Au regard de l'entertainment moderne, le comics fait aujourd'hui partie du paysage : indispensable pour les distributeurs de contenus. Marvel et Disney, Warner et DC, et maintenant Amazon et Skybound. Or, attendu que la société mère de Marvel Studios entend aujourd'hui se séparer de Netflix, le géant du streaming répond par l'inattendu : en ingérant le Millarworld, imprint maison de l'auteur écossais Mark Millar. Quand il y a quelques années celui-ci claquait la porte des Big Two en déclarant « je ne veux pas travailler pour Marvel, je veux devenir Marvel », on n'imaginait pas son rêve d'auteur indépendant devenir à ce point réalité.
Au fil des ans, Millar s'est imposé comme un créateur de premier plan dans la sphère des comics. Pas seulement pour la qualité de ses oeuvres (parfois discutable), également pour son plan de carrière. Parti d'une trajectoire d'auteur britannique « normal » dans les pas de Moore ou Morrison, l'homme a développé un style en parallèle d'un business model, autant scénariste qu'homme d'affaire talentueux, en n'oubliant pas de laisser à la postérité un nombre assez conséquent de chef d'oeuvres sur le chemin. Et contrairement à ses pairs, lui n'a pas fait de magie noire pour y arriver.
On vous propose aujourd'hui un retour sur le parcours de l'auteur, entre mâchoires brisées, hommages aux anciens, adaptations et quête de l'indépendance. Vous suivez ?
Mark Millar naît un 24 décembre, en 1969 dans la banlieue de Glasgow. Sa famille est catholique pratiquante, et on retrouvera plus tard dans son oeuvre des traces de cet héritage religieux. Le jeune Mark tombe vite dans les comics de super-héros, et assiste à l'adolescence aux débuts de la British Invasion, quand l'éditrice Karen Berger embauche pour le compte de DC Comics et le futur imprint Vertigo un petit groupe de scénaristes du Royaume-Uni. L'un d'eux jouera un rôle de mentor fondamental pour Millar : Grant Morrison, que le jeune homme rencontre à l'âge de 18 ans.
Deux ans plus tard, fauché depuis la mort de ses parents, il plaque ses études d'économies et de politique, domaines qui continueront de l'intéresser plus tard, et dont il parlera dans des interviews futures. Après avoir réalisé quelques premiers travaux (parmi lesquels une série Sonic le Hérisson), Millar prend ses quartiers chez l'éditeur qui a vu naître tous les grands scénaristes anglais, 2000AD. Il y retrouve Morrison en 1993, et s'engage avec le mage noir dégarni un partenariat qui durera huit ans.
Déjà à l'époque, le goût de l'auteur pour l'irrévérencieux fait tâche. Fan convaincu de Garth Ennis, il reproduit chez cet auteur le style d'une génération entière de BD underground, moins les idéaux politiques. Ce qui plaît à Millar ? La violence, la provocation et l'humour absurde. Mais là où ses prédécesseurs avaient avec eux la hargne anti-Thatcher, Millar ne cherche pas à renverser le système. Il se contente généralement de se moquer de lui.
Saviour (1989) est son premier travail en solo, pour l'éditeur Trident. Il y raconte comme un antéchrist se prenant pour Jésus cherchera à rendre le monde meilleur en en devenant le maître, avant de lutter contre le véritable fils de Dieu, descendu lui en coller une sévère. Avec Morrison, ils écriront les histoires de la Summer Offensive, unrun de deux mois où l'éditeur leur laisse carte blanche. Ils vont y créer Big Dave, parodie du héros musclé des années '90, qui affrontera tour à tour un Sadam Hussein allié à de belliqueux extra-terrestres, les membres de la famille royale britannique transformés en robots, et un affrontement d'anthologie ou Dave joue le rôle de coach pour une équipe d'enfants handicapés, opposés à l'équipe nationale allemande menée par Adolf Hitler.
Les lecteurs de 2000AD sont divisés quant à l'accueil à réserver à ces histoires absurdes et ultra-violentes. La Summer Offensive sera sa première expérience de scénariste sans contrôle éditorial, sa première polémique et sa première expérience d'ampleur. Le jeune homme a alors prouvé qu'il pouvait collaborer avec un scénariste confirmé, et c'est Grant Morrison lui même qui lui mettra le pied dans l'étrier de DC Comics. Après avoir réalisé plusieurs travaux pour les éditeurs anglais, Millar traverse l'Atlantique pour poser ses valises dans la série Swamp Thing, en 1994, avec l'arc Bad Gumbo. S'entament alors ses années de travail chez DC, où il récupère ses premiers applaudissements.
Millar reste fidèle à son héritage. Il poursuivra les idées laissées par Alan Moore dans Swamp Thing, tout en ne s'empêchant pas d'inventer des personnages inédits et en ne calmant pas son goût pour la violence ou la satire occasionnelle. Il rendra hommage au travail de Warren Ellis en passant sur The Authority, et poursuit sa collaboration de longue date avec Morrison avec The Flash, Aztek et JLA.
Ses années DC sont toutefois plus calmes que le temps de ses premières créations. Il n'a pas encore construit sa réputation de génie, et reste perçu comme un talentueux scénariste anglais de plus (ou écossais, mais aux Etats-Unis cette origine est peu ou prou assimilée) au parcours plutôt classique. Il quitte DC en 2001 après deux Eisner Awards pour la maison d'en face (et des idées), claquant la porte du premier des Big Two et tuant le père de substitution, avec Superman : Red Son publié en 2003.
Considéré comme un indispensable du catalogue kryptonien, Red Son est pour Millar l'occasion d'une seconde polémique. Lorsqu'en interview, Grant Morrison explique avoir écrit pour son ami la fin de cette série (où on reconnaît son style hautement métaphysique) et n'avoir pas été crédité, on découvre chez le scénariste un aspect carriériste jusqu'alors méconnu. Millar est désormais un auteur confirmé, qui affirme son envie de ne rien devoir à personne. Ni à DC où il a fait ses premières armes, ni à celui qui l'a mené là où il est – l'affaire enterrera définitivement l'amitié qu'entretenaient les deux hommes.
Une partie des lecteurs commenceront à se méfier du manque d'éthique du bonhomme, tandis que le reste suivront avec intérêt son boulot, toujours excellent dans la Maison des Idées.
Chapitre suivant >Les années Marvel : Politique-Fiction et CinémaC'est au lancement du projet Ultimate que Millar pousse la porte de chez Marvel. Son arrivée coïncide avec la venue d'un autre grand architecte de l'éditeur, Brian Bendis, avec qui il va redéfinir les codes des séries en place.
Millar profite de la ligne éditoriale de l'éditeur, qui met l'emphase sur l'idée d'un monde plus « réaliste » que celui de DC, pour appliquer l'expérience de son travail sur Authority. On retrouve un scénariste appliqué à décrire le réel et ancrer ses séries dans une époque, avec l'humour satirique de ses années 2000AD. Immigré écossais dans la société Américaine de l'après 11 septembre et la présidence Bush, Millar se pose en observateur des codes. En 2002, il publie Ultimates, réécriture d'ampleur des Avengers classiques illustrée par Bryan Hitch, une charge politique envers la mentalité militaire du pays et l'idéal naïf des héros d'origine. Un bonus qui n'est pas dans le film ? Les Chitauris sont d'anciens nazis.
Il va en être de même pour Civil War (2006), mini-série de longue haleine avec Steve McNiven. Préparée en amont avec l'ensemble des séries de l'éditeur, ce second immense boulot prendra plusieurs années de gestation au scénariste qui s'y dédie pleinement. Dans un monde Marvel chargé de la paranoïa post-11 septembre et d'une critique du sécuritarisme, Civil War raconte comment les super-héros sont amenés à se déclarer au gouvernement pour être en droit légal d'exercer – son Amérique se scinde en deux dans un combat final rentré dans l'Histoire des super-héros. Volet culte des années 2000, Civil War propulse Millar au rang d'auteur désormais incontournable, et trône avec House of M au sommet des grandes réussites de Marvel pendant la décennie.
Des débats de moindre ampleur agitent encore la carrière du bonhomme : son Captain America anti-France ou sa vision de la jeunesse de Tante May dans Trouble agissant comme des bûches au feu chez ses détracteurs, mais la plupart de ses séries chez Marvel sont cependant réussies. Il retrouve McNiven dans Old Man Logan en 2009 (publié entre Wolverine #66 et #72), sorte de Dark Knight Returns du griffu là-encore couronné de succès, avant de s'éloigner progressivement de l'éditeur pour se consacrer à ses propres projets et aux adaptations.
Parce que les années 2000 voient en parallèle de sa propre carrière évoluer le film de super-héros, de plus en plus présent et de plus en plus rentable. Millar fait partie des heureux élus, avec lecomic-book Wanted (2004) qu'il co-signe avec J.G. Jones. L'histoire d'un groupe de super-assassins ultra-violents, où le héros à la tête d'Eminem et sa copine celle d'Halle Berry. Optionné par un ponte d'Universal fan de comic-book, le projet mettra quatre ans à arriver sur les écrans. Il sera réalisé par Timur Berkmambetov (Abraham Lincoln : Chasseur de Vampire) en une énorme trahison du matériau de base, quoi que celui-ci n'ait pas marqué les esprits non plus dans sa version papier.
Plus tard, Millar adoubera Wanted comme la première pierre de ce qu'il appelle le Millarworld, projet qu'il développe dès 2008 et dont Kick Ass sera le premier vrai volet. Sa nouvelle passion pour les plateaux de cinémas grandit quand il participe avec un groupe de scénaristes de comics influents à l'adaptation d'Iron Man par Jon Favreau - il aurait par exemple proposé l'idée d'Iron Monger en vilain du film, à la place du Mandarin un temps envisagé. En interview, l'auteur indique que sa version de Tony Stark dans Ultimates est le modèle officiel du personnage interprété par Robert Downey Jr.. Le film lui donnera raison, en canonisant Samuel L. Jackson en Nick Fury, une récupération complètement assumée.
La phase 1 de Marvel Studios ira souvent piocher dans ses idées, le Avengers de Whedon servant de point culminant à l'été 2012. Crédité au générique (une habitude prise par le studio), le film se présente comme une adaptation soft et dépolitisée d'Ultimates : il en reprend la structure, l'interprétation de certains personnages et plusieurs trouvailles visuelles de Bryan Hitch. Devant la manne financière générée par ses idées, Millar se confronte aux limites de ses droits en tant qu'auteur sous le régime du work for hire. L'envie de partir déjà ancrée en tête, Millar va même choisir son camp, devenant en septembre consultant créatif officiel de la franchise X-Men et Fantastic Four pour le studio 20th Century Fox.
< Chapitre précédentDe Big Dave à Red Son : Premières ControversesChapitre suivant >MillarWorld : le modèle au détriment des idéesEn tant qu'ancien étudiant en économie, Millar n'a jamais caché sa passion pour la sphère financière. Auteur intuitif, il applique dans la dernière phase de sa carrière une sorte d'algorithme créatif : anticiper ou créer la tendance, et penser une série comme un pré-projet à mettre entre les mains des studios. Le Millarworld est mis en place avec cette idée, et se lance réellement avec Kick Ass (2008), série illustrée par John Romita Jr. sur l'imprint Icon de Marvel.
Si la série est un succès de librairie, elle inaugure une nouvelle façon de travailler pour l'auteur : Kick Ass n'est en effet pas un comics pensé pour les kiosques mais directement pour le cinéma, et optionné par Universal avant même que le scénariste ait écrit le premier numéro. Il travaillera de concert avec le réalisateur Matthew Vaughn sur le script du film et de la BD, pensant les deux versions comme complémentaires – là où l'adaptation est plus optimiste, il fait du comics une version cynique et nihiliste, pas conventionné au happy end des studios. Le talent de Vaughn et l'énergie de la série feront de Kick Ass un succès sur les deux tableaux, et donneront raison à l'idée que Millar se fait du comics aujourd'hui : désormais, son travail se présentera comme un magazine de pré-projets clés en mains à destination du cinéma.
L'originalité de Kick Ass aura été de comprendre le nouveau cool des super-héros, pour une génération adolescente dans les années 2000 qui a évolué avec les adaptations et s'est fait à l'idée des comics ou du cosplay, désormais plus seulement le hobby de marginaux – quoi que la BD soit plus satirique de ces adolescents, et de la violence décomplexée des rues américaines. C'est à ça que travaillera l'auteur sur ses séries d'après, ajouter à ses scripts codifiés et modelés sur la grammaire de l'écriture hollywodienne une charge violente ou crue dans la continuité de son style.
Le Millarworld s'enracine chez différents éditeurs et différents imprints, et s'octroie les services des très grands noms du dessin. L'auteur partage avec eux la moitié des bénéfices de chaque série, devenant pour l'industrie un placement avantageux et sécurisé lors de mini-séries occasionnelles, en plus d'être associé à un projet d'adaptation probable après coup. On retrouvera à ses côtés Dave Gibbons, Lenil Yu, Greg Capullo ou Sean Murphy, entre autres génies du crayon.
Les années Icon se poursuivent avec Nemesis (2010), où Steve McNiven le rejoint sur l'idée de « et si Batman était le Joker ? », et où l'auteur anticipe le besoin du genre super-héros d'avoir un film centré sur un vilain. Un projet réalisé par Tony Scott est mis en chantier, puis mis en pause jusqu'à nouvel ordre à la mort du réalisateur. Avec Lenil Yu, il travaille sur Superior, série qui lui permet de faire acte de bonne foi en offrant une partie des bénéfices à un hôpital d'enfants malades, et qui ressuscite l'esprit des années '90 associé à la nostalgie des films de Richard Donner. On retrouvera Yu sur Supercrooks, mélange de super-héros et films de braquages – là encore, les deux projets seront mis en option par différents studios.
Les publications de Millar se calent de plus en plus souvent sur le calendrier des adaptations. Hit-Girl, première suite de Kick Ass, est par exemple publiée au moment de la sortie blu-ray du film, tandis que son héros en combi' de plongée continue son chemin en comics et au cinéma avec Kick Ass 2. Cette fois directement accusé de faire l'apologie du viol par une partie des lecteurs, le film comme la BD seront très mal reçus. Dans l'intervalle, il retrouve Matthew Vaughn sur l'adaptation de Secret Service, un succès d'estime et commercial qui donne naissance à la franchise Kingsman – une fois encore bien aligné, Millar annoncera une suite en comics en parallèle de la sortie de Kingsman : The Golden Circle.
De son côté, le public commence à se désolidariser : on reproche au Millarworld de ne pas aller assez loin, et de s'arrêter à l'exécution automatique de bonnes idées de base. Plusieurs ne comprennent d'ailleurs pas pourquoi le scénariste ne va pas directement travailler au cinéma. C'est avec Jupiter's Legacy (2013) que l'auteur redore son blason, projet fleuve où il s'investit pleinement et retrouve la pertinence de son propos politique. Il y est accompagné par Frank Quitely, compagnon habituel des projets de Grant Morrison, et prend officiellement ses quartiers chez Image Comics, accompagnant l'exil des talents de l'industrie vers l'éditeur phare des créations indépendantes.
Sa mécanique comics/cinéma continue de l'accompagner sur les projets suivants : Starlight (2014) avec Goran Parlov ressuscite la science-fiction rétro', façon Flash Gordon ou John Carter, quand Hollywood commence à envisager le retour de l'iconographie pulp. MPH (2014) avec Duncan Fegredo sera moins aventureux, Chrononauts (2015) explore en surface un projet de buddy movie et de voyage temporel, et Huck (2015) avec Rafael Albuquerque table sur le mécontentement du public devant le Superman pessimite du DCEU, où l'auteur promet de revenir à la simplicité originale du héros en bleu.
Le Millarworld se diversifie, sans que Millar ne tienne jamais sa promesse de mélanger les univers (il tente timidement de le faire à la fin de Kick Ass 3). Tandis que les studios continuent allègrement de récupérer son travail, avec Civil War chez Marvel Studios et Logan chez la Fox, le scénariste voit l'ensemble de son œuvre en indé' achetée par Netflix en 2017. Partenariat presque logique, la plateforme de streaming essayant elle aussi depuis plusieurs années de s'extraire du contenu proposé par les chaînes de TV pour produire ses propres créations, souvent tournées vers les auteurs avec une autre logique de rentabilité à moyen terme.
La décision devrait être le tournant définitif de la vision de l'auteur, qui récupère un bilan plutôt honnête de ses années d'indépendance. Plus que son style tantôt irrévérencieux tantôt codifié, Mark Millar se présente comme un auteur qui aura définitivement marqué. Mais si l'industrie est riche de grands scénaristes, c'est cette posture de stratège financier qui fait le sel du personnage. Là où les créations de Millar sont peuplées de violence graphique et verbale, lui-même est souvent décrit par ses collaborateurs et par la presse comme un homme souriant et bon vivant, qui n'aura cessé d'arrondir les angles sur ses nombreuses polémiques, loin de l'irrévérence de ses pairs britanniques comme Moore ou Ennis. En bon communicant, Millar s'est fait un personnage public, qui se décrit comme un catholique pratiquant occupé par sa vie d'auteur et sa vie de famille avant tout.
A sa manière, il aura proposé une manière différente de penser la BD à l'ère du tout Hollywood, et aura posé un modèle imité par d'autres auteurs lassé des logiques commerciales parfois jusqu'auboutistes de DC ou Marvel. Au détour d'une interview, Millar évoquait il y a quelques années son expérience sur le film Wanted, où il se remémore le discours d'exécutifs des studios, qui voyaient déjà la mort de cette « mode » du comics au cinéma dans les années 2000. Au vu de sa carrière, on est en droit de se dire qu'il aura été un visionnaire en amont des autres.
Bonus track : si vous l'avez ratée, une liste de nos envies sur le partenariat Millarworld/Netflix est à retrouver ici (vous l'avez ratée ? Ne me dites pas que vous l'avez ratée).
< Chapitre précédentLes années Marvel : Politique-Fiction et CinémaMark Millar naît un 24 décembre, en 1969 dans la banlieue de Glasgow. Sa famille est catholique pratiquante, et on retrouvera plus tard dans son oeuvre des traces de cet héritage religieux. Le jeune Mark tombe vite dans les comics de super-héros, et assiste à l'adolescence aux débuts de la British Invasion, quand l'éditrice Karen Berger embauche pour le compte de DC Comics et le futur imprint Vertigo un petit groupe de scénaristes du Royaume-Uni. L'un d'eux jouera un rôle de mentor fondamental pour Millar : Grant Morrison, que le jeune homme rencontre à l'âge de 18 ans.
Deux ans plus tard, fauché depuis la mort de ses parents, il plaque ses études d'économies et de politique, domaines qui continueront de l'intéresser plus tard, et dont il parlera dans des interviews futures. Après avoir réalisé quelques premiers travaux (parmi lesquels une série Sonic le Hérisson), Millar prend ses quartiers chez l'éditeur qui a vu naître tous les grands scénaristes anglais, 2000AD. Il y retrouve Morrison en 1993, et s'engage avec le mage noir dégarni un partenariat qui durera huit ans.
Déjà à l'époque, le goût de l'auteur pour l'irrévérencieux fait tâche. Fan convaincu de Garth Ennis, il reproduit chez cet auteur le style d'une génération entière de BD underground, moins les idéaux politiques. Ce qui plaît à Millar ? La violence, la provocation et l'humour absurde. Mais là où ses prédécesseurs avaient avec eux la hargne anti-Thatcher, Millar ne cherche pas à renverser le système. Il se contente généralement de se moquer de lui.
Saviour (1989) est son premier travail en solo, pour l'éditeur Trident. Il y raconte comme un antéchrist se prenant pour Jésus cherchera à rendre le monde meilleur en en devenant le maître, avant de lutter contre le véritable fils de Dieu, descendu lui en coller une sévère. Avec Morrison, ils écriront les histoires de la Summer Offensive, unrun de deux mois où l'éditeur leur laisse carte blanche. Ils vont y créer Big Dave, parodie du héros musclé des années '90, qui affrontera tour à tour un Sadam Hussein allié à de belliqueux extra-terrestres, les membres de la famille royale britannique transformés en robots, et un affrontement d'anthologie ou Dave joue le rôle de coach pour une équipe d'enfants handicapés, opposés à l'équipe nationale allemande menée par Adolf Hitler.
Les lecteurs de 2000AD sont divisés quant à l'accueil à réserver à ces histoires absurdes et ultra-violentes. La Summer Offensive sera sa première expérience de scénariste sans contrôle éditorial, sa première polémique et sa première expérience d'ampleur. Le jeune homme a alors prouvé qu'il pouvait collaborer avec un scénariste confirmé, et c'est Grant Morrison lui même qui lui mettra le pied dans l'étrier de DC Comics. Après avoir réalisé plusieurs travaux pour les éditeurs anglais, Millar traverse l'Atlantique pour poser ses valises dans la série Swamp Thing, en 1994, avec l'arc Bad Gumbo. S'entament alors ses années de travail chez DC, où il récupère ses premiers applaudissements.
Millar reste fidèle à son héritage. Il poursuivra les idées laissées par Alan Moore dans Swamp Thing, tout en ne s'empêchant pas d'inventer des personnages inédits et en ne calmant pas son goût pour la violence ou la satire occasionnelle. Il rendra hommage au travail de Warren Ellis en passant sur The Authority, et poursuit sa collaboration de longue date avec Morrison avec The Flash, Aztek et JLA.
Ses années DC sont toutefois plus calmes que le temps de ses premières créations. Il n'a pas encore construit sa réputation de génie, et reste perçu comme un talentueux scénariste anglais de plus (ou écossais, mais aux Etats-Unis cette origine est peu ou prou assimilée) au parcours plutôt classique. Il quitte DC en 2001 après deux Eisner Awards pour la maison d'en face (et des idées), claquant la porte du premier des Big Two et tuant le père de substitution, avec Superman : Red Son publié en 2003.
Considéré comme un indispensable du catalogue kryptonien, Red Son est pour Millar l'occasion d'une seconde polémique. Lorsqu'en interview, Grant Morrison explique avoir écrit pour son ami la fin de cette série (où on reconnaît son style hautement métaphysique) et n'avoir pas été crédité, on découvre chez le scénariste un aspect carriériste jusqu'alors méconnu. Millar est désormais un auteur confirmé, qui affirme son envie de ne rien devoir à personne. Ni à DC où il a fait ses premières armes, ni à celui qui l'a mené là où il est – l'affaire enterrera définitivement l'amitié qu'entretenaient les deux hommes.
Une partie des lecteurs commenceront à se méfier du manque d'éthique du bonhomme, tandis que le reste suivront avec intérêt son boulot, toujours excellent dans la Maison des Idées.
Chapitre suivant >Les années Marvel : Politique-Fiction et Cinéma