Si tout le monde loue à raison les travaux de Frank Miller ou Brian Bendis, d'Ed Brubaker ou Mark Waid, sur Daredevil, aucun de tous ces artistes n'a créé le personnage devenu iconique. Certes, l'idée appartient à Stan Lee, mais pour une fois qu'il n'était pas avec Jack Kirby, il faut le mentionner. Surtout que Bill Everett, le dessinateur en question, a une carrière prolifique qui remonte bien avant l'apparition de Matt Murdock dans sa vie.
La plupart du temps, quand on mentionne les artistes de comics du Golden Age, que ce soient Will Eisner ou Joe Kubert, on évoque leur enfance faite de pas grand-chose dans les rues de Brooklyn, souvent fils d'immigrants désargentés pour qui le dessin deviendra le vecteur improbable du Rêve Américain, l'échelle sociale devenant un ascenseur. Sauf que pour Bill Everett, ce n'est pas du tout la même chose. S'il a longtemps tenté de cacher ses origines (en s'inventant un passé dans la Marine marchande), qui détonaient un peu par rapport aux restes des membres de l'industrie des comics, c'est avec la proverbiale cuillère en argent dans la bouche qu'il grandit.
La famille Everett est une lignée de notables du Massachusetts, qui comprend notamment Edward Everett, président de l'université d'Harvard et gouverneur de l'Etat qui a pour capitale Boston, ou William Everett qui fut membre du Congrès du Massachussets. Le père de Bill est lui-même une sommité de la région, possédant la plus grande entreprise de transports par camion de l'Etat. Un statut social qui s'accompagne d'une relative sécurité financière. C'est dans ce milieu aisé que Bill Everett va naître en 1917.
Cependant, confirmant l'adage qui dit que l'argent ne fait pas le bonheur, Bill va contracter la tuberculose alors qu'il n'a que douze ans. Pour le soigner, les médecins lui conseillent de s'éloigner du milieu humide de la Nouvelle-Angleterre. Il va donc suivre sa mère en Arizona pour y suivre une cure. C'est dans cette région désertique qu'il va boire son première verre d'alcool. Pas de quoi être catastrophé, sauf que ce sera la première pierre de son alcoolisme adolescent et quand il revient à Boston à seize ans, il fait face à de gros soucis de dépendance à l'eau de feu.
Son père, épargné par la Grande Dépression et dont l'entreprise marche mieux que jamais, le voit lutter contre sa dépendance et l'encourage à développer ses talents artistiques, dont il voit bien qu'il n'y a que ça qui le tire de la torpeur. Entre sa rébellion et son alcoolisme galopant, il doit quitter le lycée à 16 ans. Son père l'inscrit dans une école d'Art, pensant qu'il y aura plus sa place, mais ses soucis avec la boisson lui causent de graves problèmes de concentration et il est obligé d'arrêter en cours de cursus en 1935. Seulement, la même année, son père mourra d'une appendicite (le progrès n'a pas que des mauvais côtés), ce qui provoquera un choc chez Bill Everett qui réalise que ce dernier l'a toujours aidé.
Décidant de plonger dans le grand bain après la mort de son père et ayant réalisé que le système scolaire n'était pas forcément pour lui, Bill Everett va obtenir un premier petit boulot dans une agence de pub de Boston. Il va aussi faire du dessin industriel et de l'illustration en free-lance, souvent pour des salaires de misères à la sortie de ces années de crise financières. Pour trouver du travail, il déménage régulièrement, retourne en Arizona et allant même jusqu'à Los Angeles. Pour un résultat pour le moins catastrophique, il revient sur la côte Est sans un sou. Il va alors s'installer à New York qui est à ce moment-là le centre névralgique de la presse.
Trouvant un job de directeur artistique à Chicago, il déménage dans la Ville Venteuse, pour vite se faire renvoyer pour avoir été un peu trop "franc" avec ses employeurs. Retour à New York pour Bill, où il cherche désespérément du travail et s'aperçoit que son compte en banque commence à s'affiche en rouge vif. Everett relatera cette période à Jim Steranko, lorsque ce dernier écrit son impressionnante Histoire des Comics. Il raconte que c'est à cette période qu'un ancien collègue, Walter Holze, va venir le voir pour lui demander si ça l'intéresserait de travailler dans les comics.
Le dessinateur explique que malgré le fait qu'il ait dévoré des pulps et des illustrés quand il était enfant, il n'était pas plus intéressé que ça par ce domaine. Mais c'est affamé et totalement sans le sou, à la limite de se faire expulser de chez lui, qu'il va tout de même sauter sur l'opportunité d'avoir un peu de travail. Ainsi, Bill Everett arrive un peu par hasard dans l'industrie des comics, et plus particulièrement chez Centaur Publications. Ces derniers font partie de ces nombreux éditeurs qui se multiplient à la fin des années 30 dans la Grosse Pomme. Il commence à se faire pas mal d'argent en vendant des pages de 10 à 14$ et va même commencer à y prendre goût.
Ainsi, il va se faire remarquer par le directeur artistique de la maison d'édition, Lloyd Jacquet, qui va lui demander de co-créer avec lui Amazing-Man, athlète qui va représenter l'Occident dans les monastères tibétains qui vont lui apprendre leurs arcanes et en faire un guerrier accompli. Ce personnage va servir d'inspiration à Iron Fist. D'ailleurs, après avoir fait une apparition chez Malibu Comics dans les années 90, il sera intégré à l'univers Marvel quand on découvrira l'identité du Prince des Orphelins, Arme Immortelle comme Iron Fist, créé par Ed Brubaker, qui n'est autre que John Aman, l'Amazing-Man de Bill Everett. Celui-ci va dessiner les cinq premiers numéros avant que son scénariste ne lui fasse une proposition.
En effet, Lloyd Jacquet vient de créer sa propre boîte, Funnies, Inc., et demande à Everett de le suivre. Il s'est déjà attaché les services de Carl Burgos, qui n'est autre que le créateur de la Torche Humaine, et va vendre ses premières histoires à un certain Timely Comics. Ce premier comics sera Marvel Comics #1, où l'on retrouvera la première création totale de Bill Everett : Namor. En compagnie de l'androïde créé par Burgos et du Captain America de Joe Simon et Jack Kirby, le Prince d'Atlantis, anti-héros qui être très vite populaire, fait partie de la trinité de cet éditeur qui est destiné à devenir l'un des plus grands acteurs de la culture pop des années à venir.
Très vite, la popularité du personnage va lui permettre de lui offrir un titre solo : Sub-Mariner Comics. Durant 32 numéros, les lecteurs de l'époque suivront ce personnage arrogant et passablement sanguin (pas vraiment le modèle-type du héros de l'époque). La carrière de Bill Everett est faite, il est même reconnu pour son trait dynamique et étrangement habité. Il va servir durant la Seconde Guerre Mondiale, laissant les comics de côté, puis reviendra pour dessiner la mini-série en trois épisodes consacrée à Namora, cousine de son Atlante de personnage, puis échangera avec Burgos pour qui puisse aussi dessiner la Torche Humaine.
Il est devenu une force vive de Timely alors que les années 50 arrivent et que l'éditeur devient Atlas Comics. Mais il va vite se rendre compte que le super-héros n'a plus la côte après la guerre, et va évoluer vers les comics fantastiques ou d'horreur. Il va ainsi faire la connaissance du tout jeune éditeur en chef d'Atlas, Stan Lee, avec qui il va dessiner une courte histoire pour Menace #5. Quelques pages où pour leur première création ils vont tout de même créer le personnage de Simon Garth, ce zombie que Steve Gerber rendra populaire dans les années 70.
Au début des années 60, pendant que Bill Everett retourne peu à peu dans l'anonymat, Stan Lee devient lui une véritable star. Il est l'éditeur en chef de Marvel et invente une nouvelle méthode de création pour les comics. Une méthode qui a déjà fait ses preuves puisqu'il a créé les Fantastic Four, les Avengers ou encore les X-Men pour ne citer que ceux-là. Il étend encore et encore l'univers Marvel en inventant sans cesse de nouveaux personnages. Pourtant, celui qui nous intéresse, Daredevil évidemment, a une part de flou qui entoure sa création.
En effet, ce qui va poser en premier lieu les bases du personnage sera un design, toute la question étant de savoir de qui il est. La couverture du premier numéro est l'œuvre de Jack Kirby, et comme à l'époque le King of Comics a pour habitude d'illustrer la couverture avant que les pages intérieures soient réalisées, une rumeur a longtemps perdurer comme quoi Bill Everett aurait tout simplement repris la création de Jack Kirby. Pourtant, à en croire Everett, le créateur de Captain America serait juste responsable de la canne que porte le héros.
C'est lors d'une interview qu'il mena avec Roy Thomas, qui fut son colocataire et aussi bras droit éditorial de Stan Lee, que Bill Everett livra le fin mot de l'histoire. Il est alors retourné dans le Massassuchets, retournant à son travail dans la publicité puisque les comics ne veulent plus de lui. Il va alors recevoir un appel de Stan Lee qui a eu une idée, brillante si on en juge par sa postérité. Il va lui demander de venir à New York pour lui exposer.
The Man cherchait un prétexte pour travailler à nouveau avec Bill Everett et voulait créer un héros spécifiquement pour lui. Suivant toujours le principe d'associer à la dimension fortement iconique du super-héros, une identification au personnage pour le lecteur, il invente ce héros aveugle. Il est d'ailleurs inquiet de la réception de celui-ci par le public, craignant que l'on n'y voit une parodie du genre, avant de recevoir les remerciements de ceux souffrant justement de ce handicap. S'il a l'idée du personnage, le costume et son design reviennent au dessinateur comme toujours.
Ainsi, Bill Everett va d'abord élaborer le personnage de son côté, s'inspirant notamment d'un Daredevil déjà existant, mais édité par Lev Gleason Publications (que l'on retrouvera plus tard dans Project Superpowers), avant de le soumettre à Kirby qui va lui apporter les dernières touches. Seulement, Bill Everett n'est plus alors dans le monde des comics et peine à boucler ce premier numéro dans les temps. Si bien que Steve Ditko va devoir pour tenir la deadline terminer le numéro en une nuit. Il fera les arrières-plans et les encrages, puis finira avec Kirby la couverture et la splash-page finale (si bien que ce premier numéro comporte plus de dessin de Ditko que d'Everett lui-même).
Bill Everett a retiré de ses années de galères une obsession pour la sécurité de l'emploi. Ainsi, malgré le fait que les comics le rappellent à nouveau, son talent n'ayant jamais été oublié par ses anciens collaborateurs (à l'époque, les lecteurs ne connaissent que rarement le nom des créateurs des comics qu'ils lisent), il ne veut pas quitter son poste de directeur artistique à Boston. Il déclare donc à Stan Lee après ce premier numéro qu'il n'en fera pas d'autres.
Pourtant, Jack Kirby va lui proposer une solution deux ans plus tard pour une histoire de Hulk à paraître dans Tales to Astonish. Il fait les layouts et laisse le soin de l'illustration à Everett. Le gain de temps est significatif pour l'artiste qui accepte de suite et va même faire une histoire de Doctor Strange sur le même mode. C'est aussi à cette époque où ses travaux du Golden Age qu'il avait fait pour Funnies, Inc. ainsi qu'Atlas Comics sont republiés. Les lecteurs reconnaissent enfin son nom et finissent par le réclamer. Se prenant au jeu, Everett accepte alors d'encrer deux épisodes de Tales to Astonish où figure Namor.
Les retrouvailles avec sa création semblent être des plus agréables pour Everett qui va soudain oublier son salaire de directeur artistique et décider de rempiler pour deux numéros de plus, mais où il va carrément dessiner les pages du début à la fin. Son enthousiasme ne s'arrête plus (surtout qu'il trouve alors son public) et Everett va relancer la série Sub-Mariner au numéro 50 en 1972 (épisode où il introduit Namorita, future membre des New Warriors). Durant huit épisodes complets, il va écrire, dessiner et encrer les aventures de son Atlante. Pourtant, à cette période il va tomber malade et va devoir lever le pied. Il ne voudra pourtant plus s'arrêter et continuera de faire le plus possible, recevant l'aide d'artistes comme Steve Gerber ou Win Mortimer, de numéros. Jusqu'au Sub-Mariner #61 dont il ne peut plus assurer que quelques encrages.
Il s'accroche cependant et appelle Roy Thomas pour lui qu'il reprendra aussitôt qu'il ira mieux. Stan Lee pense même à lui pour lancer avec Gerry Conway un comics ambitieux (rapport au Comics Code Authority) : Tomb of Dracula. Ce sera finalement Gene Colan qui dessinera cette série, la santé d'Everett n'allant jamais mieux. Affaibli par la tuberculose qu'il avait attrapé enfant ainsi que son alcoolisme provoqué par le traitement prescrit à l'époque, il n'arrivera pas à remonter la pente et s'éteindra à 55 ans. Ses dernières années furent pourtant éclairées par la passion qu'il vouait à son personnage de Namor et qui lui permit de vivre quelque temps dans une lumière qui l'aura soigneusement évité jusque-là.
La plupart du temps, quand on mentionne les artistes de comics du Golden Age, que ce soient Will Eisner ou Joe Kubert, on évoque leur enfance faite de pas grand-chose dans les rues de Brooklyn, souvent fils d'immigrants désargentés pour qui le dessin deviendra le vecteur improbable du Rêve Américain, l'échelle sociale devenant un ascenseur. Sauf que pour Bill Everett, ce n'est pas du tout la même chose. S'il a longtemps tenté de cacher ses origines (en s'inventant un passé dans la Marine marchande), qui détonaient un peu par rapport aux restes des membres de l'industrie des comics, c'est avec la proverbiale cuillère en argent dans la bouche qu'il grandit.
La famille Everett est une lignée de notables du Massachusetts, qui comprend notamment Edward Everett, président de l'université d'Harvard et gouverneur de l'Etat qui a pour capitale Boston, ou William Everett qui fut membre du Congrès du Massachussets. Le père de Bill est lui-même une sommité de la région, possédant la plus grande entreprise de transports par camion de l'Etat. Un statut social qui s'accompagne d'une relative sécurité financière. C'est dans ce milieu aisé que Bill Everett va naître en 1917.
Cependant, confirmant l'adage qui dit que l'argent ne fait pas le bonheur, Bill va contracter la tuberculose alors qu'il n'a que douze ans. Pour le soigner, les médecins lui conseillent de s'éloigner du milieu humide de la Nouvelle-Angleterre. Il va donc suivre sa mère en Arizona pour y suivre une cure. C'est dans cette région désertique qu'il va boire son première verre d'alcool. Pas de quoi être catastrophé, sauf que ce sera la première pierre de son alcoolisme adolescent et quand il revient à Boston à seize ans, il fait face à de gros soucis de dépendance à l'eau de feu.
Son père, épargné par la Grande Dépression et dont l'entreprise marche mieux que jamais, le voit lutter contre sa dépendance et l'encourage à développer ses talents artistiques, dont il voit bien qu'il n'y a que ça qui le tire de la torpeur. Entre sa rébellion et son alcoolisme galopant, il doit quitter le lycée à 16 ans. Son père l'inscrit dans une école d'Art, pensant qu'il y aura plus sa place, mais ses soucis avec la boisson lui causent de graves problèmes de concentration et il est obligé d'arrêter en cours de cursus en 1935. Seulement, la même année, son père mourra d'une appendicite (le progrès n'a pas que des mauvais côtés), ce qui provoquera un choc chez Bill Everett qui réalise que ce dernier l'a toujours aidé.