Pour cette fois, évitons de nous montrer trop affirmatifs : les indices sont là, mais dans la mesure où la technologie progresse de plus en plus vite, il devient difficile de détecter l'artificialité frontale. A plus forte raison dans un environnement où les intelligences artificielles sont utilisées en avec d'autres techniques de graphisme traditionnel pour la production d'images commerciales. Reste que : sur les réseaux sociaux, d'aucuns pensent avoir reconnu une (ou plusieurs) images générées sous IAs à travers une nouvelle série de posters officiels présentée par Marvel Studios pour le film The Fantastic Four : First Steps. Au premier coup d'œil, en flairant une impression d'étrange décalage avec le réel, ça se remarque... et quelques détails auraient tendance à confirmer cette impression.
Alex Ross était trop cher ?
Dans le monde contemporain, la démocratisation des intelligences artificielles à Hollywood n'est plus une question de politique interne, mais un mouvement industriel amorcé et embrassé par l'essentiel des structures dominantes.
Marvel Studios a même fait office de pionnier à l'époque de
Secret Invasion, en se proposant de remplacer les artistes généralement embauchés au département visuel pour la création des génériques série télévisée...
par un logiciel algorithmique. L'affaire avait fait les gros titres : sorti en juin dernier, le feuilleton était tombé en plein pendant la grève des scénaristes. Au premier rang des préoccupations de ce mouvement social, la possibilité de voir les grands studios remplacer les scribes par les IAs génératives avait animé un certain nombre de débats. Autant dire que
Secret Invasion portait bien son titre, compte tenu du timing.
La série de posters incriminés se présente comme suit :
Voici ce qui a été pointé du doigt (c'est le cas de le dire) comme indicateur potentiel de la présence d'une intelligence artificielle à l'origine de l'image principale :
En approchant le regard, on remarque effectivement qu'un détail ne colle pas. Et pas des moindres, dans la mesure où celui-ci convoque le principal défaut des illustrations de l'IA générative de ces dernières années : jusqu'à récemment, celles-ci étaient incapables de produire un nombre de doigts corrects. Les dernières versions auront fini par contourner le problème, mais pour un visuel de cette taille, avec une telle quantité de détails, il n'est pas impossible que l'algorithme se soit emmêlé les pinceaux.
D'autres observateurs approuvent la théorie depuis les réseaux sociaux :
On parlait de Secret Invasion, mais on pourrait en dire autant de The Fantastic Four : First Steps : présenté comme une déclaration d'amour adressée aux personnages de Jack Kirby, le film reprend l'esthétique des années soixante, celle des premiers temps de ces justiciers révolutionnaires annonciateurs du "Marvel Age" et d'un fol élan de créativité débridée.
L'envie de rendre hommage au géant du dessin se remarque aussi dans le choix des designs, avec un Ben Grimm enfin rendu à son costume classique sans volonté de réalisme absurde, et avec le personnage de Galactus dans son apparat traditionnel. Mais si Marvel Studios a probablement eu l'intelligence de comprendre les aspirations du public (ou d'aller chercher ce qui fonctionnait chez Kirby), la compagnie a oublié une notion essentiel : le formidable père fondateur s'est longtemps présenté comme une victime de la cruauté des hiérarques, des responsables de Marvel qui auront toujours refusé de le créditer comme créateur de ses propres inventions, en résumant sa participation à celle d'un salarié sous contrat. A tel point que Jack Kirby sera souvent cité dans le grand débat autour du droit des auteurs comme l'un des premiers soldats tués au combat dans cette bataille contre l'égoïsme des propriétaires.
Utiliser l'intelligence artificielle au moment de promouvoir un film pensé pour lui rendre hommage passerait donc, au mieux, pour une énorme faute de goût doublée d'un contre-sens philosophique. Ou bien encore, au pire, pour une injure propre et nette. Surtout de la part d'une entreprise comme Marvel, dont le capital économique et culturel repose littéralement sur la production artistique par des artistes doués d'un style et d'une vision précise. Etait-ce si compliqué de commander une série d'illustrations à celui qui inspire (manifestement) le style de ces posters : un certain Alex Ross ?
Les affiches concernées évoquent très clairement le coup de pinceau de cet autre grand nom de l'industrie, en particulier si l'on se réfère à son travail sur l'excellente série
Marvels, création titanesque développée en compagnie du scénariste
Kurt Busiek.
Ross lui-même
a d'ailleurs rendu hommage aux Fantastic Four récemment par la voie du roman graphique
Full Circle. L'artiste avait même évoqué, pour ce projet, son envie de revenir aux costumes classiques des
Quatre Fantastiques. Pour montrer aux studios, selon lui, qu'il était possible d'embrasser l'héritage de
Jack Kirby avec intelligence, sans tomber dans la peur du ridicule ou du kitsch. Remarquez l'ironie.
Ceci étant, il est aussi très possible que ces posters ne soient pas le produit d'une IA, ou pas totalement. Peut-être que la compagnie paye seulement le prix d'une paranoïa du moment, ou les pots cassés de son essai assumé sur Secret Invasion. Voire encore, que le résultat provient d'une initiative isolée de la part d'un profane enthousiaste au sein des équipes en charge du marketing. Peut-être que quelqu'un pensait bien faire, flatter les fans dans le sens du poil, capter l'esprit du film sans penser à mal. De fait : l'usage de l'IA se répand de plus en plus parmi les publicitaires qui sortent de leurs études. Les débats autour de l'éthique ou du travail humain salarié auraient d'ailleurs plutôt tendance à se réduire pour cette génération de salariés entre vingt et trente ans, qui assistent en direct à la révolution de la génération algorithmique. Sauf que : nous sommes chez Marvel Studios, et ce genre de choses ont généralement besoin de passer une série de validation de la part des pontes ou des gradés (notoirement connus pour leur côté control freak).
Et surtout, chez Marvel Studios, nous sommes chez Marvel. Et chez Marvel, nous sommes chez Kirby. A vous de nous dire ce que vous en pensez.
Pour l'anecdote : la compagnie a réfuté l'accusation dans la foulée par la voie d'un communiqué de presse. Mais ils n'expliquent pas pourquoi le gars n'a que quatre doigts. Allez comprendre. Si ça se trouve, c'est un Skrull. Qui sait ?