Annoncé depuis des années, ajourné un tel nombre de fois qu'il est impossible pour les lecteurs les plus attentifs de réellement compter les reports, Spawn : Architects of Fear est enfin là. Si 2011 démarre sur les chapeaux de roues pour le suppôt de l'Enfer avec la sortie de l'autre arlésienne Spawn #200 et la confirmation de la qualité des numéros 201 & 202, Architects of Fear constitue l'évènement majeur de ce début d'année chez Image. Proposé pour 7 petits dollars, ce graphic novel scénarisé par Arthur Clare compte une soixantaine de pages (64 pour être précis), toutes réalisées par le génie Français Aleksi Briclot.
Bien que l'on ait appris hier matin grâce à Thierry Mornet que la Version Française du titre sera de sortie cette année, probablement autour du mois de novembre, il est l'heure pour nous de décrypter cet Architects of fear dans les moindres détails ; Il faut dire qu'on a eu 3 ans pour se préparer, et il se pourrait bien que l'attente en vaille la chandelle...
S'il n'y a plus aucune surprise à dire qu'Aleksi Briclot est un génie et l'un des meilleurs artistes Français actuels, il faut bien avouer qu'on aimerait le voir plus souvent travailler pour les Comics, quitte à délaisser la Fantasy un temps. Certes, il est purement égoïste de notre part de réclamer au dessinateur de Spawn : Simonie toujours plus de travail, mais il faut bien comprendre le calvaire que viennent de subir les lecteurs ces 3 dernières années, à admirer les premières planches du titre sur myspace en voyant la sortie officielle reculer à mesure que les semaines passaient.
Le problème avec les arlésiennes et les titres maintes fois repoussés, c'est que l'attente grandit autant que la frustration, rendant les lecteurs toujours plus intransigeants. En l'occurrence, c'est Todd McFarlane qui a orchestré cette valse des dates de sorties, Aleksi Briclot ayant rendu son travail depuis plus d'un an aujourd'hui. La question mérite donc d'être posée : le Français est-il à la hauteur des attentes?
Inutile de patienter plus longtemps avant de livrer un constat évident : oui, le titre est aussi beau que supposé et les attentes sont ô combien comblées. Les possesseurs du magnifique Worlds & Wonders ne seront pas surpris de retrouver les pages que l'auteur présentait il y a quelques mois dans son artbook, et force est d'avouer que le lettrage laisse la part belle aux dessins, chose qui inquiétait bon nombre de lecteurs. Les planches de l'artiste se trouvent donc magnifiées par ce lettrage sans bulles (à la manière de la majorité des séries Sam & Twitch) et les dialogues saignants du quasi-inconnu Arthur Clare.
New York a rarement paru aussi sale et sombre que sous les pinceaux numériques du Français, la pluie s'abattant avec une telle intensité qu'une tempête tropicale semble souffler sur la Grande Pomme et s'intensifier à mesure que l'histoire suit son cours. La première scène en particulier nous présente un Marc Simmons (frère de Al) en vigilant inquiétant, luttant contre la pluie pour faire régner l'ordre dans un chaos qui se veut ambiant.Techniquement parlant, cette introduction prouve d'ailleurs qu'Aleksi Briclot ne tombe pas dans le travers de bon nombre de "peintres numériques" qui figent leurs personnages au sein des planches, oubliant la partie séquentielle inhérente à un bon story-telling ; Ici, les visages et les situations sont répétés pour les besoins des dialogues et le développement de l'histoire prend le pas sur des splash pages purement hallucinantes et démonstratives de talents de cover artist.
Si le parallèle avec l'oeuvre de Gabrielle Suzanne de Villeneuve naît tout naturellement de la beauté des planches d'Aleksi Briclot, la bête elle, semble affaiblie par un scénario somme toute dépassé ; Tout le monde est bien conscient que Spawn est passé à autre chose depuis l'apparition il y a une vingtaine de numéros d'un nouvel hôte pour le costume de HellSpawn en la personne de Jim Downing, et il aurait été intéressant de jouer sur la corde sensible des retrouvailles avec le héros historique de la série pour de nouvelles aventures. Là, la sortie trop tardive du titre vient briser cet élan et Al Simmons ne profite pas de ce retour "évènement". La relation avec son frère Marc est quelque chose que Todd McFarlane a déjà exploité il y a peu de temps et si la manière d'entrevoir leurs liens ici est plus maligne que celle du créateur de Venom, on ne peut s'empêcher d'opposer ces 2 récits et d'en comparer les moindres recoins.
Rien de dramatique là dedans, mais à l'instar de Simonie en son temps, le scénario en deça des illustrations vient briser l'élan de ce qui pourrait figurer (et qui figurera, quoi qu'il arrive) au panthéon des meilleures histoires de Spawn et d'Image dans un plus large spectre.
La galerie de personnages est relativement bien pensée, l'Ange noir menaçant du haut de son piédestal divin et la fratrie Simmons mieux réfléchie que dans la série régulière du suppôt de l'Enfer.
Dernier détail crucial (d'autant plus au moment d'aborder un dossier sur les métiers "de l'ombre" de l'industrie des Comics) : à l'instar de ce que l'on retrouve chez Aspen, et particulièrement sur Lady Mechanika dernièrement, le lettrage est très bien pensé et les détails fourmillent au sein même des texte. Ainsi Spawn parle en majuscules soulignées d'un trait vert pour le moins dynamique, tandis que les autres protagonistes arborent un lettrage bien plus classique. Cette volonté de renforcer la grandeur et la particularité de Spawn par les dialogues colle parfaitement à la représentation de l'alter ego d'Al Simmons que propose Aleksi Briclot, rendant à son "héros" l'aspect majestueux et menaçant des meilleures sagas du personnage.
A la hauteur des attentes et travaillé dans les moindres détails (le lettrage et la maquette du titre ont bénéficié d'un soin tout particulier), Spawn : Architects of fear est LA réussite de ce début d'année chez Image et de ces dernières années dans la galaxie Spawn. Confirmant le bon élan de l'anti-héros de Todd McFarlane depuis quelques mois, ce titre ne fait qu'asseoir le retour en flèche d'un personnage phare des années 90, brillamment mis en scène par un génie bien de chez nous : Aleksi Briclot. Majestueux, charismatique et menaçant, le serviteur de l'enfer a rarement eu aussi fière allure et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'on en redemande, très vite !
La note de Sullivan : 4/5