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Spider-Man : New Generation, la révolution du multivers arachnéen

Spider-Man : New Generation, la révolution du multivers arachnéen

ReviewCinéma
On a aimé• Visuellement innovant
• Un récit initiatique méta' pensé comme un comics
• Shameik Moore et Jake Johnson, stellaires
• Une écriture travaillée, souvent drôle, parfois émouvante
• La bande son fait le taff
On a moins aimé• Un rien trop de personnages
• Quelques moments moins bien rythmés
Notre note

Dans l'environnement bipolaire du super-héros, un terrain d'entente parvient périodiquement à rassembler les fans de l'une ou de l'autre maison. Le cinéma d'animation a porté, ces dernières années, certains des meilleurs projets du format adaptation : Lego Batman, le second Indestructibles, la belle surprise Teen Titans Go!, des oeuvres à plusieurs degrés que les instances réduisent, souvent arbitrairement, à un simple loisir pour enfants. 
 
L'enfant aime entendre les voix de ses vidéastes préférés de la planète Youtube, de footballers ou de célébrités quelconques dans la bouche de ses héros d'animation - ou bien, est-ce envisagé. Aux Etats-Unis, la compréhension de cette forme d'art est toute autre, et ce sont généralement des acteurs d'un autre calibre qui prêtent leur timbre aux héros de deux ou trois dimensions des cartoons, à une époque où commence à être acceptée l'idée que les trentenaires mangent eux aussi du Bob L'Eponge ou du Powerpuff Girls, qu'ils aient ou non des gosses à divertir. 
 
Aussi, en Europe, le public risque-t-il de confondre Spider-Man into the Spider-Verse (New Generation en VF) avec un simple produit d'appel pour le jeune public. Malgré une série de bons premiers retours et une tournée mondiale de Comic Con, le film de Peter Ramsey, Bob Persichetti et Rodney Rothman risque bien de taper moins haut que Venom, autre production arachnéenne de cette année. En un sens, rien de surprenant - en revanche, ce serait triste, tant cette aventure animée de Miles Morales dans le multivers respire la passion et l'amour de ses personnages, une très belle surprise après une année bien conventionnelle pour les super-héros au cinéma.

 
 
Spider-Man into the Spider-Verse est l'histoire de Miles Morales, lycéen brillant parachuté dans une école privée, loin de son quartier original de Brooklyn. Miles a un papa policier et une maman infirmière, sans oublier un tonton un peu gredin qui aime les ghettoblasters rétro' et accompagner son neveu quand celui-ci fait le mur et part repeindre les murs de New-York de tags stylisés. Le héros est immédiatement attachant et l'ensemble familial séduit par sa simplicité et les maladresses du père, protecteur. 
 
Au dessus du ciel rassurant de cette New York animée, l'ombre d'un protecteur plane entre deux buildings. Ce monde est celui de Spider-Man, seul héros de cette ville qui se passe des Vengeurs ou des Defenders urbains. L'araignée est ici une version méta' de lui-même : le héros évoque ses aventures passées au cinéma, le générique de son cartoon des années '60, il existe dans une version comics connue de tous (et très étonnamment rétro'), Spider-Man est le héros d'un monde dans lequel les gosses comme Miles Morales ont grandi. Le film choisit immédiatement de prendre le personnage comme une sorte de modèle, s'adressant aux éventuels enfants que vous étiez peut-être quand vous l'avez découvert - les symboles seront nombreux et jamais film n'a mieux véhiculé les idéaux des grands pouvoirs ou des grandes responsabilités. 
 
Puisqu'il s'agit d'une origin story, la progression consistera à suivre Miles gravir les échelons obligatoires de l'héroïsme et de cette perpétuelle quête initiatique que représente le cinéma de super-héros, en passant par toute une série de rencontres, d'aventures et d'émotions (parfois poignantes). Et tout un tas de vannes, puisque si les fans de l'araignée connaissent son infatigable tchatche de blagueur, réjouissez vous : ce coup-ci, ils sont plusieurs.

 
 
Visuellement, Spider-Verse a tout de l'expérience inédite. Avec des aplats de texture par dessus des héros modélisés comme des héros de BD aux proportions souvent exagérées (inspirées d'artiste parmi lesquels vous reconnaîtrez Bill Sienkiewicz du côté du Kingpin), l'ensemble mélange avec une fluidité folle toute une série d'influences, qui passent autant par le comics que le jeu vidéo au cinéma traditionnel. On retrouve dans la New York violacée un bac à sable vivant, constellé de toute une série de petits moments de vie éparpillés çà et là. Le métrage fait aussi un gros boulot du côté des couleurs, en assumant ses influences vidéoludiques avec un jeu sur les teintes électriques ou les effets de particules qui nous rappelleraient des Jet Set Radio par endroits. 
 
L'habillage artistique passe aussi par la mise en scène, qui va parfois chercher du côté du comics pur et dur en manifestant à l'écran les bulles de pensée de Miles, une narration textuelle de case de BD ou un jeu sur le rythme des combats, qui prennent souvent des pauses pour poser la fameuse réplique obligatoire. L'ensemble est d'une grande générosité, en choisissant par exemple de donner un sens visuel nouveau au fameux Spider-sense du danger, ou sur les héros issus du multivers. On retrouve une sorte d'esprit parodique qui brasse tout un tas d'influences parmi eux, qui rappellerait la méthode de Lord et Miller sur le premier film La Grande Aventure LEGO, en fusionnant par l'humour des univers qui ne se répondraient pas naturellement. 
 
Du côté de l'habillage musical, en dehors des compositions originales dont le boulot reste résolument classique, les choix de la bande son servent aussi à installer Miles comme un jeune afro-américain standard de Brooklyn, fana' de hip hop à l'ancienne ou moderne sur lesquels il s'appuie pendant ses séances de graffiti. A noter d'ailleurs que, comme en comics, le film joue sur cette corde sans appuyer dessus ou chercher un militantisme frontal : le nouveau Spider-Man est un métis né de parents noir et latino, mais le propos n'est pas celui d'un Black Panther. En définitive, c'est à se demander où sont passées les fameuses "conditions ethniques" de Sony révélées par le hack de la compagnie il y a plusieurs années.
 

 
Sur le plan de l'écriture, difficile de trop en dire sans gâcher les surprises (nombreuses) en cours d'intrigue - le parcours fléché est assez classique pour Miles, et l'application de toute la philosophie Spider-Man depuis ses débuts. Les réalisateurs ne s'en cachent pas en profitant de la condition méta' de l'araignée pour rendre hommage aux classiques, et le film pèse d'autant plus lourd sur l'héritage du héros qu'il est le premier à passer après la mort de Ditko, et de Stan Lee. La force principale de Spider-Verse est qu'il est le premier, séries télévisées mises à part, à jouer la carte du multivers. Un élément sine qua non des comics que les grands studios ont toujours cherché à éviter, estimant probablement que la notion serait trop complexe à appréhender pour le spectateur lambda. 
 
L'écriture joue ici sur cette corde par des placements intéressants : les héros du multivers se présentent tous par une introduction ludique et clés en mains, qui resitue chacun dans un contexte et explicite d'emblée aux spectateurs qui va faire quoi, qui vient de quel endroit et comment son caractère sera ajusté en fonction. Le seul reproche à faire à cette méthode d'écriture est la densité que prend le film, lorsqu'on se retrouve à accompagner énormément de personnages, du côté des vilains comme des héros et où chacun a sa propre petite back story. Certains twists perdent ainsi en intensité, comme si Spider-Verse pêchait par excès de générosité (de même, ces moments peuvent parfois casser le rythme, quoi que rien d'infamant ne soit à déplorer non plus).

Très réussie sur le plan de sa caractérisation, l'écriture s'appuie sur des dialogues mitraillettes ou un enchaînement de vannes associées à des parties parfois plus sombres, puisque le deuil fait aussi partie de la vie d'un Spider-Man lambda. Ces moments sont aussi les bienvenus dans un monde où l'on oublie parfois que tous les instants dramatiques n'ont pas à être contre-balancés par une vanne - Spider-Verse s'accroche à l'intensité de certains passages difficiles, chaque fois efficaces, et parfois réellement émouvants. A noter bien entendu que certaines choses sont évidemment très prévisibles, puisque le film emprunte un schéma d'écriture volontairement méta', volontairement dans la lignée du premier Spider-Man puisque la morale de l'histoire est de tracer son chemin en comprenant là d'où on vient.

Du côté de la distribution (en VO), d'aucuns auraient pu se poser la question du choix de Jake Johnson en Peter Parker, tant l'acteur évoque généralement l'idée du trentenaire flemmard ou de l'adulte pas fini qui glande sur le canap' en complet pyjama. Autant le dire clairement, l'acteur rayonne dans le rôle, enchaînant avec adresse les moments d'humour, un rôle de mentor accompli ou inaccompli et de Spider-adulte derrière l'habituelle portrait du héros lycéen ou universitaire. Shameik Moore, Mahershala Ali, Liev Schreiber, Hailee Steinfeld ou Brian Tyree Henri sont tous à leur place, épousant parfaitement les rôles clés en mains qu'ils empruntent le temps de l'aventure, avec une mention spéciale au brave Nicolas Cage qui se révèle comme à son habitude fabuleux en second rôle comique déroutant. 

D'une manière générale, c'est la générosité du film qui emporte l'adhésion sur quelques points d'intrigue flottants, quelques allers et retours mal fichus et quelques moments de flottement. Spider-Verse est un film qui fonctionne dans ce qu'il promet de faire en se présentant comme le premier pas d'une nouvelle méthode pour le héros arachnéen - d'un côté, pour ceux qui ont grandi avec la présence du personnage au cinéma, en télévision ou en comics, et de l'autre, pour ceux qui s'apprêtent encore à le découvrir. Mais il parle aussi du personnage comme symbole, comme un concept que l'on peut décliner et où chacun peut trouver sa part - en cela, il est peut-être la suite la plus logique et la plus intelligente à quinze ans de Spider-films de qualités diverses au cinéma, et un merveilleux cadeau aux fans du personnage et de son univers. Et encore, on ne vous a pas parlé du cochon. 

Spider-Man into the Spider-Verse est une immense réussite d'ensemble, qui vient se caler après d'autres belles aventures animées pour les héros de l'art séquentiel. A la fois innovant et référencé au passé (à l'image de son héros), son avantage sera de plaire aux fans de longue date comme aux nouveaux en proposant les habituels niveaux de lecture pour tous. Unique dans son esthétique, travaillé dans son écriture et diablement bien interprété, une belle petite surprise qui revalorise (une fois de plus) l'école des cartoons méta' au détriment des grosses productions en live-action, qui se compromettent souvent dans plus de fadeur ou moins de réels parti pris. A voir maintenant si une belle réussite implique une grande rentabilité. 

Corentin
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