiers épisodes. Donc faites le calcul. En revanche, une autre réponse serait : jusqu'où va la ficelle une fois qu'on a commencé à tirer dessus ? Nous savons que nous aimerions faire certaines choses, dans un monde idéal, à partir du moment où le public répond présent, où les gens répondent à l'appel, où les gens nous encouragent, à commencer par raconter l'histoire complète de Sandman jusqu'à The Wake (ndlr : l'arc de clôture des comics).
Et ensuite nous aimerions faire Sandman : Overture (ndlr : un arc situé chronologiquement en amont de The Sandman #1, mais réalisé bien plus tard par l'artiste J.H. Williams III), et peut-être quelque part entre les deux, sous la forme d'un épisode spécial ou quelque chose dans le genre, faire des choses comme The Dream Hunters (ndlr : un novella illustré basé sur une légende japonaise, adapté en comics plus tard). Nous pouvons aussi insérer ici ou là des histoires venues de Endless Nights (ndlr : une anthologie sur les Endless publiée séparément). Ce qui est agréable, c'est que nous avons l'ensemble du corpus Sandman avec lequel nous pouvons composer."
C'est malheureux, mais c'est comme ça : le web n'oublie pas. Les agents en charge du marketing ou de la gestion de crise chez Netflix auraient probablement dû trouver un meilleur argument, mais dans les faits, le diffuseur doit certainement composer actuellement avec ses propres avocats pour éviter de devoir prendre parti vis-à-vis des accusations relatives au comportement de Neil Gaiman (dans l'idée de s'épargner un procès pour licenciement abusif, comme cela arrive parfois).
Reste que : la série The Sandman va donc prendre fin une fois que la saison deux aura été diffusée, et sous un motif mensonger qui témoigne bien de la difficulté générale à évoquer ce sujet précis des auteurs accusés d'agression sexuelle, jusque dans le présent. A voir maintenant si Netflix compte investir sur la communication autour de ce projet ou faire comme si celui-ci avait simplement disparu des radars... mais au moins, les antennes de presse traditionnelles n'auront plus le choix et devront enfin se saisir du dossier.
