Nouvelle pierre à ajouter un dossier qui devient de plus en plus épais, celui de l'affaire Neil Gaiman. Accusé par plusieurs femmes de viol, harcèlement et agressions sexuelles (tout est résumé ici), l'écrivain est également sous la coupe d'une plainte déposée à son encontre - et à celle de son ancienne compagne Amanda Palmer pour "viol et trafic d'êtres humains". Depuis ces faits, l'auteur s'est exprimé dans une note de blog pour assurer que, s'il reconnaît avoir pu être "négligent avec les sentiments et le coeur des autres", nie cependant toute "activité sexuelle non consentie" avec qui que ce soit. Désormais, Neil Gaiman passe à l'attaque - sur le plan judiciaire - en poursuivant en justice l'une de ses victimes présumées. Sauf qu'il ne s'agit en aucun cas d'une plainte en diffamation.
La journaliste Lila Shapiro du média Vulture, qui avait écrit un très long papier sur les accusations à l'encontre de Neil Gaiman (qui reprenait les faits détaillés par l'enquête initiale de Tortoise, mais avec des déclarations et preuves supplémentaires à l'appui), explique que l'auteur poursuit en justice Caroline Wallner, l'une des voix qui avaient témoigné au sujet du comportement de l'écrivain.
Pour le rappel en ce qui concerne Caroline Wallner. Il s'agit d'une ancienne employée du couple Gaiman/Palmer, embauchée en 2014 pour s'occuper de l'une de leurs propriétés dans l'état de New York. Celle-ci s'était installée sur place avec son mari et leurs trois filles. Trois ans plus tard, Wallner se sépare de son mari, également salarié au service de la famille Gaiman/Palmer. L'auteur décide alors de licencier l'époux en question, en expliquant préférer "l'avoir choisi, elle" pour préserver son emploi. Wallner a encore ses trois filles à charge, à 55 ans. Pendant plusieurs années, celle-ci va expliquer que Neil Gaiman lui aura fait des avances répétées, tentant plusieurs fois d'avoir des relations sexuelles par téléphone, et cultivant un rapport de supériorité (jusqu'à lui demander, notamment, de l'appeler "maître"). Ce terme, "master" en Anglais, était d'ailleurs le titre du podcast de Tortoise à l'origine de toute l'affaire, dans la mesure où le terme était aussi revenu entre Gaiman et une autre de ses victimes présumées, Scarlet K.. Le mot a également servi de titre à l'enquête de Lila Shapiro pour Vulture et le journal New York (voir couverture en fin d'article).
Cette relation entre Caroline Wallner et Neil Gaiman a duré pendant plusieurs années, entre 2018 et 2020. Gaiman nie avoir abusé de son ancienne employée, mais Vulture a révélé qu'en 2021, ce dernier avait versé à Wallner la somme de 275 000$ en échange de la signature d'un long NDA (non disclosure agreement, ou accord de confidentialité) pour l'empêcher de porter plainte contre Neil Gaiman, mais aussi de raconter à qui que ce soit ce qu'elle avait vécu à ses côtés. L'auteur accuse désormais Caroline Wallner d'avoir rompu les termes de ce NDA en témoignant de son histoire auprès de différents médias. Il demande à ce que Caroline Wallner lui rembourse les 275 000$ réglés à l'époque, en plus de 50 000$ pour chaque interview accordée au sujet de l'affaire Gaiman - soit un total de 500 000$.
Pour le formuler plus clairement : Neil Gaiman ne porte pas plainte contre Caroline Wallner pour diffamation, ou en prétextant que ce qu'elle a raconté dans les médias est faux... mais simplement qu'elle n'était pas censée le raconter. Une décision que l'avocat de Wallner trouve particulièrement étonnante : "De mon expérience, les hommes accusés de comportements abusifs ne portent que peu plainte pour un NDA, au vu des perspectives qui sont rarement bonnes. Lorsqu'on essaie de réduire au silence quelqu'un qui vous accuse d'actes vraiment graves, tout le monde va penser que les accusations sont vraies. J'aurais tendance à penser qu'il se dit qu'il n'a peut-être plus rien à perdre."
L'affaire se complexifie alors que Caroline Wallner a également porté plainte contre Gaiman pour avoir lui aussi rompu la part qui l'engageait dans le NDA mutuellement signé. Le NDA stipulait en effet que les deux parties devaient supprimer toutes les preuves existantes de leur relation (messages, sms, photos, etc) - or Gaiman les a fournis à ses avocats dans le cadre de sa défense. L'arbitrage entre Gaiman et Wallner sur ce cas de NDA sera tranché d'ici les prochains mois, et l'un des représentants de l'auteur assure que "les prétendues réclamations de Mme Wallner n'ont aucune valeur. Nous aurons sans doute gain de cause dans l'arbitrage - et les actions de Mme Wallner l'obligeront donc à payer à Neil les frais légaux." Là encore, il n'est nullement question de dire que la victime présumée ment, mais qu'elle avait signé un papier qui l'obligeait à se taire. Et c'est sur cette base que repose toute la partie du procès qui s'annonce : un contrat signé plus qu'une négation formelle des faits rapportés.
En l'absence de tout verdict et comme les précédentes plaintes n'ont pas abouti, il conviendra de rappeler pour la forme que Neil Gaiman est présumé innocent. Pour la forme. Le fond, vous l'interprétez bien comme vous voulez.
