Bien souvent, la réalité des tournages échappe au commun des spectateurs, qui ne peuvent bâtir leur opinion que sur le résultat fini et sorti en salles. Il arrive parfois que l'oeuvre comporte tout de même quelques stigmates - rappelez vous des scènes reshoots de Fantastic Four - permettant au public de reconstituer les coulisses de développements compliqués.
En de plus rares cas encore, les rédactions spécialisées vont chercher à en savoir plus sur la vérité des plateaux de tournages où le regard public est volontairement exclu, dans des enfers de production où le réalisateur, que l'on prend souvent pour le seul responsable, n'est que l'objet de décisions de dernière minute par des studios à l'appétit bestial. Après
l'échec critique du reboot de Hellboy, qui culmine à 9% d'opinion favorable sur
RottenTomatoes,
TheWrap a souhaité en savoir plus sur les conditions de mise en boîte du film de
Neil Marshall et
Lionsgate.
Plusieurs sources ayant participé au tournage, qui ont tenu à garder l'anonymat pour s'éviter les conséquences de témoignages accablants, évoquent un conflit régulier entre Marshall et deux des seize (!) producteurs du film, Lawrence Gordon, détenteur des droits de Hellboy pour le cinéma, et Lloyd Levin, responsable réel du développement au jour le jour sur le projet. Dans une sorte de lutte de pouvoir en interne, ceux-ci auraient cru bon d'envoyer "un message" au réalisateur, pour lui rappeler son statut de simple salarié et lui rappeler qui était réellement "aux commandes", avec le licenciement du chef opérateur de Marshall, Sam McCurdy.
Un ami et collaborateur régulier du cinéaste avec qui il aura travaillé sur la majorité de ses oeuvres, The Descent, Centurion ou l'épisode Blackwater de la série Game of Thrones. Levin aurait aussi participé aux répétitions avec les comédiens, critiquant la direction d'acteur de Marshall et donnant parfois aux acteurs des directives différentes. Cette situation n'aurait apparemment pas été du goût de David Harbour, en conflit ouvert avec le cinéaste, quittant régulièrement le plateau ou refusant de faire d'autres prises de certaines scènes.
Les sources de
TheWrap évoquent aussi des réécritures de script - une routine de tout enfer de production - en plein tournage, dont certaines pilotées par
Ian McShane et
David Harbour eux mêmes. Cet élément particulier pourrait expliquer, en partie, le retard pris par la mise en boîte du film
qui aura été repoussé par Lionsgate à un créneau désavantageux (aux Etats-Unis, le film sera disponible ce vendredi, dans un interstice chargé avec
Shazam avant lui et
Avengers : Endgame quelques semaines plus loin).
Un dernier élément plus lointain s'ajoute à cette liste, à propos d'un objet de décor spécifique - l'arbre de la sorcière Nimue, source symbolique de ses pouvoirs et évoquant l'aspect d'un Burton à la Sleepy Hollow. Marshall et Levin se seraient battus pour savoir si le design de ce-dernier devait être symétrique ou asymétrique, commandant chacun leur version aux artistes en charge du projet. Cette partie de conflit est vraisemblablement la plus anecdotique, le réalisateur ayant eu gain de cause en définitive, mais qualifie symboliquement la discorde des deux têtes pensantes du projet à toute une série de niveaux.
L'enquête rappelle que Marshall n'a (évidemment) pas eu la main sur le montage final du film. Après avoir rendu sa propre final cut, les producteurs mettront les mains dans le cambouis pour remonter les scènes selon leur propre vision. Interrogés par TheWrap, Gordon et Levin n'ont pas souhaité s'exprimer directement, laissant leur avocat, un certain Martin Singer, justifier point par point les différents témoignages et conflits éventuels survenus pendant la production.
Un étrange porte-parole juridique dont le constat personnel est que certains de ces litiges font partie de la vie de n'importe quel tournage, et que la plupart des témoignages rapportés colportent de fausses informations. L'avocat argue, en outre, que l'enquête de TheWrap pourrait nuire à l'image du film en faisant passer le réalisateur pour le gentil de l'histoire, là où Marshall n'a de son côté pas souhaité s'exprimer.
Cela étant, quoi qu'on puisse s'amuser d'entendre un producteur affirmer qu'il n'a rien fait de mal par la bouche de son avocat, les projets de commande et les productions de ce type ne manquent pas d'exemples du même genre pour rappeler les douloureuses conditions de tournage des autres
Hellboy de ce monde.
Fantastic Four,
Suicide Squad ou
Justice League auront établi des précédents par le passé, développés dans leurs propres enquêtes souvent accablantes, les conflits réguliers entre les commanditaires contre les artistes.
Réécritures de scripts, acteurs floués par des rôles qui ne leur conviennent pas, montage final arraché et refabriqué par de mauvaises mains ou licenciements secs, un champ lexical qui devient de plus en plus habituel dans le Hollywood 2.0. où le public a désormais les moyens de se renseigner sur la réalité des tournages, derrière le manque de transparence qu'espèrent certains producteurs zélés. A ceci près que certaines grosses sociétés ont appris à faire évoluer cette chaîne de fabrication à force de conflits similaires, préférant aujourd'hui engager des salariés dociles, les fameux yes men, ou plus impliqués dans le processus créatif.
Des exemples comme celui de James Wan sur Aquaman ou les frères Russo sur la franchise Avengers témoignent de cette collaboration harmonieuse entre des studios aux plans bien définis et des artistes qui trouvent tout de même un petit espace de liberté dans l'accomplissement de la commande. Là où l'enquête elle-même aidera peut-être à donner des raisons à l'échec (critique, pour le moment) du reboot de Hellboy, elle traduit surtout les méthodes d'un autre temps des studios Lionsgate et le besoin, pour toute l'industrie, d'évoluer vers plus d'harmonie dans les projets de tentpoles.