Chez Marvel, on aime bien former des groupes d'artistes qui servent d'armatures à leurs publications, comme il y a quelques années quand ils avaient annoncé les Young Guns, des dessinateurs estampillés "talents de chez Marvel", ou plus récemment, quand ils ont établi le groupe des Architects, qui regroupent les scénaristes sur lesquels repose le Marvelverse, à savoir Ed Brubaker, Brian M. Bendis, Matt Fraction, Jason Aaron et Jonathan Hickman. Mais ils pensent aussi à l'avenir en attirant dans leur giron ceux qu'il leur semble les plus prometteurs, et on peut dire que ces derniers temps, ils ont été plutôt actif dans ce secteur. Nous allons donc vous présenter quelques-uns de ces jeunes talents sur lesquels on fonde de grands espoirs.
Nick Spencer, une ascension fulgurante
Spencer est de ceux qui savent ce qu'ils veulent. Dès la fac, il envoi de nombreux scripts aux éditeurs de comics, que ce soit Marvel ou Oni Press. Malheureusement pour lui, ils sont tous refusés, même si Joe Quesada, à l'époque Editor-in-Chief de la Maison des Idées, remarque l'un de ces scénarii, un one-shot sur Black Cat. Ils ne recrutent pas à l'époque, mais Quesada gardera un oeil sur lui.
Ses études finies, Nick Spencer travaille ici et là, ne désespérant pas de percer un jour dans les comics. Et cela arrivera quand un de ses pitchs sera remarqué et accepté par Jim Valentino, éditeur chez Image. Ce premier comics de la carrière de Spencer s'intitule Existence 2.0, et pour vous dire à quel point il est frais dans l'industrie, le premier numéro sort en Juillet 2009. Le succès est au rendez-vous, ce qui lui permet de faire une autre mini-série après, Existence 3.0, et les droits sont rachetés par la Paramount en 2010 pour une future adaptation cinématographique. On pourrait arguer qu'il ne s'agit que de la chance du débutant, mais il sort deux nouveaux titres chez Image, Forgetless et Shuddertown, qui démontre ses qualités d'écritures. Très vite, on remarque que l'homme sait écrire avec une finesse et une habilité particulière, son travail étant à la fois très inspiré par le cinéma de genre, dont il réutilise les dialogues ciselées, et à la fois par les polars, où il puise sa capacité à décrire des ambiances.
En Août 2010, toujours chez Image, Il rencontre le succès avec sa première série régulière, Morning Glories, que l'auteur décrit lui-même comme une rencontre entre les Runaways et Lost, une série à la fois fun et remplie d'énigme, un labyrinthe narratif. C'est l'un des titres indépendants ayant le plus gros succès critique. Et ainsi, s'étant fait remarqué, il est embauché par une major un an seulement après ses début dans l'industrie. Et c'est DC Comics qui lui met en premier le grappin dessus, où il se retrouve à écrire un run sur Jimmy Olsen qui paraît en back-up dans Action Comics. Cependant, après avoir été annoncé comme le nouveau scénariste de Supergirl, il est annulé, puis sa série T.H.U.N.D.E.R. Agents, où il reprend les personnages de la légende Wally Wood, est plus que mal communiquée.
C'est sans doute cela qui l'a convaincu à signer auprès de Marvel, qui sûrs de leur fait, lui confie directement les rênes de la nouvelle série sur War Machine, Iron Man 2.0, où il revient aux fondamentaux du personnage. Puis, on lui confie ensuite l'un des plus gros titres, à la suite du géant Ed Brubaker, Secret Avengers. La consécration est arrivée, pour quelqu'un qui n'a commencé que deux ans auparavant. Espérons qu'il ne subira pas le syndrome de l'étoile filante, et qu'il confirmera son talent.
Christos Gage, le scénariste discret et efficace
Quand on parle de grands scénaristes, les gens mentionnent rarement Christos Gage. Pourtant cet américain mérite amplement qu'on se penche sur son cas, ce n'est pas notre rédac' chef qui nous contredira, vu le dossier qu'il lui a consacré. Cet homme qui a grandi à Athènes, est ce que l'on peut décemment appeler comme une "tête", puisqu'il a étudié dans l'une des plus prestigieuses universités américaines, Brown University. Son début de carrière est plutôt tourné vers le cinéma, pour lequel il livre plusieurs scénarii, c'est en 2004 qu'il fait son entrée dans le milieu du comics, en écrivant Deadshot et Legends of the Dark Knight pour DC Comics. Il fait plusieurs petites séries, et commence à se faire remarquer avec la mini-série Union Jack chez Marvel, en 2006. Il parvient à revitaliser ce personnage issue des Envahisseurs tout en respectant son histoire. Ce sera d'ailleurs là la grande force de ce scénariste, qui respecte la continuité et joue avec elle pour intégrer ses histoires avec brio dans l'ensemble très complexe des univers partagés. On s'en rendra particulièrement compte lors du crossover Secret Invasion, où il écrit les tie-ins pour War Machine, et surtout les Thunderbolts, qui se révélèront primordiaux dans le dénouement de l'event.
Marvel lui confie ensuite le titre Avengers: The Initiative, qu'il lie magnifiquement aux événements de Dark Reign. De plus, il apparaît que Gage a un véritable don pour décrire les sentiments qui s'agitent en chaque personnage, ainsi que les relations qu'ils nouent. Ainsi, son écriture donne tout son poids à Taskmaster, qui était jusqu'alors qu'un vilain de seconde zone, et qu'il parvient à rendre plus humain, tant son pragmatisme et sa lucidité le caractérise brillament. Il fera de même avec de nombreux personnages secondaires comme Diamondback ou Constrictor. C'est d'ailleurs les seconds couteaux qu'il maîtrise le mieux, leur donnant une épaisseur et un intérêt, là où beaucoup d'autres leurs confient juste un rôle de faire-valoir. Son épisode sur Johnny Guitar et Dr Sax est l'un des sommets de ce run, par l'émotion qu'il transmet.
Pendant ce temps-là, il écrit de nombreux titres chez Wildstorm, que ce soit sur Authority, Wildcats, ou le comics tiré du jeu vidéo Dante's Inferno. Pour IDW, il écrit un titre sur G.I. Joe, ce qui démontre sa capacité à s'adapter. Il parvient par la suite à publier chez Avatar Press un creator-owned, Absolution. Cette mini-série en six parties est un mélange habile entre genre super-héroïque et série policière. Il y montre par ailleurs un côté beaucoup plus sombre que ce à quoi il nous avait habitué, car son personnage principal est désabusé et fini par basculer dans une folie meurtrière.
Désormais, il écrit la suite logique d'Avengers: The Initiative, Avengers Academy, puisqu'il semble que Marvel lui fasse totalement confiance. De plus, on a appris récemment qu'il allait écrire Angel & Faith pour Dark Horse, titre important, puisqu'il sera intimement lié à la saison 9 de Buffy. Ainsi, par sa capacité à écrire tout ce qu'on lui propose, Gage risque de rester bien longtemps dans le milieu, et on le verra sans doute écrire des titres de plus en plus importants s'il continue ce travail de qualité.
Kieron Gillen, celui qu'on attendait pas
S'il y a un scénariste qui a un parcours atypique, il s'agit bien de Kieron Gillen. En effet, rien ne prédestinait ce britannique a écrire des comics, puisque celui-ci commence sa carrière comme journaliste de jeux vidéos pour différentes revues anglaises. Puis, il écrit quelques comics, online et papiers sur des jeux de plateaux et vidéos, Warhammer Weekly et Chaos League. Puis dans le prolongement de cette logique, il écrit des strips pour Playstation Magazine UK. Il a alors l'intention de prolonger ces expériences de scénariste et décide de tenter sa chance en envoyant à Image un projet de série qu'il a mené avec James McKelvie. La série est validée, et paraît alors à partir de 2006 sous le nom de Phonogram. Cette série originale qui mélange pop-culture et fantastique attire le regard de Warren Ellis, qui décide de lui confier un spin-off basé sur sa série NewUniversal.
Avec un tel parrain, il se fait remarquer par Marvel, qui décide de lui confier des one-shots et des mini-séries avec des protagonistes tels que Dazzler ou Beta Ray Bill. Son travail semble convenir aux éditeurs, qui lui confie alors un personnage plus important, c'est ainsi qu'en 2009, il écrit la mini-série Dark Avengers: Ares. Le buzz autour de cette série fonctionne, puisqu'elle est considérée comme l'un des meilleurs tie-ins de Dark Reign, alors même que personne en espérait autant. Devant ce succès inespéré, il se voit confier une nouvelle série régulière, S.W.O.R.D., et prend la suite de J. Michael Straczynski sur Thor.
Après cela, il devient un scénariste régulier de la Maison des Idées, où il écrit le sequel à Second Coming, la série régulière Generation Hope. Et multipliant les projets, il se trouve associé à Matt Fraction à l'écriture d'Uncanny X-Men. Ainsi, on voit que sa capacité à écrire des histoires efficaces où prime l'action est récompensée puisqu'il s'est vite retrouvé à s'occuper de séries de premier plan. D'autant plus qu'il a annoncé mettre fin à sa carrière de journaliste pour se consacrer totalement à ses histoires pour Marvel.
Victor Gischler, une plume au service des histoires
Si on avait besoin d'une preuve pour montrer qu'aux Etats-Unis, la frontière entre culture "classique" et pop-culture est moins barricadée qu'en Europe, il suffit de regarder le parcours de Victor Gischler pour s'en convaincre. En effet, il commence sa carrière en tant que romancier de polar noir. Et ce avec succès puisque plusieurs de ses romans sont primés et traduits dans de nombreuses langues (notamment en français, où ils paraissent dans la Série noire de Gallimard, qu'on peut retrouver sous les noms de Cage aux Singes et Poésie à Bout Portant). Pour compléter la description de celui-ci comme d'un exemple d'intellectuel, on peut rajouter qu'il a obtenu un doctorat en Anglais auprès de l'University of Southern Mississippi.
Mais là où en France un écrivain tel que lui a tendance à rester dans ce carcan de culture académique (que l'on peut attribuer à une certaine considération bourgeoise dérivant du clivage social hérité du XIXième, mais ce n'est pas ici le sujet), les Américains ont plus facilement tendance à transgresser les genres. Ainsi, Gischler, en grand fan de comics, désire travailler dans ce milieu. En 2008, c'est Marvel qui lui en offre la possibilité en lui proposant d'écrire un one-shot sur le Punisher, personnage qui colle bien à son univers développé à travers ses romans. L'essai est concluant, et il se voit confié un arc sur Punisher MAX. Cette histoire qui plonge l'implacable justicier dans la moiteur du bayou est apprécié par les lecteurs, ainsi que le one-shot Wolverine: Revolver. On remarque qu'il a un style très direct, une écriture qui décrit les événements de façon crûe, décrivant avec maestria les monstres humains et leur perversité.
C'est alors qu'il s'attaque à un personnage assez éloigné de ses histoires habituelles, le trublion Deadpool. Sa série Deadpool: Merc with a Mouth, qui est prévue comme une mini-série, se transforme soudain en maxi-série de 13 numéros, et se poursuit par la suite dans Deadpool Corps. Il y fait démonstration d'un talent certain pour le récit d'aventure sans temps mort, son style toujours aussi direct ne laissant jamais le lecteur s'ennuyer, il y multiplie les rebondissements à couper le souffle, les références pop bien senties et l'humour décapant. Son introduction dans les comics mainstream est un véritable succès.
Devant ce constat, Marvel lui confie directement une nouvelle série régulière X-Men en faisant une grande campagne publicitaire autour du fait que c'est le premier numéro 1 des X-Men depuis 1991 (la série de Jim Lee). Et cet arc Curse of the Mutants, avec Paco Medina, puis l'actuel arc où il collabore avec Chris Bachalo (lui aussi en très grande forme) est de l'aveu du plus grand nombre de très haute qualité, et surtout, bien meilleure que la série-phare Uncanny X-Men. Ce parcours sans faute continuera-t'il ainsi, et parviendra-t'il à conjuguer cette carrière à succès dans les comics avec son travail de romancier? On l'espère.