Un débat récemment tenu sur les ondes de COMICSBLOG.fr aura interpellé une partie de la rédaction, entre autres milliers de fans sur le web : est-ce que la Justice League au cinéma représente réellement ce qu'est l'appareil DC Comics dans l'édition ?
Comprendre le concept des Crisis revient déjà à expliquer ce qu'est le multivers. Un concept qui aura été assez peu dépeint en fiction "tous publics", et qui forme le tissu intellectuel et créatif de la sphère comics, formidablement liée par une batterie d'idées aussi absurdes que scientifiquement plausibles.
Dans l'édition, on attendra Gardner Fox, scénariste de premier plan dont je vous ai déjà parlé. Au début des années '40, commence à poindre l'envie de mélange, de rencontres, de liant entre des héros à l'imagerie diverse, pour former le tronc commun de ce que l'on appelle aujourd'hui l'univers partagé, ou DC Universe. Or, une fois que tous les héros sont liés au sein d'un ensemble cohérent, l'édition américaine regarde son histoire d'en haut, et part chercher dans la continuité les vieux personnages de séries sacrifiées.
En 1961, Flash of Two Worlds sanctuarise l'idée que la réalité existe en plusieurs exemplaires, et apparaît le multivers, à la fois source de bien des ennuis pour l'éditeur, tout en devenant un terreau créatif fascinant pour les scénaristes. Les années passent, et plusieurs seront ceux à inventer leurs propres "versions" du réel. Nous sommes alors au firmament du Silver Age et de son festival d'idées fantasques, où il n'est pas du tout interdit qu'une dimension entière soit peuplée d'animaux anthropomorphes, ou qu'une autre soit une uchronie où les nazis ont gagné la Seconde Guerre Mondiale (ça arrive bientôt à la TV, d'ailleurs).
Sur le papier, le multivers a bien une origine. Dans le monde de DC Comics, c'est il y a treize milliards d'années par un bel après-midi d'automne que celui-ci voit le jour. La civilisation d'Oa, grands anciens et père des factions de Lanterns, comptait à l'époque parmi ses sujets le scientifique Krona, Pandore de son monde obsédé par la connaissance et l’observation des origines du temps.
Après avoir bâti une machine lui permettant de remonter à la création première de l'univers, Krona découvre, avec son peuple fasciné, une gigantesque main bleue qui traverse le chaos et dépose en son centre un premier faisceau d'étoiles. Cette main créatrice serait l'origine même de toute forme de vie dans la cosmogonie de DC Comics, et par chance pour Dan DiDio et Geoff Johns des années plus tard : tout va bien, la main était bleue, ouf.
La découverte que fait Krona ce jour là est hélas par trop fantastique. La puissance nécessaire au fonctionnement de sa machine fend la réalité, dans une explosion où l'univers d'origine se séparent en une infinité de fragments. La physique version DC explique que la différence entre chacun de ces mondes est une résonance vibratoire spécifique, mais vous n'êtes pas forcément obligés de le retenir.
Intervient alors un personnage, qui nous permet de rentrer de plein pied dans Crisis on Infinite Earths : le Monitor, et son jumeau maléfique né dans la réalité d'anti-matière, l'anti-Monitor. Les origines de cet être cosmique seront plus tard réécrites, pour l'heure contentons nous de suivre la trame de Crisis déployée par Marv Wolfman, une réaction longtemps attendue à l'opacité des publications DC.
Puisque c'est bien de là que naît le besoin de Crisis. Depuis les débuts du Bronze Age, DC et Marvel orchestrent une chasse aux incohérences, manière d'assasinir les publications de l'esprit loufoque du Silver Age où tout était permis. Le medium mûrit, et avec l'idée des grands runs apparaît le besoin d'une cohérence de scénariste en scénariste, de grands faits en grands faits. On parle ici de continuité, et celle-ci pose problème chez l'éditeur de Batman, qui se traîne une pelletée de bizarreries héritées des années '60.
Pêle mêle, le retard à l'allumage pubaire de Dick Grayson, le personnage de Wonder Girl censée représenter la jeunesse de Diana à Themyscira et qui finira intégrée aux New Teen Titans du présent, une batterie encombrante de réalités parallèles déjà créées - en définitive, les publications de l'éditeur sont jugées inaccessibles aux nouveaux entrants.
DC sort tout juste d'une décennie compliquée - la DC Implosion aura vidé les caisses, et la fuite des talents pousse l'éditeur à proposer des royalties sur les ventes aux équipes créatives. Pour repartir sur de nouvelles bases et insuffler un vent frais de lecteurs et d'histoires, Crisis arrive comme le point d'ancrage d'une nouvelle continuité, bêtement et simplement remise à zéro. Le titre fait référence à Crisis on Earth One, première rencontre de la JSA et de la JLA en 1963, qui institue le premier crossover inter-univers aux publications de l'éditeur, qui confie les rennes à son scénariste star Marv Wolfman.
Difficile de synthétiser les (nombreuses) ramifications de Crisis, oeuvre fleuve préparée en amont et convoquant une vaste galerie de personnages. Résumons en les faits marquants : l'Anti-Monitor menace, et file de réalités en réalités détruire les différents pans du multivers.
Pour lui faire face, le Monitor assemble une équipe de héros venus de plusieurs mondes. On retrouve parmi eux le personnage d'Alexander Luthor Jr., fils du Lex de Terre-3. Historiquement, cette ancienne réalité de l'arborescence DC Comics est célèbre pour avoir enfanté le Crime Syndicate, une version maléfique de la Justice League, et sur laquelle le seul super-héros était un Luthor bienveillant. Lorsque l'Anti-Monitor vient détruire son monde, le père envoie son fils à travers les barrières du réel, et ce-dernier sera élevé par le Monitor lui-même.
Au cours d'une bataille homérique, différents personnages trouvent la mort : Supergirl, Flash, le Monitor lui-même, et avant que l'adversaire ne soint vaincu, les dernières réalités du multivers seront fusionnées en une seule. Sa continuité réécrite sera un tremplin pour DC et une porte ouverte à de nouvelles histoires à imaginer.
Autre figure utile à connaître : le Superboy-Prime. Issu d'un curieux rapport méta-fictionnel (difficile à synthétiser), ce personnage à la puissance démesurée participe avec Alexander Luthor, Darkseid et le Superman original Kal-L, celui de Terre-2 et d'Action Comics #1, à la bataille finale contre l'Anti-Monitor. Une fois la fusion de réalités opérés, ces quatre personnages sont les seuls à se souvenir de ce qu'était le monde d'autrefois (eux et le Psycho Pirate, qui récupère pendant Crisis sa capacité du souvenir), et pour ne pas altérer le destin de ce nouvel univers, s'enferment d'eux mêmes dans une réalité de poche inventée par Luthor, sorte de paradis où les trois héros et la femme de Kal-L, Loïs disparaissent des regards, tandis que Darkseid repart vers Apokolips.
Les séries qui suivent Crisis poseront ensuite une série de fondations. C'est à partir de ce moment que se fomente ce qu'on a aujourd'hui coutume d'appeller le DC Classique, post-Crisis ou pré-New 52, une continuité qui aura duré pendant près de vingt-cinq ans.
Les retombées seront nombreuses, de Wally West à l'introduction des héros Charlton Comics, mais c'est surtout dans sa capacité à justifier une décision éditoriale par un événément d'ampleur cosmique que la première crise pose une tradition. Penser le monde de DC Comics comme un gigantesque lore traversé de concepts aussi éparses que le Quatrième Monde, la Speedforce, la quatrième dimension du Timestream et la cinquième de Bat-Mite et de Mr. Mxyplyzyk, le Source Wall, le passage dimensionnel du Bleed et tout un tas d'autres étrangetées que les auteurs suivants auront à coeur d'étudier.
Le point de départ des Crises sera aussi bien souvent de reposer sur la continuité pour régler des années de runs préalables, ce qu'on retrouvera assez vite dès le moment suivant.
Chapitre suivant >Le point d'accroche : Indentity, Infinite, FinalDC mettra un certain temps à réemployer le concept de Crisis. On en retrouve une première utilisation (abusive) dans une mini-série de 1994, Zero Hour : Crisis in Time, tentative de l'éditeur de remettre une fois de plus un peu d'ordre dans sa continuité.
Confiée aux soins bons ou mauvais de Dan Jurgens, cette introduction timide à une seconde crise aura autant réglé de problèmes qu'elle n'en causera de nouveaux. Le regard moderne l'assimile plus aisément à un épisode de l'évolution du Green Lantern fondateur Hal Jordan, qui aura à l'époque vécu quelques épisodes difficiles, transformé en vilain entre autres légers déboires.
Cela étant, prendre sous cet angle ce qui va suivre chez DC se révèle comme hautement pertinent. Pendant que Kal-L, Alexander Luthor et le Superboy-Prime dorment dans leur constellation miniature, le parcours de Jordan et toute une décennie passée sous le Dark Age annoncent déjà la crise à venir. Bienvenue dans une époque où, plus que toute autre notion, DC vénérait la sacro-sainte continuité, dans un triptyque d’œuvres qui aura autant fasciné que repoussé le lecteur lambda. Premier de la liste, Identity Crisis démarre en 2005, sous la plume de Brad Meltzer.
Il y aurait des millions de choses à énumérer pour comprendre la décision qu'aura pris DC Comics à l'époque, mais on peut généralement les résumer à une question toute bête : comment faire pour vendre mieux ?
Dans cette optique, le Flashpoint est lancé en 2011. Après vous avoir énuméré un tel amas de continuité (si vous avez eu le courage d'arriver jusque là), vous devez comprendre la difficulté de traîner derrière soi un pareil boulot de cohérence pour le lectorat. Et savoir si les New 52 se justifiaient ne sera pas le débat du jour, puisque même du point de vue de l'éditeur, l'ensemble ne passe plus aujourd'hui que pour une vaste parenthèse désenchantée de cinq ans.
Expliquons donc maintenant le Flashpoint, dernière crise avérée de DC Comics aux retombées équivalentes à la première Crisis, avant que Doomsday Clock ne vienne à son tour taper dans la fourmilière.
Comprendre le concept des Crisis revient déjà à expliquer ce qu'est le multivers. Un concept qui aura été assez peu dépeint en fiction "tous publics", et qui forme le tissu intellectuel et créatif de la sphère comics, formidablement liée par une batterie d'idées aussi absurdes que scientifiquement plausibles.
Dans l'édition, on attendra Gardner Fox, scénariste de premier plan dont je vous ai déjà parlé. Au début des années '40, commence à poindre l'envie de mélange, de rencontres, de liant entre des héros à l'imagerie diverse, pour former le tronc commun de ce que l'on appelle aujourd'hui l'univers partagé, ou DC Universe. Or, une fois que tous les héros sont liés au sein d'un ensemble cohérent, l'édition américaine regarde son histoire d'en haut, et part chercher dans la continuité les vieux personnages de séries sacrifiées.
En 1961, Flash of Two Worlds sanctuarise l'idée que la réalité existe en plusieurs exemplaires, et apparaît le multivers, à la fois source de bien des ennuis pour l'éditeur, tout en devenant un terreau créatif fascinant pour les scénaristes. Les années passent, et plusieurs seront ceux à inventer leurs propres "versions" du réel. Nous sommes alors au firmament du Silver Age et de son festival d'idées fantasques, où il n'est pas du tout interdit qu'une dimension entière soit peuplée d'animaux anthropomorphes, ou qu'une autre soit une uchronie où les nazis ont gagné la Seconde Guerre Mondiale (ça arrive bientôt à la TV, d'ailleurs).
Sur le papier, le multivers a bien une origine. Dans le monde de DC Comics, c'est il y a treize milliards d'années par un bel après-midi d'automne que celui-ci voit le jour. La civilisation d'Oa, grands anciens et père des factions de Lanterns, comptait à l'époque parmi ses sujets le scientifique Krona, Pandore de son monde obsédé par la connaissance et l’observation des origines du temps.
Après avoir bâti une machine lui permettant de remonter à la création première de l'univers, Krona découvre, avec son peuple fasciné, une gigantesque main bleue qui traverse le chaos et dépose en son centre un premier faisceau d'étoiles. Cette main créatrice serait l'origine même de toute forme de vie dans la cosmogonie de DC Comics, et par chance pour Dan DiDio et Geoff Johns des années plus tard : tout va bien, la main était bleue, ouf.
La découverte que fait Krona ce jour là est hélas par trop fantastique. La puissance nécessaire au fonctionnement de sa machine fend la réalité, dans une explosion où l'univers d'origine se séparent en une infinité de fragments. La physique version DC explique que la différence entre chacun de ces mondes est une résonance vibratoire spécifique, mais vous n'êtes pas forcément obligés de le retenir.
Intervient alors un personnage, qui nous permet de rentrer de plein pied dans Crisis on Infinite Earths : le Monitor, et son jumeau maléfique né dans la réalité d'anti-matière, l'anti-Monitor. Les origines de cet être cosmique seront plus tard réécrites, pour l'heure contentons nous de suivre la trame de Crisis déployée par Marv Wolfman, une réaction longtemps attendue à l'opacité des publications DC.
Puisque c'est bien de là que naît le besoin de Crisis. Depuis les débuts du Bronze Age, DC et Marvel orchestrent une chasse aux incohérences, manière d'assasinir les publications de l'esprit loufoque du Silver Age où tout était permis. Le medium mûrit, et avec l'idée des grands runs apparaît le besoin d'une cohérence de scénariste en scénariste, de grands faits en grands faits. On parle ici de continuité, et celle-ci pose problème chez l'éditeur de Batman, qui se traîne une pelletée de bizarreries héritées des années '60.
Pêle mêle, le retard à l'allumage pubaire de Dick Grayson, le personnage de Wonder Girl censée représenter la jeunesse de Diana à Themyscira et qui finira intégrée aux New Teen Titans du présent, une batterie encombrante de réalités parallèles déjà créées - en définitive, les publications de l'éditeur sont jugées inaccessibles aux nouveaux entrants.
DC sort tout juste d'une décennie compliquée - la DC Implosion aura vidé les caisses, et la fuite des talents pousse l'éditeur à proposer des royalties sur les ventes aux équipes créatives. Pour repartir sur de nouvelles bases et insuffler un vent frais de lecteurs et d'histoires, Crisis arrive comme le point d'ancrage d'une nouvelle continuité, bêtement et simplement remise à zéro. Le titre fait référence à Crisis on Earth One, première rencontre de la JSA et de la JLA en 1963, qui institue le premier crossover inter-univers aux publications de l'éditeur, qui confie les rennes à son scénariste star Marv Wolfman.
Difficile de synthétiser les (nombreuses) ramifications de Crisis, oeuvre fleuve préparée en amont et convoquant une vaste galerie de personnages. Résumons en les faits marquants : l'Anti-Monitor menace, et file de réalités en réalités détruire les différents pans du multivers.
Pour lui faire face, le Monitor assemble une équipe de héros venus de plusieurs mondes. On retrouve parmi eux le personnage d'Alexander Luthor Jr., fils du Lex de Terre-3. Historiquement, cette ancienne réalité de l'arborescence DC Comics est célèbre pour avoir enfanté le Crime Syndicate, une version maléfique de la Justice League, et sur laquelle le seul super-héros était un Luthor bienveillant. Lorsque l'Anti-Monitor vient détruire son monde, le père envoie son fils à travers les barrières du réel, et ce-dernier sera élevé par le Monitor lui-même.
Au cours d'une bataille homérique, différents personnages trouvent la mort : Supergirl, Flash, le Monitor lui-même, et avant que l'adversaire ne soint vaincu, les dernières réalités du multivers seront fusionnées en une seule. Sa continuité réécrite sera un tremplin pour DC et une porte ouverte à de nouvelles histoires à imaginer.
Autre figure utile à connaître : le Superboy-Prime. Issu d'un curieux rapport méta-fictionnel (difficile à synthétiser), ce personnage à la puissance démesurée participe avec Alexander Luthor, Darkseid et le Superman original Kal-L, celui de Terre-2 et d'Action Comics #1, à la bataille finale contre l'Anti-Monitor. Une fois la fusion de réalités opérés, ces quatre personnages sont les seuls à se souvenir de ce qu'était le monde d'autrefois (eux et le Psycho Pirate, qui récupère pendant Crisis sa capacité du souvenir), et pour ne pas altérer le destin de ce nouvel univers, s'enferment d'eux mêmes dans une réalité de poche inventée par Luthor, sorte de paradis où les trois héros et la femme de Kal-L, Loïs disparaissent des regards, tandis que Darkseid repart vers Apokolips.
Les séries qui suivent Crisis poseront ensuite une série de fondations. C'est à partir de ce moment que se fomente ce qu'on a aujourd'hui coutume d'appeller le DC Classique, post-Crisis ou pré-New 52, une continuité qui aura duré pendant près de vingt-cinq ans.
Les retombées seront nombreuses, de Wally West à l'introduction des héros Charlton Comics, mais c'est surtout dans sa capacité à justifier une décision éditoriale par un événément d'ampleur cosmique que la première crise pose une tradition. Penser le monde de DC Comics comme un gigantesque lore traversé de concepts aussi éparses que le Quatrième Monde, la Speedforce, la quatrième dimension du Timestream et la cinquième de Bat-Mite et de Mr. Mxyplyzyk, le Source Wall, le passage dimensionnel du Bleed et tout un tas d'autres étrangetées que les auteurs suivants auront à coeur d'étudier.
Le point de départ des Crises sera aussi bien souvent de reposer sur la continuité pour régler des années de runs préalables, ce qu'on retrouvera assez vite dès le moment suivant.
Chapitre suivant >Le point d'accroche : Indentity, Infinite, Final